A propos de ce dictionnaire

Il n’est pas simple, aux temps du marketing, de publier des ouvrages monumentaux. Ce projet de dictionnaire ouvert de l’Affaire, ambitieux, que j’ai lancé en 1999, avait été initialement pensé comme devant faire l’objet de quatre lourds volumes. Ce qui était alors possible ne l’est plus guère aujourd’hui à moins de proposer un ensemble dont le prix de vente public ne serait accessible qu’aux seules bibliothèques. C’est pourquoi, plutôt que d’en donner une version allégée qui n’aurait aucun intérêt, j’ai pris la décision d’en faire un site – appendice du blog de la SIHAD. Il sera ainsi possible de donner à ce dictionnaire toute la place nécessaire, de l’illustrer, d’en faciliter la lecture et de lui assurer sa vocation d’outil de travail grâce aux outils qu’offre le web : moteur de recherche intégré, système de catégories qui permet de sélectionner et de regrouper les notices par lieux, professions, tendances, renvois d’une notice à l’autre grâce aux liens hypertextes, etc. Mais surtout cette version digitale permettra de pouvoir enrichir, compléter, corriger, sans limite ce dictionnaire. Enfin, elle permettra, comme il est loin d’être fini, de le construire au fur et à mesure… 

Voici, dans une version actualisée, ce qu’en était alors l’introduction :

Une idée communément admise veut qu’il n’y ait plus rien à dire sur l’affaire Dreyfus. Certes, concernant le drame juridico-diplomatique, l’identité du véritable coupable, l’existence à l’État-major d’une « collusion » pour perdre l’innocent injustement condamné, la chose est une fois pour toute entendue : l’Affaire ne recèle aucune « vérité cachée » et il n’y a plus à y revenir. Mais que sait-on du reste ? Les travaux sur l’Affaire, nombreux, menés depuis une quarantaine d’années, ont mis à jour des champs pas – ou peu – explorés et ont permis d’en savoir un peu plus sur sa réception en France comme à l’étranger et sur ses représentations, sur quelques groupes et sur quelques acteurs souvent négligés. Pourtant, et même si notre connaissance s’affine au rythme des publications, il reste beaucoup à savoir. Prenons les acteurs. Si Picquart, Henry, Esterhazy, Clemenceau semblent maintenant bien connus, qu’en est-il des seconds et troisièmes « rôles » ? Que sait-on, précisément (pour s’en tenir à l’ordre alphabétique), du colonel Léon Abria, de Calixte Accarias, ou de l’engagement de Paul Acker, etc. ?  Que sait-on réellement du rôle de Billot, de Gonse, de Boisdeffre, de d’Aboville ou de Bertin-Mourot ? Sait-on les dreyfusards d’importance que furent Maurice Allard, Pierre Bertrand ou Georges Barbézieux ? Sait-on avec quelle vigueur s’exprima l’antidreyfusisme d’un Théodore Denis, d’un Renaud d’Elissagaray de Jaurgain ou d’un Georges de Beauregard ? Sait-on que, contrairement à toute attente, un Jacques Bainville ou un Pierre Biétry furent convaincu un temps de l’innocence de Dreyfus et le firent savoir ? Sait-on qu’un Henri-Gabriel Ibels, parmi d’autres Henry de Bruchard ou Guy Péron, dreyfusard d’importance, changea de camp en 1901 ? Et que sait-on, réellement, de ceux qu’on croit si bien connaître ? Ainsi de Picquart qui fut sans doute un héros mais dont l’ambivalence a été récemment montrée, ainsi du principal intéressé, du héros de l’Affaire, de Dreyfus lui-même. On ne sait que depuis peu, depuis l’histoire des Dreyfus due à Michael Burns et la publication des Carnets, depuis surtout l’excellent travail de Vincent Duclert, que le célèbre capitaine n’était pas l’antipathique « mannequin » qu’on a bien voulu faire de lui mais un tout autre homme, actif et conscient en tout de la portée de son Affaire.
C’est ce manque que nous voulons combler aujourd’hui avec ce Dictionnaire. Donner, le plus précisément possible, les éléments qui permettront de savoir dans le détail et loin des légendes ce que fut le rôle de chacun dans cette affaire d’une grande complexité. Tous, ou presque, y figurent. Des acteurs principaux aux moins importants, en passant par ceux, célèbres alors, qui tinrent à marquer, d’une façon ou d’une autre, la position qui était la leur et faire part des sentiments qui les animaient. Un outil, donc, qui devrait permettre à chacun de s’y retrouver et de savoir qui fit quoi, comment et pourquoi, mais aussi un corpus qui, avec le jeu d’index des rubriques (par profession, lieu d’activité et ou de naissance, etc.) – à droite de l’écran –, permettra de faciliter les études géographiques et les études de groupes.
Mais l’Affaire étant beaucoup plus que l’engagement, d’un côté ou de l’autre d’individus, il nous fallait aller plus loin. Considérer les journaux, la totalité des journaux, qui à Paris, en province, à l’étranger, s’engagèrent, les groupes, partis, ligues et comités, les mouvements d’opinions, les représentations artistiques et littéraires, et donner enfin les pièces utilisées contre Dreyfus et Picquart qui sont, le plus souvent, de bonne ou mauvaise foi, fautivement retranscrites. Nous avons donc prévu, après une deuxième partie consacrée aux journaux et revues, aux département ou régions et aux pays, de couvrir, en une troisième partie, l’Affaire dans sa totalité à travers une certain nombre de rubriques : les procès et procédures (du procès de 1894 aux procès de Dreyfus contre L’Action française) ; les pièces du dossier secret ; les mots-clés ; les adresses, manifestes et protestations ; les groupes, ligues, comités et partis ; les objets et images ; les mises en roman et en scène, en musique et en tableaux ou sculptures.
Si notre volonté, avec le présent dictionnaire, est d’approcher l’exhaustivité, il est bien évident que nous n’avons pu l’atteindre et que telle gloire sous-préfectorale a peut-être – malgré nos efforts pour la débusquer – échappé à notre vigilance. Qu’on veuille donc bien excuser, nous en prions le lecteur, les possibles oublis et l’invitons à nous le signaler pour que ce dictionnaire puisse remplir le rôle qui est le sien : aider à y voir un peu plus clair dans le maquis de l’affaire Dreyfus, pour reprendre le titre d’un ouvrage paru à l’époque, et, surtout, ouvrir de nouvelles pistes de recherches sur cette Affaire sur laquelle il reste décidément énormément à dire.

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Avant de voir défiler ce cortège qui fait du présent ouvrage tout autant un dictionnaire de l’Affaire qu’un dictionnaire des mondes politique, artistique, littéraire, militaire et judiciaire de la période 1890-1914, il reste un mot à dire de la manière dont a été guidé mon choix pour retenir les noms qu’on verra apparaître ici et de quelle façon ont été rédigées les notices.

Choix des noms
Par définition, tout personnage lié, d’une façon ou d’une autre à l’Affaire, quelle que soient l’importance de son action et la qualité de son engagement, a été répertorié et doit pouvoir être retrouvé ici. Mon point de départ furent les index des histoires de l’Affaire dues à Reinach et à Dutrait-Crozon auxquels j’ai ajouté les noms des témoins aux différents procès et procédures. À cela, j’ai ajouté les noms de ceux dont j’ai pu dresser la liste en dépouillant les articles et volumes publiés sur des aspects particuliers de l’Affaire. Encore, pour dresser la liste des hommes politiques qui prirent position dans un camp comme dans l’autre, j’ai dépouillé systématiquement les débats parlementaires et, pour répertorier ceux qui firent allusion à l’Affaire au cours de leur campagne pour les élections de 1898 et 1902, j’ai relevé les professions de foi des candidats en dépouillant les Recueils Barodet et, pour les candidats malheureux, la presse de Paris et de province. Ce dernier travail[1] m’a permis aussi d’identifier un grand nombre de personnalités locales. Ensuite, j’ai dépouillé, systématiquement, le fond Ochs de la Bibliothèque historique de la ville de Paris ainsi que les fonds d’archives publics consacrés à l’Affaire dont on trouvera le détail dans la bibliographie de notre récente Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours. Enfin, j’ai systématiquement dépouillé les protestations, souscriptions, pétitions et adresses, adhésions aux ligues liées à l’Affaire qui m’ont permis de dresser la liste de personnalités qui, si elles ne se sont pas engagées à proprement parler, tinrent, par leur signature, à marquer la position qui fut la leur.
Mais bien sûr, ce faisant, des choix ont été nécessaires. Par exemple, ceux qui dans les années 30 revendiquèrent un dreyfusisme que rien ne corrobore (Alphonse de Chateaubriant, René Coty, Fayolle-Lefort, Georges de La Fouchardière, Pierre Laval, René Martial, George Montandon, etc.[2]), ont été systématiquement écartés. De même, je n’ai pu retenir tous les universitaires, tous les membres du barreau, tous les archivistes-paléographes, etc. qui signèrent des listes de protestation et de souscription ou apportèrent un discret soutien à un collègue publiquement engagé. Seuls les plus importants (critère arbitraire s’il en est, j’en conviens), ou ceux dont l’engagement se manifesta plus précisément, ont été retenus. Il en est ainsi encore des conseillers à la Cour de cassation ou des parlementaires, qui furent mêlés par leurs votes à l’Affaire, et dont je n’ai retenu que ceux qui prirent réellement position ou dont l’engagement fut, dans un camp ou dans l’autre, marqué. Quant aux maires et aux conseillers généraux qui se sont exprimés par des vœux collectifs ou des déclarations personnelles, par le fait de donner leur signature aux protestations et souscriptions dreyfusardes et antidreyfusardes, aux listes d’adhésions aux ligues, là encore j’ai pris le parti, faute de n’avoir pu rendre visite à tous les centres d’archives départementaux, de ne faire figurer dans ce dictionnaire que ceux pour lesquels il m’a été possible de suivre et de reconstituer – au moins pendant l’Affaire – l’itinéraire.

Présentation des notices
Tout d’abord quelques mots sur la taille des notices. Elle ne dépend pas de l’importance de la personnalité mais de celle de l’engagement, en fonction, bien sûr, de la matière dont nous disposons. Cela dit, un tel dictionnaire étant le lieu pour révéler ces engagements oubliés ou négligés, il m’a paru judicieux de leur allouer plus d’espace qu’à ceux, connus, qui ont fait l’objet déjà de nombreux et d’importants travaux. La notice Zola, par exemple, personnage de premier plan sur lequel les études sont nombreuses, est nettement moins importante que les notices Émile Gallé, Sébastien Faure ou Jules Cornély, dont on sait finalement peu de choses, ou que les notices Georges Berthoulat, Maurice Allard, ou Pierre Bertrand dont on ne sait rien.
Ces notices sont toutes établies sur le même modèle : nom, prénom, profession, dates de naissance et de décès (quand nous avons pu les retrouver), formation, avant-Affaire, engagement, après-Affaire, dernières années et sources, bibliographie.

Sources et références
Les notices du présent dictionnaire ont toutes été établies, indépendamment de ce qui concerne à proprement parler l’Affaire (c’est la participation à l’Affaire qui est la moins connue et le plus souvent pas même mentionnée dans les ouvrages listés à la suite), à l’aide d’un certain nombre de dictionnaires biographiques : le Curinier, le Gubernatis, le Vapereau, les Carnoy, le Dictionnaire de biographie française, pour citer les principaux dictionnaires « ouverts » , et, pour les « fermés » : le Bénézit, le Maitron, le Robert-Cougny et le Jean Jolly, le Bertrand Joly, l’Arlette Schwartz, les Christophe Charle, les Ernest Gay, le Georges Étard, les Alphonse Bertrand, etc. et les nombreux dictionnaires biographiques dédiés, département par département, aux personnalités locales[3]. Pour ne pas alourdir inutilement ce dictionnaire, le parti a été pris de ne pas faire figurer en bibliographie tous ces renvois qui a priori vont de soi. Nous nous bornons donc, pour une connaissance plus large de l’auteur, à ne renvoyer qu’aux monographies spécifiques (quand elles existent) et à ne rassembler, auteur par auteur, que les références relatives à l’Affaire.
Cette décision, qui a donc été commandée par la volonté de ne pas alourdir la présentation du présent travail, obéit aussi au simple fait que les notices que nous proposons se veulent une synthèse (pour la partie hors-Affaire, s’entend) de ces précédents travaux. Une synthèse d’informations que, la plupart du temps, nous avons vérifiées. Ainsi, grâce au travail forcené et en tout amical de Patrick Ramseyer dans un premier temps, grâce, depuis quelques années, à la mise en ligne des états-civils, la plupart des dates de naissance et de décès ont été contrôlées. Ce travail nous a ainsi permis de – souvent – corriger celles données par les différents dictionnaires biographiques. Sans doute trouvera-t-on ici encore, sur telle date, tel détail, des erreurs. Il ne nous a bien sûr pas toujours été possible de tout vérifier (les dates vérifiées sont suivies d’un astérisque) et certaines vérifications n’ont pas pu être menées à bien. Nous prions une nouvelle fois le lecteur de bien vouloir nous en excuser.

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Un dernier mot. Pour ce dictionnaire, j’ai fait appel à quelques collaborateurs, spécialistes sinon de l’Affaire tout au moins de la IIIe République ou des auteurs qu’ils ont pris en charge. Qu’on me permette donc de remercier tous ces amis qui ont simplement et gentiment accepté de collaborer à ce projet de plusieurs années et tout particulièrement à Jean Guiffan, André Hélard, Bertrand Joly, Emmanuel Naquet, Bruno de Perthuis et Bertrand Tillier qui ont parfois pris en charge un grand nombre de notices.
Que soit remercié encore et pour finir Patrick Ramseyer, déjà évoqué, dont la collaboration me fut plus que précieuse en ce qu’il m’aida dans mes recherches biographiques pendant les première années de ce travail. Il faut lui rendre hommage pour sa gentillesse, sa simplicité, son désintéressement et surtout pour l’immensité d’un savoir dont il fait profiter de nombreux chercheurs. Sans lui, bien des travaux n’auraient pas la qualité qui est la leur et, pour le présent dictionnaire, de nombreuses notices auraient été bien incomplètes.
Que soient enfin remerciées l’Institut Alain de Rothschild et la Fondation Lorraine Beitler, institutions qui, au tout début de ce chantier, en 1996, nous aidèrent financièrement et permirent ainsi de couvrir une partie des frais de reproduction.

Cette recherche a surtout été rendu possible grâce à une bourse d’écriture du CNL.

Philippe Oriol

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[1] Dans la mesure du possible… En effet, si j’ai pris le parti de dépouiller systématiquement, département par département, les journaux (des quotidiens au semi-périodiques en passant par les hebdomadaires) qui se publiaient en France de 1894 à 1908, mon travail a été rendu difficile par la quasi-absence de politique de conservation des périodiques de province qui est celle de la BNF. Neuf demandes sur dix aboutissant au sempiternel « hors d’usage », il m’a fallu courir les archives départementales et les bibliothèques municipales pour mener à bien cette recherche. Une recherche, dans un premier temps, rendue difficile par le fait que les collections y sont bien souvent incomplètes et que le temps et les moyens, malgré les quelques soutiens dont j’ai bénéficié, m’ont manqué pour aller au bout de cet impossible et pourtant nécessaire tour de France et, dans un second temps, facilitée par la politique des différents centres d’archives de mise en ligne, en cours depuis quelques années, des collections de périodiques… un chantier qui malheureusement n’est et qu’à ses débuts…

[2] Voir Simon Epstein, Les Dreyfusards sous l’Occupation, Paris, Albin Michel, 2001.

[3] Toutes les références de ces dictionnaires biographiques se trouvent dans la bibliographie.