Jean Appleton

Appleton, Jean, Charles, Joseph, avocat et professeur de droit français, né à Charolles (Saône-et-Loire) le 31 octobre 1868*, décédé à Lyon (Rhône) le 23 janvier 1942.


Cet homme de loi appartint lui-même à une famille de juristes : son père fut professeur de droit, de même que son frère Paul, le benjamin, également membre de la LDH, et son cadet Henri, juge d’instruction à Nice. Pourtant, c’est d’abord vers la poésie que Jean Appleton fut attiré, rédigeant un recueil de poèmes dans lequel l’influence parnassienne perce (Apocalypse, 1888), mais aussi une pièce (Évangéline, 1891).
Ses études secondaires, suivies à l’externat de Saint-Joseph sous la férule des jésuites, puis, plus heureuses, au lycée Ampère, le conduisirent, sous l’influence et la direction de son père – alors professeur de droit romain à Lyon –, vers le droit. Jean Appleton s’inscrivit au barreau de Lyon en 1891 et soutint ses deux thèses (Du fondement de la protection possessoire et La réforme des casiers judiciaires) en 1893. Bénéficiaire d’une dispense d’âge, il se présenta à l’agrégation. Seulement admissible, il fut néanmoins chargé de remplacer un professeur malade à la Faculté de Dijon. Il est vrai que, pendant ses deux années d’exercice comme avocat, sa rigueur et sa modernité dans l’approche juridique des causes qu’il défendait l’avaient fait remarquer. Il profita de cette charge pour prolonger son savoir en suivant des cours de droit administratif. Puis, l’année suivante, il enseigna la procédure civile à la Faculté de Lille pour se retrouver chargé de cours à Grenoble en 1895. Cette même année, jeune marié et père d’une petite Marcelle – son épouse décédera en 1910, et il se remariera en 1912, aucun enfant ne naissant de cette seconde union – , il fut reçu second à l’agrégation de droit. Nommé à Lyon où il enseigna notamment le droit administratif et la législation financière – cours qu’il conserva jusqu’à sa retraite, en 1926 –, il se distingua par les conseils qu’il put donner aux différentes autorités de l’État. Son Traité de contentieux administratif fit en effet longtemps autorité.
Appartenant à une famille catholique pratiquante, jusqu’alors peu intéressé par la chose publique, Jean Appleton s’engagea avec l’Affaire pour lutter contre l’injustice : il fit preuve dans ce combat des mêmes qualités que ses collègues avaient repérées chez lui lors des grandes affaires judiciaires pour lesquelles il avait plaidé. Il s’opposa ainsi souvent aux étudiants et aux enseignants antidreyfusards. Si on le trouve dans les sphères dirigeantes de l’Alliance républicaine démocratique de Carnot, centre dreyfusard important, il adhéra aussi, dans le prolongement de ce combat dreyfusiste, à la Ligue des droits de l’homme et signa la protestation Picquart (11e liste). Le nom de Jean Appleton apparaît par ailleurs sur les listes de la souscription aux monuments Scheurer-Kestner (15e liste) et Zola (8e liste de la LDH), et il assista au procès de Rennes. Ce futur dirigeant de la LDH participa en novembre 1898 à la fondation de la section – appelée alors comité – lyonnaise avec le jeune avocat stagiaire Marius Moutet, son ami le docteur Josserand, les médecins Jacques-Raphaël Lépine, Jean Fochier, Victor Augagneur, mais encore Louis Guétant, Édouard Herriot. Jean Appleton devint le président de la section (1906-1909) après en avoir été le secrétaire. L’avocat socialiste Marius Moutet se souviendra, quarante ans plus tard, de la création du comité lyonnais, le premier fondé en province selon lui :

Mathias Morhardt avait donné à Lyon, salle de la Brasserie Dupuis, à la Croix-Rousse, à l’automne 1898, un meeting avec divers orateurs parmi lesquels un jeune professeur à la Faculté de Droit de Lyon, Jean Appleton, dont la présence surprenait en raison de ses origines catholiques. Jean Appleton [était] l’élément actif dans un milieu d’intellectuels où dominaient les professeurs de la Faculté de Médecine. […] Il y avait là des hommes comme les professeurs Fochier, Weill, Auguste Pollosson, Lépine qui tenaient les chaires d’obstétrique, de pédiatrie, de gynécologie, de pathologie interne à la Faculté de Médecine, et jouissaient d’une haute réputation scientifique et d’intégrité morale. Jean Lépine, interne des hôpitaux, actuellement Doyen de la Faculté, et moi-même représentions la jeunesse des Écoles et l’on y voyait paraître, pour la première fois, un jeune professeur arrivé depuis peu à Lyon dont on disait qu’il était un disciple préféré de Brunetière, et qui s’appelait Édouard Herriot. Tous ces hommes qui allaient constituer le premier Comité étaient étrangers à la politique. Le docteur Victor Augagneur, autre maître de l’Université, était absent, mais venu des partis modérés, il prenait une part active à la bataille » (Cahiers des Droits de l’Homme, 10-15 juillet 1938, p. 413-414)

Bien que l’on retrouvât son nom dans la liste des signataires de l’Appel à l’Union, le 27 janvier 1899 (6e liste du Figaro), l’avocat resta à la pointe du combat dreyfusard : le 19 janvier 1900, Le Progrès de Lyon avait fait paraître une délibération du comité lyonnais de la LDH demandant la mise en accusation du général Mercier, signée par Jean Appleton en sa qualité non d’avocat, mais de secrétaire. Le conseil de l’Ordre fut saisi au motif que la publication de la délibération était contraire à la dignité d’avocat, méconnaissait le serment de fidélité aux institutions en incriminant un membre du Gouvernement et constituait une violation du secret professionnel. Après s’être prononcé en faveur d’une poursuite disciplinaire, le conseil décida finalement l’arrêt de la procédure, mais l’affaire Appleton fit du bruit dans la presse (cf. Le Siècle, 3 avril 1900).
L’engagement civique se prolongea, pour Jean Appleton, en engagement politique. Élu en mai 1900 conseiller municipal de Lyon (1er arrondissement), il siégea sous l’étiquette radicale dans un Conseil dominé par la personnalité d’un autre ligueur, Victor Augagneur. La venue de Jules Lemaitre à Lyon le 17 mars 1901 et la contradiction portée par Jean Appleton, comme secrétaire de la section locale de la LDH et comme conseiller municipal, firent rebondir l’affaire Appleton. Le conseil de l’Ordre, saisi cette fois par le bâtonnier conservateur Charles Jacquier, suspendit Jean Appleton, mais la Cour d’appel de Lyon annula cette décision. Dans le témoignage laissé par lui à ses petits-enfants et rédigé en janvier 1942, il évoquera cet épisode :

Notre vie fut longtemps troublée par la crise de l’affaire Dreyfus et de ses suites. Mes confrères, du moins ceux formant la droite du Palais, les milieux mondains et conservateurs, se montrèrent violents et passionnés. Comme je suis moi-même combatif et très sensible à l’injustice, des heurts graves s’en suivirent. Je ne veux citer qu’un fait : membre du conseil municipal de Lyon, je pris part un jour avec plusieurs collègues à une manifestation publique contre des orateurs nationalistes (Jules Lemaitre entre autres) venus faire à Lyon une conférence politique […]. Le conseil de l’ordre des avocats de Lyon décida de me poursuivre disciplinairement et me condamna, par défaut, il est vrai, à un mois de suspension. Je fis appel, et un arrêt de la Cour, le 12 juillet, annula la décision qui me faisait grief, dans les termes les plus satisfaisants pour moi. Mes adversaires étaient vaincus et les magistrats m’avaient rendu justice.

Surtout, Jean Appleton (qui fut aussi l’avocat de Labori dans son procès contre Le Petit antijuif de Lyon), fut l’un des conseils les plus actifs de la LDH, organisant son service du contentieux dans les premières années de l’existence de l’association (voir la lettre de remerciements que lui adresse Francis de Pressensé, BOLDH, 1er juin 1905, p. 589), élaborant par ailleurs des rapports pour les congrès ou le comité central, tel celui, en 1904, sur la réforme de l’assistance judiciaire, ou celui, en 1905, sur le bulletin interne de la LDH (BOLDH, 15 mai 1905, p. 449 et suiv.). Conservant toujours sa liberté – il critiqua ainsi le gouvernement de la LDH, pas assez rapide selon lui à condamner le système des fiches (BOLDH, 1er fév. 1905, p. 86 et suiv.) –, il ne quitta la direction du service juridique qu’en 1905, en raison de problèmes de santé, tout en continuant à instruire des dossiers dans le cadre de l’affaire Dreyfus.
Jean Appleton participa aux polémiques qui divisèrent le camp dreyfusard, singulièrement avec Louis Havet. À l’occasion de la réunion commémorative de la fondation de la Ligue, le 4 juin 1904, l’intellectuel avait fait une conférence sur la nécessité de la cassation du jugement de Rennes avec renvoi devant un nouveau tribunal militaire. Cette proposition avait provoqué de nombreuses protestations dans l’auditoire et obligé Francis de Pressensé à préciser que Louis Havet, quoique vice-président de la LDH, n’engageait que sa propre opinion. Dans un second temps, à la demande de l’avocat d’Alfred Dreyfus, Henry Mornard – dont le secrétaire était Paul Appleton –, Jean Appleton élabora un rapport (« De la cassation sans renvoi en matière de révision criminelle. Étude sur l’article 445 du Code d’instruction criminelle), qui finalement ne fut pas publié par la LDH, mais communiqué personnellement à chaque membre du comité central. Louis Havet répliqua au conseil juridique de l’association, et la polémique s’enfla, Louis Havet menaçant de démissionner du comité central. Mais Francis de Pressensé intervint personnellement pour le faire rester dans l’association.
À l’instigation de la LDH, Appleton travailla par ailleurs sur l’introduction possible par Alfred Dreyfus d’une demande en révision pour fait nouveau – la présentation du bordereau soi-disant annoté par l’empereur d’Allemagne. Au lendemain de la réhabilitation, Appleton fut chargé du discours marquant « la fin de l’affaire Dreyfus », soulignant les mérites des uns et des autres (cf. BOLDH, 30 nov. 1906, p. 1558-1568), de même qu’il prit la parole lors de l’inauguration du monument Trarieux (BOLDH, 15 mai 1907, p. 420-424) ou, dix ans après Rennes, lors du banquet de Lyon (BOLDH, 31 juillet 1908, p. 947 et suiv.).
La reconnaissance des compétences juridiques et du dévouement de Jean Appleton le fit élire au comité central en 1908 sur proposition des dirigeants de la LDH (BOLDH, 31 juillet 1908, p. 989). Ayant abandonné le conseil municipal de Lyon, marqué par un anticléricalisme que Jean Appleton n’approuvait guère tout en ayant milité pour la séparation des Églises et de l’État, l’avocat prit la tête de l’importante fédération du Rhône de la Ligue des droits de l’homme. De même, il resta, au moins jusqu’en 1912, l’un des conseils du commandant Dreyfus avec Henry Mornard et Edgar Demange, multipliant les procès en particulier contre La Libre Parole et L’Action française (Carnets 1899-1907, p. 268-269).
Pendant la Grande Guerre, cet officier de réserve fut incorporé comme capitaine rapporteur au conseil de Guerre de Grenoble en août 1914. Mais ce grand voyageur devant l’éternel – durant les années précédant le conflit, il visita entre autres l’Italie, l’Allemagne, la Norvège, la Hollande, la Suède, la Russie, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie… – préféra partir pour le front à la fin de l’année et servit dans le corps expéditionnaire d’Orient, d’abord en Égypte puis aux Dardanelles, mais aussi à Salonique et à Corfou sous les ordres du général Maurice Sarrail, ligueur et membre du comité central. Il devint chef de bataillon et, en 1917, fut appelé par le ministère de la Guerre et s’imposa pour participer à l’organisation des bases américaines en France : le 22 juin 1917, il devint le commandant français de la base américaine de Saint-Nazaire, poste qu’il occupa pendant près de huit mois avant d’être nommé commissaire du gouvernement près le conseil de guerre de Lyon puis d’être envoyé au bureau franco-américain de l’État-Major de l’armée français, le 14 juillet 1918.
L’armistice lui permit un retour à la vie civile et professionnelle. Étrangement, il ne se représenta pas au comité central de la Ligue des droits de l’homme en 1918, sans avancer les raisons de son retrait – il est vrai qu’il ne participait guère aux séances du comité avant-guerre –, et fut élu membre honoraire du comité central en 1921, ce qu’il resta jusqu’à sa mort. Son itinéraire d’après-guerre fut en revanche marqué par une tentative et un échec qu’il regretta ensuite : candidat du Cartel des gauches à Lyon, il échoua, alors que l’on parlait de lui comme futur ministre de la Justice dans le cabinet Herriot.
Le fil directeur de sa trajectoire demeura donc la bataille pour le droit : fondateur en 1921 de l’Association nationale des avocats de France qu’il présida jusqu’en 1928, président de l’Union internationale des Avocats constituée sous l’égide de la Société des Nations en 1927, cet avocat également professeur de droit, inscrit au barreau de Lyon jusqu’en 1926 puis au barreau de Paris, a produit de nombreux ouvrages juridiques dont La Juridiction répressive en Algérie : deux décrets illégaux (1902), La Réforme judiciaire (1919), Traité élémentaire du contentieux administratif : compétence, juridiction, recours (1927) et Supplément au Traité élémentaire du contentieux administratif, sans oublier tous les articles qu’il écrivit pour le Recueil périodique de jurisprudence générale, le Bulletin de l’Association nationale des avocats, et dans la presse, notamment Le Progrès civique. Intéressé au devenir de la profession d’avocat, il intervint dans les débats de la LDH (cf. sa lettre du 18 décembre 1928, CDH, 10 fév. 1929, p. 75-76). Il a publié aussi, postérieurement à ses œuvres de jeunesse, deux ouvrages de poésie : Étapes d’amour (1897) et La Halte au bord du lac (1933), couronné par l’Académie française.

Sources et bibliographie : Son témoignage pour ses petits-enfants, intitulé : Mes origines et ma vie, est conservé aux Archives départementales de l’Ain. Son article intitulé : « De la cassation sans renvoi en matière de révision criminelle. Étude sur l’article 445 du Code d’instruction criminelle », publié dans la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence (5e livraison, septembre-octobre 1904), a fait l’objet chez A. Fontemoing la même année d’une publication en brochure (on en trouve un exemplaire dans le fonds Ochs de la BHVP). Signalons que dès 1899, Appleton publia dans Le Siècle, sous le pseudonyme d’« Un jurisconsulte » un article sur le même sujet (« Avec ou sans renvoi », 12 mars). On pourra aussi lire son Discours prononcé au banquet de Lyon le 23 juillet 1899 (Paris, P.-V. Stock, 1899 ; avec ceux de Trarieux et du pasteur Comte). On trouvera des éléments biographiques dans Catherine Fillon, « L’Itinéraire d’un avocat engagé, l’exemple de Jean Appleton », Revue internationale d’Histoire de la Profession d’Avocat, no 6, déc. 1994 ; Jean-Baptiste Sialelli, Les Avocats de 1929 à 1987 : l’Association nationale des avocats, la Confédération syndicale des avocats, Paris, 1987 ; CARAN, F 17 23886/B, ministère de l’Instruction publique ; SHD, 124.834/NUM ; Bulletin de l’Association nationale des avocats, no 76, 1942 ; Alfred Dreyfus, Carnets 1899-1907, Paris, Calmann-Lévy, 1998 ; BOLDH et CDH, passim.

Emmanuel Naquet

 

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