Avril de Sainte-Croix, Gertrude (née Adrienne Glaisette), journaliste française, née à Paris le 11 février 1855, décédée à Menton (Alpes-Maritimes) le 22 mars 1939.
Peu d’éléments nous sont parvenus de la première moitié de sa vie. Issue d’une famille protestante, Gertrude Avril de Sainte-Croix commença une carrière littéraire avec des nouvelles destinées aux enfants comme Au pays des Ruthènes, mais se fit d’abord un pseudonyme dans le journalisme – elle signait Savioz – dans L’Éclair, L’Événement, Gil Blas, Le Figaro, Le Siècle.
Publiciste à La Fronde, elle prit part, du côté dreyfusard, à l’Affaire. L’historiographie de l’affaire Dreyfus n’a, jusqu’à récemment, que peu mis en lumière l’action des femmes dans cette « crise hexagonale », sans doute pour des raisons de visibilité : il s’agissait souvent, aux yeux de ces femmes engagées pour la cause féminine, de ne pas brouiller les enjeux idéologiques et/ou partisans. On trouve cependant son nom, incorrectement orthographié, dans la première protestation de L’Aurore du 14 janvier (1ère liste). De même, après « J’Accuse… ! », elle rendit hommage à Zola en ces termes :
[…] depuis qu’autour du puissant écrivain et à cause de sa courageuse attitude, hurlent ses envieux, gronde la meute des politiciens en quête de popularité, ironisent et mentent ceux qui, en secret, rêvent du dictateur toujours attendu, […] on peut juger de l’envergure de l’homme, en voyant de combien de coudées il dépasse ses détracteurs.
Jamais pour ceux qui réfléchissent, pour ceux épris de vérité et de justice, l’auteur des Rougon-Macquart ne fut plus grand, plus admirable.
[…] ce qui nous importe, c’est que, si une injustice a eu lieu, si une infamie a été commise, tous les hommes, et même un homme de la valeur de Zola, puissent protester, en réclamer la réparation, sans être traduit devant les tribunaux, sans qu’une armée de gâte-sauce, de galopins et d’imbéciles, conduits par quelque inconscient maniaque, aient le droit de troubler sa vie » (« La Liberté de conscience », La Fronde, 19 janvier 1898).
S’il semble qu’elle adhéra très tôt à la Ligue des droits de l’homme – bien que son nom n’apparût pas dans la liste des premiers membres –, elle n’appartint pas aux premiers comités directeurs, alors que plusieurs femmes – Louise Fontaine, sœur de Paul Desjardins, Jeanne Schmahl et Mathilde Salomon – faisaient, au moins sur le papier, partie de la direction de la Ligue. Reste que La Fronde, « journal entièrement dirigé, rédigé, administré, composé par des femmes », participa au mouvement dreyfusard et revendiqua, notamment par la voix d’Avril de Sainte-Croix, une justice pour tous : « Notre unique raison d’être, à nous qui rêvons d’une société nouvelle, c’est de nous montrer supérieures à ceux que nous combattons. Notre conception de la justice doit être différente de la leur, nous voulons l’équité pour tous, même pour nos ennemis si nous en avions. Au-delà du capitaine Dreyfus, nous voyons le petit pioupiou attaché au poteau d’exécution auquel il faudra bien désormais prêter quelque attention ». À la fin de 1898, elle signa, sous son pseudonyme, la protestation en faveur de Picquart (4e liste).
Mariée à François Avril en 1900, elle ajouta « de Sainte-Croix » à son nom d’épouse et, l’année suivante, fondit l’œuvre libératrice pour venir en aide aux prostituées – qu’elle dirigera le reste de sa vie. Puis elle participa à la création, en 1901, du Conseil national des femmes françaises (CNFF, branche française du Conseil international des femmes), dont l’état-major était très largement dreyfusard, et dont elle devint la secrétaire générale. Proche de Maria Vérone et de Marguerite Durand, Gertrude Avril de Sainte-Croix fut aussi une cheville ouvrière de la Ligue française pour le Droit des Femmes. Car c’est par la lutte contre la prostitution – elle fut secrétaire générale de la Fédération abolitionniste internationale de Joséphine Butler –, contre l’alcoolisme et la pornographie qu’elle rejoignit, par la philanthropie féminine, la chose publique, et singulièrement le mouvement féministe vers lequel elle s’était tournée dès 1896.
Membre – chose exceptionnelle pour l’époque – aux côtés de Pressensé, Charles Gide, Édouard Brissaud et Yves Guyot de la commission extraparlementaire créée par Émile Combes en 1903 pour étudier la question de la prostitution, Gertrude Avril de Sainte-Croix, perçue comme « une de ces féministes qui rassurent l’ennemi » (selon la romancière Thilda Harlor) entra au comité central de la Ligue des droits de l’homme en 1904, alors que Francis de Pressensé, « sensibilisé au féminisme par sa mère, une amie de la communarde féministe André Léo » (Christine Bard), soutenait la cause des femmes et qu’une proximité s’était établie avec plusieurs des édiles de la LDH, dont Yves Guyot et Justin Sicard de Plauzoles. Il n’en demeure pas moins qu’elle eut du mal faire y avancer les idées féministes : deux jours après avoir écrit à Francis de Pressensé, le président d’alors de la LDH, pour lui demander que la Ligue s’associât à la pétition nationale lancée par le Conseil national des femmes françaises, dirigée également par Sarah Monod et Julie Siegfried, elle avouait à Louis Havet, dans une lettre du 19 mars 1907, sa déception quant à l’attitude de la Ligue des droits de l’homme (BNF, n.a.fr. 24486, f. 204-206). L’année précédente, elle avait été nommée vice-présidente du Comité de la réforme du mariage.
Elle quitta la direction de la LDH en 1909, et son nom n’apparut plus dans la presse de la LDH. Au cours du premier conflit mondial, elle participa à l’Union sacrée en représentant avec Julie Siegfried, sœur du pasteur Frank Puaux et épouse du sénateur Jules Siegfried, le CNFF au Comité du Travail féminin établi en 1916 dans le cadre de la mobilisation pour la victoire et rattaché au sous-secrétariat d’État à l’Artillerie et aux Munitions. Dans l’entre-deux-guerres, elle s’attacha principalement à la lutte des femmes pour leurs droits. Présidente du CNFF en 1922 en remplacement de Julie Siegfried, décédée, Gertrude Avril de Sainte-Croix fut l’instigatrice des états-généraux du féminisme (1929, 1930, 1931) puis prit la vice-présidence du Conseil international des femmes. Cherchant à élargir son combat au plan international, elle fut chargée de mission pour l’étude de la condition féminine par le ministère des Affaires étrangères et membre de la commission sur la traite des femmes mise sur pied par la SDN.
Élue membre honoraire du comité central en 1931, elle le restera jusqu’à sa démission, en 1938, « en raison de son âge et de son état de santé » (CDH, 15 déc. 1938, p. 720). Mais il est vrai que les années vingt et trente ne l’avaient pas vu militer de nouveau à la LDH, investie qu’elle était dans le mouvement féministe. On lui doit, à cet égard, plusieurs ouvrages sur les femmes et la question féminine, en particulier Une morale pour les deux sexes (1900), La Serve : iniquité sociale (1901), Le Féminisme (1907), L’Esclave blanche : discours (1913), Le Travail des femmes et le demi-temps (1919), La Femme émancipée (1927, en collaboration).
Sources et bibliographie : des éléments biographiques peuvent être trouvés dans Christine Bard, Les Filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940, Paris, Fayard, 1995 ; Françoise Blum, « Itinéraires féministes à la lumière de l’Affaire », in La Postérité de l’Affaire Dreyfus, éd. par Michel Leymarie, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1998 ; Anne-Martine Fabre, La Ligue des Droits de l’Homme et les femmes des origines à 1914, mém. de DEA d’histoire contemporaine, dact., s. la dir. de Pierre Milza, IEP de Paris, 1988 ; Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’Égalité en marche. Le féminisme sous la Troisième République, Paris, Presses de la FNSP, 1989. Voir également, pour les sources primaires, BOLDH, 15 mars 1919, p. 4 ; CDH, 5 déc. 1938, p. 720 ; 15 fév. 1939, p. 115 : 15 juin 1939, p. 376 ; BHVP, dossier 30, Avril de Sainte-Croix, fonds Bouglé, série 80 « Biographies ».
Emmanuel Naquet