Belon, Paul (Adolphe Belon dit), écrivain et journaliste français, né à Ganges (Hérault) le 11 janvier 1860*, décédé à Paris le 24 mars 1933.
Frère de Joseph Belon, romancier (L’Acteur, 1888 ; Gendelettre, 1891), chroniqueur (Paris qui passe, 1888 ; En suivant M. Carnot, 1893 ; Les Souverains russes en France, 1896 ; Les Voyages du Président de la République, 1896), Belon, journaliste, collaborateur de La Presse, du Parti National, de L’Estafette, de La République française et surtout du Petit Journal dont il était rédacteur politique depuis 1889, fut mêlé à l’Affaire suite aux soupçons de Picquart qui le considérait – erronément – comme « étant celui qui, agissant « de connivence avec la famille Dreyfus », avait « apporté à L’Éclair l’article du 14 septembre » (« Note » de Picquart à Gonse du 12 novembre 1896, AN BB19 94), soupçon qui sera rendu public en septembre 1898 par Les Droits de l’Homme (« L’informateur de L’“Éclair” », 14 septembre). Mis en demeure de s’expliquer le lendemain et deux jours plus tard par L’Aurore (« Rapprochement » et « Constatation », 15 et 17 septembre), Belon ne le fera que l’année suivante quand il sera une nouvelle fois mis en cause par L’Aurore (G. Lhermitte, « M. Paul Belon », 9 août) :
Il ne me plaît pas de laisser rééditer une information erronée, publiée par L’Aurore il y a un an. Je donne aux assertions de M. Lhermitte le démenti le plus formel. Je n’ai jamais vu la pièce Ce canaille de D… Je ne connais ni le Lieutenant-colonel du Paty de Clam, ni le directeur de l’Éclair, Je compte sur votre courtoisie pour publier cette réponse sans qu’il me soit nécessaire d’invoquer la loi. (G. Lh[ermitte], « Paul Belon », 10 août).
Belon avait raison. On sut, quelques jours plus tard et grâce à Sabatier, que l’article, avant d’être retouché par Georges Montorgueil, avait été porté à L’Éclair par Lissajoux, attaché au service des informations du Petit Journal, à partir de renseignements, affirmait-il, obtenus par plusieurs personnes dont on ne connaîtra jamais le nom (Oriol, p. 234-235).
Belon – qui avait été présent le jour de la dégradation de Dreyfus (« L’affaire Dreyfus. Avant l’audience », Le Petit Journal, 7 août 1899) – sera aussi mêlé à l’Affaire en tant que journaliste. Tout d’abord, c’est lui qui transmit à Judet le témoignage du général de Loverdo dans l’affaire François Zola (Judet, « Zola le récidiviste », Le Petit Journal, 25 mai 1898). Ensuite, il fut en charge de rendre compte du procès de Rennes pour son journal. Dès son premier article, la veille de l’ouverture des débats, il donna le ton en songeant « à l’armée, admirable de stoïcisme et de résignation devant les outrages dont on l’abreuve » et « aux manœuvres infâmes des individus qui ont poursuivi jusqu’au bout cette paradoxale aventure » et dont on ne pouvait encore « calculer exactement ce que nous coûtera cette réhabilitation réclamée, voulue, imposée au prix même d’un chambardement et de la ruine totale de la patrie » (« L’affaire Dreyfus. Avant l’audience », Le Petit Journal, 7 août 1899). De la première journée, il retint surtout la physionomie et la personnalité de Dreyfus qu’il dépeignit à ses lecteurs en concentrant tous les clichés du genre :
La bonne histoire que les journaux à sa dévotion nous avaient racontée sur l’état précaire de sa santé s’évanouit immédiatement à la vue de ce gaillard solide, le teint bronzé par le soleil des tropiques et qui marche droit, raide comme une pierre, la tête haute.
Dreyfus grisonne légèrement. Le front carré s’est un peu dégarni. Mais, en somme, il n’a pas changé ; c’est toujours un monsieur « qui à une sale tête », comme dirait volontiers le colonel Picquart.
Aux questions qu’on lui adresse, le traître répond d’une voix rauque, gutturale, pâteuse, sans nulle trace d’émotion.
Ses amis, ses défenseurs reconnaissent que jamais accusé ne fut moins sympathique et plus incapable d’attendrir ses juges.
Il l’a essayé, cependant.
Au moment où on lui a présenté le bordereau il a voulu parler de sa femme, de ses enfants, de ses souffrances morales, de son innocence, de son honneur.
Là phrase préparée à loisir, s’est embarrassée dans la gorge, l’accent était faux, l’angoisse simulée.
Dreyfus s’est parfaitement rendu compte qu’elle ne portait pas, il n’a pas insisté et il a quitté brusquement le ton pleurnicheur pour répondre au président de sa voix naturelle.
Et à la suite, il se désolait d’un huis clos qu’il aurait voulu voir aussi appliqué à Dreyfus :
Ainsi donc, il faut en prendre son parti : jusqu’à samedi prochain nous devrons rester à la porte du prétoire, pendant que toute l’organisation de notre défense nationale, de notre service, des renseignements, avec les noms de nos agents seront livrés à Dreyfus, c’est-à-dire à l’étranger.
Nous ne saurons rien, mais il saura tout ; et sa famille et ses amis du dehors seront, par contre-coup, immédiatement informés. Telle est la jolie besogne qui se prépare et qui remplira, paraît-il, quatre audiences. Il n’en faut pas moins pour livrer la France pieds et poings liés à l’ennemi. (« Le procès Dreyfus. La première journée », 8 août 1899).
Pendant tout le procès, Belon montra un formidable optimisme qui tendrait à prouver combien l’autosuggestion peut être une voie, peut-être pas vers la vérité mais assurément vers le bonheur. Avec beaucoup d’imagination, il lut le désarroi de Dreyfus et de ses défenseurs devant « la citation directe par le président de témoins tellement gênants » ; imagina la perte de contenance du « traître » devant le dossier secret contenant « les preuves multiples et irrécusables de son forfait » (« Le procès Dreyfus. Pendant l’entracte », 10 août) ; annonça l’affolement des dreyfusards dans l’attente de la déposition de Mercier « qui sera concluante et définitive » (« Le procès Dreyfus. Une manœuvre dreyfusarde », 11 août) ; assista à la fuite du terrain sous leurs pas et le « lamentable » effondrement de « l’échafaudage de sottises et de mensonges qu’ils avaient élevé au prix de tant d’efforts » (« Le procès Dreyfus. On recommence », 12 août) ; vit Dreyfus sortir « de ce premier contact avec ses accusateurs entièrement désemparé, et son système de défense re[evoir] le coup mortel » ; considéra que le général Mercier, qui « avait juré de tout dire », « a[vait] tout dit », que « sa démonstration [fut] lumineuse » et constituerait « désormais un document historique de premier ordre, le plus complet certainement qu’on puisse consulter plus tard pour l’étude de cette étrange affaire » (« À Rennes. Seconde [sic] journée », 13 août ) ; fut frappé et convaincu par « la déposition éloquente du général Billot », par celle de Cavaignac, qui « a contribué puissamment à l’édification des juges », par celles de Chanoine et Zurlinden, dont la « conviction inébranlable de la trahison de Dreyfus [est] basée sur des raisons et des faits incontestables » ; ne fut pas dupe des « deux ou trois phrases de protestation [de Dreyfus] [qui] ne sont certainement pas de lui », qu’il avait « déjà lues dans un journal dreyfusard » et que Dreyfus « a apprises par cœur et […] a récitées », ne produisant du coup « aucun effet et pour cause » (« À Rennes. Troisième journée », 15 août) ; estima que Carrière, qui n’était « pas un phraseur de profession », à la différences des avocats, parlait, lui, « le langage de la raison » ; que Lebon n’avait « eu [que] quelques mots à dire » pour « faire justice des accusations portées contre lui par les partisans du traître » ; constata la gêne de Dreyfus et de Demange devant la veuve Henry, « vaillante femme, aux pieds de laquelle [il] dépos[ait] l’hommage profondément respectueux de [s]a sympathie » (« À Rennes. Quatrième journée », 17 août) ; fut frappé par la déposition Roget et l’évidence selon laquelle « Picquart n'[était] entré au service des renseignements que pour travailler en faveur de Dreyfus[,] s’y [était] employé de toutes ses forces et sans perdre un instant[,] n’a[vait] reculé devant aucun moyen pour atteindre son but qui était de sauver le traître[,] supprima[n]t les documents accusateurs dans lesquels Dreyfus était nommé en toutes lettres[,] découvra[n]t Esterhazy et […] inventa[n] des charges contre lui avec une extraordinaire désinvolture » ; cerna le véritable Bertulus, « vaniteux comme un paon », qui avait « invent[é] de toutes pièces » les preuves qui lui manquaient pour montrer l’innocence de Dreyfus, la culpabilité d’Esterhazy et la complicité d’Henry et qui, bienheureusement flétri par la veuve Henry, s'[était] empressé de disparaître » (« À Rennes. Cinquième journée », 18 août) ; décrivit la déroute de Picquart – qui n’était plus le bel homme qu’il avait été –, son impuissance, son système « en zigzags et en pirouettes », ses mensonges ; témoigna de l’obligation dans laquelle il s’était trouvé « d’avouer son imposture », aveu qui avait « plongé les amis du traître dans une consternation indicible », expliqua sa sortie piteuse, « la mort dans l’âme au milieu de ses acolytes éperdus », « tout pâle des soufflets qu’il venait de recevoir » qui marquaient aussi la certitude d’une nouvelle condamnation de Dreyfus (« À Rennes. Sixième journée », 19 août) et de son « exécution méritée » par Gonse et Billot ; perçut l’excellence de Cuignet (« À Rennes. Septième journée », 20 août), la sincérité de Gribelin, la justesse de Lauth, la clarté de Junck et aussi la stupéfaction de Dreyfus devant « cette accumulation de témoignages écrasants » et sa faiblesse – « si l’on ne savait pas qu’on à affaire à un ancien officier d’État-major sorti dans un bon rang de l’école de guerre, on le prendrait pour un pauvre diable sans instruction, incapable d’enchaîner deux idées » (« À Rennes. Huitième journée », 22 août) ; se délecta de la « verve intarissable » de Labori, de « ses éclats de voix, ses gestes, sa gymnastique à la barre, la façon dont il se dresse tout à coup pour poser des questions qui doivent nous embarrasser et qui tournent à sa confusion, la naïveté de ses malices, la grossièreté si apparente des pièges qu’il essaie de tendre aux témoins, ses phrases agressives » ; nota la « loyauté et [la] franchise de Bertin-Mourot, de Gendron et de Maistre (« À Rennes. Neuvième journée », 23 août) ; et, après la déroute, l’écrasement de Picquart qui « a bu la honte pendant cinq heures, sans oser regarder une seule fois ses contradicteurs en face » (« À Rennes. Onzième journée », 25 août), un Picquart dont la « flétrissure morale » ne faisait aucun doute comme ne pouvait faire de doute – « résultat désormais acquis » – que
la substitution d’Esterhazy, chef de bataillon dans un régiment, d’infanterie en province, à l’officier d’état-major Dreyfus, installé en qualité de stagiaire dans les bureaux du ministère de la guerre, a été mathématiquement démontrée impossible. Tous les efforts de Picquart, toute la campagne menée dans les feuilles à sa dévotion, les affirmations des uns, les faux témoignages des autres, les déclamations, les injures n’ont pu prévaloir devant la simplicité des faits probants apportés à la barre et soumis aux juges par l’accusation.
Dans cette logique, il disqualifia le dreyfusard Gobert au profit de Bertillon – dont « le caractère scientifique d[e la] déposition ne souffre pas, on s’en doute bien, de résumé ni d’analyse succinte » (« À Rennes. Douzième journée », 26 août) – dont il vit, devant « la figure bouleversée du traître, la mine allongée de Me Demange et l’abattement de ce cher Labori », que la démonstration « magistrale » avait pour le moins porté. Une démonstration dont les intellectuels pouvaient se gausser :
Crânes déformés, cerveaux épais et lourds où la substance grise fait totalement défaut, ces convaincus du parti appartiennent à la catégorie des pauvres humains dont l’Écriture dit qu’ils ont des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre. Comment, saisiraient-ils les explications scientifiques de M. Bertillon, alors qu’ils ne possèdent pour la plupart qu’une éducation des plus élémentaires ?
Bertillon, il l’assura, « a[vait] apporté au conseil de guerre ce que nos adversaires feignent de réclamer à cor et à cri : la preuve tangible, matérielle de la culpabilité de Dreyfus » (« À Rennes. Treizième journée », 27 août), preuve que n’avaient certes pas su apporter Paraf-Javal, « professeur de dessin », Maurice Bernard et « son discours prétentieux, son aplomb, sa fatuité dissimulant mal le vide de sa pensée et le peu de consistance de son raisonnement » (« À Rennes. Quatorzième journée », 29 août), Meyer, Molinier et Giry, « anabaptistes de la rue des Archives » à « la confiance inébranlable […] en leur supériorité » (« À Rennes. Seizième journée », 31 août), Havet, « professeur à lunettes » (« Rennes. Dix-neuvième journée », 3 septembre), pas plus que Cordier, qui « comme intensité comique, dépasse quelquefois les paillasses de profession » et dont « il ne rest[ait] rien ou presque rien » de la déposition » (« Rennes. Quinzième journée », 30 août). Belon en témoigna, il ne restait rien des témoignages de la défense, et rien de Dreyfus :
Le misérable fait pitié à voir. Ce n’est plus un officier, ce n’est plus un homme ; c’est une loque qui semble jetée là sur cette chaise ; c’est un automate qui se dresse parfois mû par des ressorts nerveux mais qui n’a ni volonté, ni personnalité, ni indépendance d’esprit.
Et il put voir « la tête pâle dev[enir] blême : une vraie tête de condamné à mort » quand fut appelé Lebrun Renaud qu’il n’osa pas, pendant toute sa déposition, regarder et face auquel il n’eut « pas un mot indigné » autre qu’une phrase « récité[e] » qui, « pour tous ceux qui l’ont entendue […] n’est pas une réfutation sérieuse » et dont la manière dont elle fut prononcée « confirm[ait] pleinement ses aveux » (« Rennes. Dix-septième journée », 1er septembre).
Cette incroyable manière de concevoir son métier de journaliste – sourde et aveugle, pour reprendre sa citation des « Écritures » –, Belon n’en varia pas jusqu’au dernier jour du procès où il rendit hommage à Carrière qui « a parlé de l’affaire sans passion, sans haine et sans crainte », « en soldat, simplement, sobrement » (« Rennes. Vingt-troisième journée », 8 septembre) et ironisa sur Demange, lui trouvant
quelque chose du maquignon, haut en couleur, lèvres rasées, avec des pattes de lapin sur, les joues, de l’homme qui vous vend un cheval vicieux entre deux bolées de cidre et qui, pour mieux vous convaincre et vous tromper sur la qualité de la marchandise, affecte une franchise, une bonhomie que dément la malice du regard.
Celui dont l’existence tout entière fut employée à sauver les pires gredins de la guillotine, à blanchir des chourineurs,’des incendiaires, des empoisonneurs, à essayer de rendre à la société des malandrins et des escarpes, va présenter, avec une émotion peut-être sincère mais plus probablement bien jouée, la défense de Dreyfus : rude besogne en vérité, lourde tâche et qui fera fléchir les épaules de cet athlète du barreau, usé par tant d’autres plaidoiries aussi vaines. (« Rennes. Vingt-quatrième journée », 9 septembre).
Le prononcé du verdict, conforme à ses prédictions, le satisfit pleinement, on s’en doute. Un verdict qu’il accueillit sans autre triomphalisme que la joie que lui procurait « l’état d’abattement et de prostration » des dreyfusards. Rien ne pourrait arrêter, écrivait-il juste avant le prononcé, « l’œuvre lente mais persévérante et intangible du conseil de guerre » et ce « malgré les obstacles accumulés, les incidents multipliés, les manœuvres obstructionnistes, les mensonges impudents, les menaces, malgré Labori, malgré Demange, malgré Picquart, malgré le gouvernement lui-même […] ». Et il rendait pour cela un vibrant hommage à Jouaust :
Le colonel Jouaust, n’écoutant que la voix de sa conscience, connaissant son devoir et les pouvoirs que la loi lui confère, n’a subi aucune influence, ne s’est laissé intimider par aucun ordre direct ou indirect. Il avait le gouvernail en main, il l’a tenu vigoureusement sans un faux coup de barre, avec une sûreté imperturbable, en évitant tous les écueils semés devant lui. Sans tenir compte de l’orage qui paraissait gronder au-dessus de sa tête, il a conduit l’embarcation au port.
Je n’hésite pas à le proclamer avant même de connaître le verdict : le colonel Jouaust a bien mérité dé l’armée, de la justice et de la patrie. (« Rennes. Vingt-cinquième journée », 10 septembre).
Jouaust, faut-il le rappeler, qui ne votera pas la condamnation…
Par la suite, Belon, qui à notre connaissance n’écrira plus sur l’Affaire, entrera à La Liberté (1904), puis au Journal dont il dirigera le service politique (1905-1909) et enfin à L’Éclair (1910). Il quittera en 1911 le journalisme pour entrer dans l’administration coloniale et sera trésorier-payeur général à Djibouti puis à Bingerville (Côte-d’Ivoire).
Sources et bibliographie : on trouvera un télégramme de Belon à Montorgueil de L’Éclair disant la même chose que la réponse à L’Aurore à la Houghton Library de l’université d’Harvard, sous la cote : Ms Judaica 1.3, 153, f.1-2). On consultera son dossier de la Légion d’honneur sous la cote : 19800035/318/42923.
Philippe Oriol