Alphonse Bertillon

Bertillon, Alphonse, fonctionnaire français, né à Paris le 22 avril 1853*, décédé à Paris le 13 février 1914*.


Son père, Louis Adolphe Bertillon (1821-1883) avait été médecin avant de devenir l’un des premiers membres de la Société de Statistiques et de la Société d’Anthropologie. On lui doit d’importants travaux en démographie (il devait d’ailleurs fonder les Annales de démographie en 1877). Le frère d’Alphonse, Jacques Bertillon, poursuivit les travaux de son père en lui succédant comme chef des travaux de statistiques de la ville de Paris (de 1883 à 1913) et comme fondateur du Collège Libre des Sciences Sociales (1895).
Bien qu’issu d’un milieu culturellement privilégié, Alphonse Bertillon était loin d’être un élève brillant ; son père l’envoya donc étudier en Écosse, pays où il fut un temps précepteur. En 1879, il entra à la Préfecture de Police de Paris ; son travail consistait à recopier sur des fiches les signalements des détenus arrêtés dans la journée. Trouvant le système défectueux, il conçut très vite une méthode de signalement des individus reposant sur leurs mensurations osseuses. Convaincu de la supériorité de son système, il adressa le 1er juillet 1879 un rapport au préfet de police Andrieux, qui le rejeta en le traitant de fou furieux. Il devait avoir plus de chances avec son successeur, qui lui donna trois mois pour expérimenter sa méthode. Au bout de deux mois, un récidiviste était identifié et appréhendé. Le bertillonnage fut donc adopté en France. Sa propagation fut très rapide puisqu’en 1888 les États-Unis adoptaient définitivement le système anthropométrique. Quelques années plus tard, Bertillon s’attirait les faveurs du grand public grâce à l’arrestation de l’anarchiste Ravachol. Contrairement à une idée répandue, ce n’est pas Bertillon qui inventa le procédé d’identification par empreintes digitales ; il contribua cependant au perfectionnement de cette technique en confectionnant des poudres permettant de relever les empreintes.
Bertillon aurait pu poursuivre sa brillante carrière et entrer dans l’histoire comme l’un des inventeurs de la police scientifique. Beaucoup de dictionnaires ne mentionnent d’ailleurs que cet aspect de sa vie. Malheureusement, il joua également un rôle désastreux durant l’affaire Dreyfus en échafaudant la thèse de l’autoforgerie, théorie qui devint la pièce maîtresse de l’accusation et des antidreyfusards.
Dans la biographie qu’elle consacra à son oncle, Suzanne Bertillon consacre un chapitre à l’Affaire. Selon elle, son oncle était un homme farouche, timide, peu doué sous le rapport de l’éloquence et il avait horreur de prendre la parole en public (« il en éprouvait une telle gêne qu’il en perdait le fil de ses idées et ne pouvait guère parler alors qu’en hésitant »). Il professait des idées libérales éloignées de tout antisémitisme et il avait eu un coup au cœur en apprenant que certaines personnes qui l’avaient aidé dans le passé se trouvaient maintenant au rang de ses opposants : Maître Demange était devenu l’avocat de Dreyfus, son cousin germain Gustave Hubbard avait accepté de témoigner au procès Zola (voir infra) et son propre frère Jacques cessa de le soutenir après le suicide d’Henry. Il aurait par conséquent été la victime des partisans de Dreyfus qui s’acharnèrent à le ridiculiser.
Cependant un grand nombre de témoignages viennent largement noircir ce tableau. Selon Maurice Paléologue, Bertillon était un halluciné, un fou enfermé dans la dialectique d’une psychose interprétative. Pour Casimir-Perier, Bertillon était complètement fou, « d’une folie abracadabrante et cabalistique » digne d’un échappé de la Salpetrière ou de Villejuif (Paléologue, p. 28). Enfin, Joseph Reinach devait écrire à son sujet : « L’homme dans le commerce ordinaire était probe, désintéressé, on cherche le mobile d’un si horrible acharnement ; aucun autre qu’un monstrueux amour-propre d’inventeur. Coûte que coûte, il faut qu’il ait raison du juif, des journalistes qui l’ont livré à la risée publique. Il n’y a donc pas seulement de la folie chez lui, comme on pourrait croire à son œil hagard, ses gestes de maniaque, de pantin enragé, sa voix rauque, telle qu’on en entend sortir des cabanons » (Reinach, II, p. 586). Bertillon ne fut probablement pas le dément que les dreyfusards se plurent à décrire mais un homme qui s’emprisonna dans la logique absurde de sa théorie au point de perdre tout sens des réalités.
Force est de reconnaître que la théorie de l’autoforgerie contribua à saper la réputation de sérieux de ce fonctionnaire zélé. Bertillon n’était en aucun cas spécialiste en graphologie et il ne fut jamais officiellement désigné comme expert judiciaire. Aussi exprima-t-il quelques réticences lorsque le préfet Lépine lui demanda, le 13 octobre 1894, d’étudier en détail le bordereau et de comparer son écriture avec celle de Dreyfus (il avait été chargé quelques jours auparavant de procéder à des agrandissements du bordereau dans les services de l’identité judiciaire). Cependant, son sens du devoir reprit rapidement le dessus ; dix heures plus tard, il rendait son rapport qui se terminait par une conclusion : « Si l’on écarte l’hypothèse d’un document forgé avec le plus grand soin, il appert manifestement pour nous que c’est la même personne qui a écrit les pièces communiquées et le document incriminé ». Bien que relativement nuancé, son jugement faisait déjà apparaître l’hypothèse d’un document forgé et il semble que dès le début de l’affaire, Bertillon fut hanté par le souvenir de l’affaire du faux testament de M. de la Boussinière, qui était en réalité un décalque effectué par un autographiste.
Une semaine plus tard Bertillon remettait un nouveau rapport qui présentait une interprétation nettement moins charitable pour Dreyfus. Il affirmait en effet que l’officier avait, à l’aide d’un procédé millimétrique d’une complexité toute germanique, écrit le bordereau en imitant imparfaitement sa propre écriture et en la mélangeant avec celle de son frère ; son objectif aurait été d’éloigner tout soupçon à son encontre en faisant croire que quelqu’un d’autre avait imité son écriture pour le perdre. En d’autres termes, la thèse de l’autoforgerie postulait que Dreyfus s’était approprié l’arsenal de l’espion et du faussaire en écriture bancaire : son stratagème lui permettait de prétendre, selon les circonstances, soit que la pièce avait été fabriquée, soit dénier toute ressemblance avec son écriture. Bertillon fondait sa thèse sur deux constatations essentielles. D’une part, le bordereau était constitué d’un papier pelure presque transparent ; étant donné qu’il n’est guère courant de correspondre sur un tel papier à lettre, il supposait que le choix d’un tel support était motivé par la volonté de s’en servir comme d’un calque. D’autre part, certains mots ou certaines syllabes répétées dans le texte du bordereau semblaient identiques entre eux et pouvaient pratiquement être superposés ; ils paraissaient s’aligner sur une sorte de quadrillage invisible et semblaient obéir à une curieuse loi : leur superposition se faisait toujours avec un recul de 1,25 millimètres ou avec un multiple de cette valeur. Une telle valeur était particulièrement familière des militaires puisqu’elle correspondait au kutch, une constante permettant de convertir les distances sur des cartes d’État-Major d’échelles différentes. Poursuivant ses analyses, Bertillon crut pouvoir affirmer que le mot redoublé « intérêt » obéissait presque parfaitement à cette loi « kutchique » : les traits, les espacements ou les courbes avaient tous un rayon mesurable en kutchs. En conséquence, ce mot devait être le gabarit sur lequel le bordereau avait été calqué. Dreyfus avait selon lui constitué une chaîne formée du mot « intérêt » (intérêtintérêtintérêt) répété plusieurs fois et avait ensuite rédigé le bordereau sur du papier pelure en calant chaque mot sur celle-ci. Toutes les similitudes et superpositions se trouvaient donc expliquées dans ce vaste système qui mêlait des mesures très fines effectuées sur des reproductions photographiques bricolées, des calculs de probabilités erronés et des analyses psychologiques puériles.
Autodidacte de formation, Bertillon n’avait pas fait d’études supérieures mais certaines disciplines scientifiques, comme le calcul des probabilités, exerçaient sur lui une sombre attraction. Probablement en raison des multiples appels aux mesures et aux calculs, le système de Bertillon exerça une attraction incompréhensible sur un grand nombre d’acteurs de l’affaire : l’État-major militaire salua sa théorie comme l’un des chefs-d’œuvre de la science moderne ; les juges militaires de Dreyfus, issus pour la plupart de Polytechnique, prêtèrent une oreille plus qu’attentive à un discours utilisant des concepts scientifiques dans lesquels ils avaient été baignés ; enfin, les antidreyfusards virent dans cette théorie l’occasion de donner un contenu « scientifique » à leur discours, non sans une certaine mauvaise foi (voir par exemple la synthèse vulgarisée de la conférence de George Bonnamour ; références données en blbiographie). La culpabilité de Dreyfus découlait ainsi d’une analyse scientifique menée par un spécialiste incontestable des affaires criminelles. Dans une société en profonde mutation, fortement marquée par la croissance des connaissances scientifiques et facilement tentée par les sirènes du scientisme, on comprend le pouvoir de séduction que parvint à exercer la théorie de Bertillon sur certains. C’est ainsi qu’un des juges de 1894, Freystätter, pourra plus tard se souvenir de l’impact qu’eut sur les juges la déposition Bertillon (Cassation I. II, tome 2, p. 7), « témoignage accablant » du fait de « la haute situation » de son auteur et de sa « réputation d’inventeur de l’anthropométrie ». Pour Freystätter, elle devenait en cela « un témoignage accablant » (Freystätter, « Impressions restées des quatre journées du procès Dreyfus en 1894 », BNF n.a.fr. 24896, f. 338-339. Voir aussi sa lettre à Joseph Reinach du 2 octobre [1900], ibid., f. 346).
Bertillon fut amené à intervenir dans la plupart des instructions et des procès liés à l’Affaire : on l’entendit donc non seulement lors du premier procès de Dreyfus en décembre 1894, mais également lors du procès Zola en février 1898, lors de la première révision, lors du procès de Rennes, en août 1899 (une déposition fleuve de plusieurs heures, durant laquelle il se fit fort de reconstituer le bordereau à l’aide d’une règle et d’une pièce de 5 sous) et enfin lors de la seconde révision. Son intervention la plus sensationnelle demeurera celle devant le conseil de guerre en 1894 ; c’est à cette occasion qu’il présenta son « redan », un fantasmagorique diagramme résumant sa théorie qui contribua à asseoir sa réputation d’aliéné raisonnant.
Malgré les sourires du public et les comptes rendus amusés de la presse, ces multiples interventions exercèrent une influence non négligeable. Sans-cesse remaniée et remodelée par son auteur au gré de ses dépositions, la théorie de l’autoforgerie fut ainsi reprise et adaptée jusqu’en 1904 par quelques « disciples » plus ou moins fidèles, comme le capitaine Valério, le commandant Corps ou « un ancien élève de l’École Polytechnique », auteur d’une fameuse brochure verte (Le Bordereau de M. Bertillon et du Capitaine Valério, 1904).
Cependant la communauté intellectuelle mathématique mit un terme définitif à l’autoforgerie en démontant ses innombrables défauts et en mettant en évidence son utilisation fallacieuse du calcul des probabilités : Paul Painlevé rédigea ainsi plusieurs articles et brochures critiques sur l’autoforgerie ; en outre, les mathématiciens Paul Appell, Gaston Darboux et Henri Poincaré furent désignés en avril 1904 pour mener une enquête sur les divers systèmes ou études graphologiques concernant le bordereau. Les trois savants rédigèrent donc un important rapport analysant point par point les différents arguments de Bertillon. S’appuyant sur l’interrogatoire de Bertillon, sur des mesures minutieuses ainsi que sur des vérifications de ses calculs de probabilités, ce rapport d’enquête, dont les conclusions furent reprises dans le jugement de la Cour de cassation, sonna le glas de cette forme ultime de bertillonnage. En 1907, l’Action Française continuait cependant de soutenir le système de Bertillon.
Le rôle de Bertillon ne se limita toutefois pas à la question des expertises, à laquelle, pour être complet, il faudrait ajouter celle de la pièce « D… m’a porté beaucoup de choses très intéressantes » dans laquelle il affirmera que le « D. », remplaçant un « P. » comme on le découvrira plus tard, remplaçait en fait un « D. » (Cassation I. III, p. 90). Il joua en effet dans l’Affaire un rôle de soutien de l’accusation qui s’exprima à plusieurs occasions et de manières différentes. En 1894, au moment des expertises, il assuma le rôle de conseil et de guide pour les trois experts désignés, Étienne Charavay, Eugène Pelletier et Pierre Teyssonnières, qui furent vivement encouragés à consulter un Bertillon qui se tenait à leur disposition et pour cela les « stimulait » (lettre de Picquart au garde des Sceaux du 14 septembre 1898, AN BB19 105, f. 9). Charavay et Teyssonnières s’y rendirent et conclurent à la concordance alors que Pelletier, qui refusa et s’en montrera plus tard satisfait (« Je suis heureux de ne pas m’être rendu chez M. Bertillon, car cette démarche aurait pu me faire commettre une erreur » – Rennes II, p. 470), n’attribua pas le bordereau à Dreyfus. Il eut encore à intervenir à la fin du mois d’août 1896 quand Picquart, ayant découvert la trahison d’Esterhazy, vint le trouver avec des échantillons de l’écriture le véritable traître. S’il déclara qu’il s’agissait sans aucun doute possible de « l’écriture du bordereau », il ne pouvait faire de doute pour lui que « […] les Juifs font exercer quelqu’un depuis un an pour arriver à prendre l’écriture du bordereau. » Et à la question de savoir de qui il pouvait s’agir, il répondit : « Vous me diriez que c’est du Président de la République, que je maintiendrais mon opinion. » (déposition Picquart à l’occasion de l’instruction Tavernier [Picquart, 1898], AN BB19 83, 8 octobre 1898, f. 13-14). Il dira encore cela fin 1897 à son cousin Hubbard : « Je ne veux pas voir l’écriture ; je ne veux pas la voir, je la connais, c’est celle d’Esterhazy. Je sais qu’Esterhazy est l’homme de paille des juifs, et il finira par avouer. Le bordereau n’est ni daté ni signé : ce ne serait pas un faux, ce serait une pièce quelconque, un élément d’escroquerie et c’est comme cela qu’on espère se tirer d’affaire ! Mais je ne veux pas voir l’écriture. D’ailleurs on ne peut pas, il ne faut pas faire la révision ! On ne peut pas ! Si on la faisait, ce serait la guerre civile, on descendrait dans la rue, ce serait une émeute ; on ne peut pas, on ne doit pas ! » (Procès Zola, I, p. 438). Et au procès Zola, il expliquera cela : « J’avais une écriture qui ressemblait à celle du bordereau ; or j’ai la démonstration absolue que celle du bordereau ne peut pas être d’une autre personne que le condamné. Qu’est-ce que cela me fait qu’il y ait d’autres écritures semblables à celle-là ? Il y aurait cent officiers au ministère de la Guerre qui auraient cette écriture, cela me serait absolument égal, car, pour moi, la démonstration est faite » (I, p. 409-410). Bertillon était si sûr de sa science et de sa méthode, de son analyse et de la justesse de son expertise, et il s’était tellement engagé dans son rapport de 1894, qu’il ne lui était pas possible de revenir sur ce qu’il avait dit. La thèse de « l’homme de paille des juifs » permettait de tout expliquer et de protéger son infaillibilité… et ce quel que soit le sujet. Ainsi, en 1897, il avait été amené à donner son avis d’expert dans une tout autre affaire et ses conclusions avaient été infirmées par les aveux du prévenu que son expertise dégageait. Devant l’évidence, il s’était obstiné et avait expliqué qu’il ne s’agissait-là que d’une manœuvre : « les juifs qui ont le plus grand intérêt à discréditer mes procédés d’expertise en écriture dans l’affaire Dreyfus l’ont payé pour qu’il s’accuse » (raconté par André Lefèvre, Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, dix-huitième année, n° 181, 6 juillet 1899, p. 2383).
Bertillon intervint aussi à la relance de l’Affaire, quelques jours après la dénonciation de Mathieu, quand Esterhazy commença à parler à la presse et raconter que si le bordereau ressemblait d’une manière frappante à son écriture c’est qu’on la lui avait volée. Le 18, obéissant à son « devoir de Français », il écrivit au général de Boisdeffre pour lui dire que « les allégations du Ct Esterhazy sur le rôle rocambolesque qu’il s’attribue dans la confection de la lettre missive incriminée (allégations que je peux apprécier mieux que tout autre), me confirment de plus en plus dans l’idée qu’il est l’homme de paille choisi par la famille D… pour attirer l’affaire sur le plus mauvais terrain. […] Il ne va pas tarder à retourner sa veste et à revêtir le rôle de véritable espion, sosie de D… » (AN BB19 88). En juillet 1898, la veille du discours de Cavaignac, il reviendra sur la question en envoyant au ministère un rapport « spontané » qui « démontrait », « hypothèse des plus sérieuses [et] clef de l’imbroglio actuel », qu’Esterhazy « avait appris à écrire en prenant pour modèle la photogravure erronée du “Matin” [qui avait publié le fac-similé du bordereau en novembre 1896] » (rapport de Bertillon du 6 juillet 1898, pièce 8 du dossier secret, SHD 4 J 118).
Bertillon, enfin, joua aussi un rôle déterminant, et néfaste, dans le système d’accusation contre Picquart. Au procès Esterhazy et au procès Zola, il avait déclaré, sur la foi de son agenda, que Picquart était venu le voir pour une expertise officieuse de l’écriture Esterhazy non pas en août 1896 mais le 16 mai ((I, p. 409). Lors de l’enquête Tavernier relative à Picquart, il vint corriger son erreur en donnant la date du 6 mai, indiquant donc que l’enquête de l’ancien chef de la Section de statistique était bien antérieure à ce qu’il avait toujours dit et donc qu’il avait menti (AN BB19 83, 7 octobre 1898, f. 3-4). Un indéniable mensonge – et un faux témoignage ! – qui indique bien que Bertillon ne fut pas qu’un homme aveuglé par ses certitudes mais bien un acteur complice de la collusion qui travailla à protéger la condamnation de Dreyfus et à perdre son défenseur Picquart. C’est pour cela qu’un Esterhazy pouvait avoir une aveugle confiance en lui et demander à ses protecteurs que lui fut confiée l’expertise de la lettre « du uhlan » (Oriol, p. 507-508) et que Marcel Thomas pourra avancer son nom comme le possible auteur de la « lettre Weyler » (Thomas, p. 291). Et c’est pour cela encore qu’un dreyfusard comme André Lefèvre, en 1900, demandera, sans succès, au conseil municipal de Paris de retirer la direction du service anthropométrique à M. Bertillon qui « porte la responsabilité la plus considérable dans la plus grande erreur judiciaire du siècle » (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, dix-huitième année, n° 181, 6 juillet 1899, p. 2381-2388).
Bertillon mourut le 13 février 1914. On raconte que sur son lit de mort il refusa la rosette de la Légion d’Honneur contre la répudiation de ses conclusions dans l’affaire Dreyfus. Il eut droit à des funérailles nationales. Son nom fut attribué, en 1933, à une rue du quinzième arrondissement.

Sources et bibliographie : on trouvera aux AN deux de ses rapports : celui de 1894 dans AN BB19 121 (et à la Houghton Library), celui du 6 juillet 1898 dans SHD 4 J 118 et celui de Rennes dans AN BB19 100. Sa déposition lors de l’instruction d’Ormescheville se trouve dans AN BB19 101 (Cassation I. II, tome 2, p. 54-55) ; celle de l’instruction Ravary se trouve dans BB19 123 ; sa déposition au procès Zola se trouve dans Le Procès Zola, p. 404-413 et 419-437 ; celle de la première révision dans Cassation I. II, tome 1, pp. 482-499 ; les deux de l’instruction Tavernier dans AN BB19 83 ; celle du procès de Rennes dans Rennes II, p. 318-386 ; celles de la seconde révision dans Cassation II. II, tome 3, pp. 273-276. Notons que celle du procès Esterhazy, couverte par le huis-clos, n’a jamais été consignée. Sur la famille Bertillon, on se reportera utilement aux notices correspondantes dans le Dictionnaire de biographie française (tome 6, 1954, p. 239) ainsi qu’à l’article de Michel Dupaquier, « La Famille Bertillon et la naissance d’une nouvelle science sociale », Annales de démographie historique, 1983, p. 293-311. Concernant le bertillonnage, on lira avec profit l’article d’Éric Heilmann, « Le Bertillonnage et les stigmates de la dégénérescence », Kriminologisches Journal 1, 1994, p. 36-46. Pour plus de détails sur le rôle de Bertillon dans l’affaire Dreyfus, on pourra consulter, avec quelques précautions, les trois livres suivants : le livre de Suzanne Bertillon, Vie d’Alphonse Bertillon, Paris, Gallimard, 1941 ainsi que les deux ouvrages d’Edmond Locard, L’Affaire Dreyfus et l’expertise des documents, Paris, 1937 et Les Faux en écriture et leur expertise, Paris, Payot, 1959. On pourra aussi consulter avec profit l’ouvrage publié sous la direction de Pierre Piazza, Aux origines de la police scientifique. Alphonse Bertillon, précurseur de la science du crime, Paris, Karthala, 2011. Pour une appréciation générale sur les différentes interventions de Bertillon durant l’affaire, on consultera le Reinach et le Oriol. Et pour une appréciation plus récente de l’autoforgerie et de sa réfutation par la communauté mathématique on consultera les deux articles suivants : d’une part, l’article de Bertrand Joly, « La Bataille des experts en écriture », L’Histoire, 173, 1994, p. 36-41 ; d’autre part, l’article de Laurent Rollet, « Autour de l’affaire Dreyfus : Henri Poincaré et l’action politique », Revue historique, CCXCVIII/3, juillet-septembre 1997, p. 49-101. Enfin, on pourra se reporter à l’article de Bertillon publié en 1897 dans La Revue scientifique (revue rose). On pourra aussi consulter son dossier de la Légion d’honneur : LH/213/57. Concernant les réfutations de sa méthode et de ses résultats et celles de ses épigones, on pourra se reporter aux études de Molinier et Painlevé, réunies en brochure : Paris, imprimerie G. Kadar (reprises dans Cassation II. II, tome 3, p. 891-911 et 912-943). Paul Painlevé publiera encore : « Les faux de l’expert Bertillon » (L’Humanité, 16 mai 1904) et : « Le système Bertillon » (Bulletin officiel de la Ligue des droits de l’homme, 4e année, n° 13, 15 juillet 1904, p. 922-945). On se reportera aussi à celles de Maurice Bernard : « Le bordereau. Explication et réfutation du système de M. Alphonse Bertillon et de ses commentateurs » (Le Siècle, 8101213151719 et 20 avril 1904. Repris, en brochure, Aux bureaux du Siècle et dans Cassation II. II, tome 3, p. 827-880) et au rapport de Poincaré, Appell et Darboux (Cassation II. II, tome 3, p. 500-600). On pourra aussi consulter l’étude de Paraf-Javal, édition de sa conférence à la salle d’Arras le 1er juillet 1899 (consultable dans AN 387 AP/6) et se reporter aux notices de chacune de ces personnalités dans le présent dictionnaire. Enfin, pour les avis de l’autre camp, on pourra se reporter aux ouvrages de Bonnamour (La Déposition Bertillon devant la Cour de cassation, Paris, Lepice, 1899, repris, et augmenté de « Le Secret du Bordereau » par un chercheur, et des dépositions de Bertillon et Valério à Rennes, sous le titre Le Procès Dreyfus. Études sur le bordereau, Paris, Pierret, s.d. [1899]) et aux notices « Ancien élève de l’École Polytechnique », « Ancien normalien », Corps, Maurras, Valério).

Laurent Rollet et Philippe Oriol

Brandeis University

Musée de Bretagne

Mahj

2 réflexions sur « Alphonse Bertillon »

  1. Georges Pitard

    Merci pour cet article documenté.
    Petite rectification :
    La rue attribuée à Alphonse Bertillon se situe dans le 15ème arrondissement et non dans le 13ème (et ce n’est pas exactement une ruelle).

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