Auffray, Jules, Augustin, avocat et homme politique français, né à Paris le 3 novembre 1852, décédé à Paris le 7 avril 1916.
Fils d’un avocat orléaniste, Jules Auffray fit ses études chez les jésuites de Vaugirard, se battit dans la garde mobile pendant le siège de Paris et entra en 1877 au Conseil d’État, dont il démissionna deux ans plus tard à cause de la législation anticléricale. Il se fit alors recevoir docteur en droit (12 avril 1880) et devint avocat, profession qu’il exerça toute sa vie. Très introduit dans les milieux royalistes et catholiques, collaborateur du Monde et de L’Univers, il prit comme publiciste et comme juriste une part active aux campagnes religieuses des années 1880-1883, tout en fréquentant la conférence Molé-Tocqueville où il rencontra Georges Laguerre. En 1883, à la mort du comte de Chambord, il prêcha avec ardeur aux légitimistes réticents le ralliement au comte de Paris : beaucoup plus catholique que royaliste, il était, au fond de lui-même, assez indifférent à la forme du régime pourvu qu’il défendit les intérêts de la religion.
En 1885, Jules Auffray fut battu en Seine-et-Oise avec toute la liste conservatrice et ne fit plus parler de lui pendant trois ans. Puis, nommé secrétaire de l’Union des droites et, dès sa création, de la Ligue de la consultation nationale, il prit à partir de 1888 une très grande influence dans l’état-major conservateur et devint le partisan convaincu de l’alliance des monarchistes avec Boulanger ; autant que Mackau, il fut le metteur en scène électoral et financier de la mainmise occulte des royalistes sur le boulangisme. Là encore, il visait moins une hypothétique restauration que l’avènement d’un gouvernement conservateur, comme il le déclara après la défaite : « Je n’espérais pas trouver dans le général Boulanger un Monk, mais simplement un allié avec lequel, si nous avions eu la majorité, nous aurions pu diriger la France dans le sens de nos idées, c’est-à-dire dans un sens conservateur ». Il n’aimait d’ailleurs pas Boulanger qui le lui rendait bien, mais cet homme irréprochable dans sa vie personnelle était, en politique, froidement cynique.
En décembre 1888, sa candidature à une législative partielle dans les Ardennes déclencha une vive polémique chez les boulangistes, écartelés entre leur soumission financière aux royalistes et le souci d’affirmer leur républicanisme ; au cours d’une séance mouvementée du Comité républicain national, Déroulède finit par imposer le refus de soutenir un candidat non républicain, ce qui condamnait Auffray à l’échec. La campagne électorale de 1889 lui apporta sa revanche, car c’est lui qui, au nom des royalistes, négocia subventions et investitures avec Dillon et eut de ce fait une autorité prépondérante sur la coalition hétéroclite de l’opposition. Après la défaite, il mena également de vaines négociations avec Constans pour limiter les invalidations. Lui-même avait été battu au second tour à Rocroi. Il démissionna peu après du secrétariat des droites.
La défaite électorale porta un coup décisif à l’influence d’Auffray auprès de l’état-major royaliste, dont une partie n’avait jamais approuvé sa politique. Lors des polémiques de l’été 1890 qui révélèrent précisément le rôle qu’il avait tenu, il refusa de se mêler à la controverse et se contenta d’une brève mise au point (interview dans Le xixe siècle du 14 septembre 1890). Son discrédit et probablement aussi la conviction que les partis monarchiques n’étaient plus en mesure de renverser le régime en place le portèrent à accepter le Ralliement et le condamnèrent à un long silence, à peine interrompu par une nouvelle candidature malheureuse en 1893 à Domfront. Il redevint un simple avocat parisien et se maria en 1897.
Le choc de l’affaire Dreyfus ramena Jules Auffray à la politique. Tout en reconnaissant l’illégalité formelle du procès de 1894, il l’excusait et voyait d’abord dans l’antidreyfusisme l’occasion tant attendue d’en finir avec le régime détesté. Adepte d’un antisémitisme modéré, il semble avoir été membre de la Ligue antisémitique de Jules Guérin et souscrivit pour 20 francs au monument Henry (4e liste), après avoir été un temps l’avocat de Berthe Henry dans son procès contre Reinach, « poste d’honneur et de combat » (La Libre Parole, 17 décembre 1898).
En février 1898, il eut une vive polémique de presse avec Barboux, l’accusant, après la gaffe de « la claque » (voir Du Paty et François Auffray), d’avoir utilisé une lettre qui ne lui appartenait pas et les dreyfusards l’accusant à son tour de s’être prêté à une opération de pression sur la justice. Le procès de Rennes mit une seconde fois en avant Jules Auffray, qui avait entre-temps accepté d’être l’avocat de Mme Henry et avait également, dit-on, conseillé l’État-major sur les questions juridiques ; après le verdict, les dreyfusards l’accusèrent d’être l’auteur de la déclaration subsidiaire lue par le commandant Carrière, texte habile et percutant qui rappelait aux juges que la loi n’exigeait d’eux que leur intime conviction pour se prononcer. Auffray ayant démenti (L’Éclair et La Patrie du 19 septembre 1899), il est difficile de trancher la question, même si aujourd’hui les historiens lui attribuent généralement la paternité d’un texte que, à l’évidence, le pauvre commandant Carrière était bien incapable de rédiger. Plus tard, Auffray assura la défense de l’officier d’administration Dautriche et, le 7 novembre 1904, après l’abandon de l’accusation, lut au nom de tous les avocats une protestation solennelle contre les agissements du Pouvoir pour rouvrir l’affaire Dreyfus. Il en tira une brochure, L’Affaire Dautriche, histoire d’une interpellation (s.l., 1905, 47 pp.), eut à la Chambre le 2 mars 1906 un vif échange avec Jaurès qui le traita de « triste et répugnant jésuite », et protesta une dernière fois, avec les autres avocats du procès Dautriche, contre le réquisitoire du procureur général Baudouin (L’Éclair du 4 juillet 1906).
En revanche Jules Auffray ne se mêla pas directement à l’agitation séditieuse de 1899. D’après une liste saisie chez André Buffet en février, il devait être nommé, après le coup d’État victorieux, préfet de Seine-et-Oise : indice de confiance mais aussi preuve que les royalistes ne le destinaient pas aux premiers rôles. Cela ne l’empêcha pas de profiter des retombées électorales de l’Affaire : en mai 1900, il enleva à Lefèvre, le sortant socialiste, le siège de conseiller municipal du quartier de la Sorbonne puis, en 1902, celui de député du ve arrondissement en battant Viviani au terme d’une campagne acharnée et, candidat du Comité national antijuif, sur un programme « républicain, nationaliste, libéral, antidreyfusard, anticollectiviste, / En un mot qui résume tout : antiministériel », demandant l’amnistie pour les condamnées de la Haute Cour (appel du Comité républicain des Nationalistes et des Socialistes anticollectivistes, Recueil Barodet 1902, p. 756-761). Le 7 avril 1903, membre du Groupe républicain nationaliste, il vota sur l’ordre du jour Chapuis, après le discours de Jaurès et l’enquête annoncée par André, contre le gouvernement et pour la seconde partie « visant à ne pas laisser sortir l’affaire Dreyfus du domaine judiciaire ».
Si fin 1905 on pouvait encore le voir aux repas de la Ligue de la patrie française (voir par exemple le compte-rendu de L’Éclair du 15 avril 1905), il perdit son enthousiasme, exaspéré par les divisions et la débâcle nationalistes, et se rapprocha de l’Action libérale. Battu par Viviani en 1906, il se consacra désormais à son métier d’avocat, malgré de nouvelles tentatives électorales en 1910 contre Painlevé et en 1914 à Sceaux, et, refusant d’adhérer à l’Action française, ne fit plus parler de lui.
On ne saurait trop insister sur l’importance de Jules Auffray dans les coulisses de la droite entre 1880 et 1905. À deux reprises, pendant le boulangisme et au plus fort de l’affaire Dreyfus, il a joué un rôle discret mais essentiel dans l’opposition à la République. Intelligent, désintéressé (il a su à trois reprises rentrer dans la vie privée) mais pas toujours scrupuleux sur les moyens, il représente bien le parcours de certains catholiques déterminés, tour à tour royalistes, boulangistes, ralliés, nationalistes et antisémites puis proches de Jacques Piou.
Notons qu’il participa aussi en janvier 1900 à la souscription ouverte pour « offrir à Paul Déroulède un objet d’art lui rappelant la Patrie absente » (2e liste).
Sources et bibliographie : il n’existe sur ce personnage essentiel qu’une biographie rédigée par son fils Bernard Auffray, Un homme politique sous la IIIe République, Jules Auffray (Paris, 1972, 254 p.), utile quoique parfois contestable. On pourra consulter aux Archives de la PP, les affiches de sa campagne de 1902 sous la cote Ba 209bis. Sa lettre à Baudouin publiée le 4 juillet 1906 a été reprise dans Cassation ii. v, t. 2, p. 668.
Bertrand Joly