Honoré Audiffred

Audiffred, Jean, Honoré, avocat et homme politique français, né à Jausiers (Basses-Alpes) le 12 décembre 1840*, décédé à Saint-Pierre-La Noaille (Loire) le 27 octobre 1917.

Avocat à Roanne, sous-préfet en 1870-1871, conseiller municipal de Roanne et conseiller général de la Loire dont il fut président de 1895 à 1902, maire de Saint-Pierre-la-Noaille de 1900 à 1912, franc-maçon (Dictionnaire des FM, p. 90), Audiffred fut élu député de la Loire en 1879. Élu sénateur de la Loire en décembre 1894, il démissionna le 21 janvier 1895, préférant demeurer député.
Membre du groupe de l’Union républicaine, il vota, le 4 décembre 1897, l’ordre du jour de Lavertujon affirmant le « respect de la chose jugée », et « l’hommage rendu à l’armée par le ministre de la Guerre » et contre l’ordre du jour flétrissant les « meneurs de la campagne odieuse entreprise pour troubler la conscience publique » (Habert et Richard). Le 13 janvier 1898 suivant, après la publication de « J’Accuse… ! », il vota la confiance au gouvernement et, pour ne pas le contrer, s’abstint sur l’ordre du jour de Mun qui demandait au de « prendre les mesures nécessaires pour mettre fin la campagne entreprise contre l’honneur de l’armée ».
Mais son action ne fut pas que de soutenir le gouvernement et le 2 février suivant, après la publication dans le Bulletin de l’Association nationale républicaine, association dont il était membre depuis 1888 et président depuis 1894, d’un article d’Henri des Houx dans lequel il était écrit que « les meneurs de l’affaire Dreyfus sont en train de commettre un crime au moins aussi grand que celui dont leur client porte la peine » et appelait pour cela le gouvernement « à mettre fin à cette agitation dangereuse » en déférant « les accusateur de notre armée […] au Sénat », Yves Guyot, dans Le Siècle, interpella Audiffred, qu’il était allé voir en janvier précédent pour lui parler de l’Affaire et qui n’avait eu « que des parole de récriminations contre ceux qui avaient eu le malheur de soulever cette question avant les élections ». Guyot lui demandait, après la parution de l’article de des Houx : « comment votre association pourrait-elle conserver sur ses listes des noms ainsi flétris ? Il faut que vous lui proposiez notre exclusion. Vous devez mettre vos actes d’accord avec la rédaction de votre Bulletin, autrement vos lecteurs ne comprendront pas que vous nous dénonciez comme des traîtres, et que vous nous traitiez comme des collègues. / […] Je vous mets en demeure de faire prononcer mon exclusion de l’Association républicaine » (« À monsieur Audiffred, député, Président de l’Association nationale républicaine »). Dans Le Temps en date du 3, Audiffred répondit :

M. Yves Guyot est venu chez moi me demander de faire cause commune avec lui […].
M. Yves Guyot s’étonne que je n’aie pas cédé aux considérations qu’il m’a fait valoir.
Je lui ai dit et je répète que les défenseurs de Dreyfus, s’ils étaient convaincus de son innocence, avaient le devoir, comme le leur a dit M. le président du Conseil, de saisir la justice en suivant la procédure légale. Il leur a plu de s’adresser à certains journaux, de commencer leur campagne par des demi-révélations, d’essayer, par ces procédés, de gagner l’opinion publique dans ce pays de France, qui ne comprendra jamais que, pour défendre une cause qu’on croit juste, on n’aille pas droit au but.
L’article auquel M. Yves Guyot fait allusion, article que je n’ai pas connu avant son insertion, ne veut dire qu’une chose : c’est qu’il sera peut-être nécessaire de prendre des mesures contre les ennemis du pays qui, indifférents à l’affaire Dreyfus, interviennent dans cette discussion pour affaiblir notre pays et nos institutions.
Cet article ne vise en aucune façon les gens de bonne foi, les Français qui obéissent à des convictions sincères.
Mon opinion très arrêtée, je l’ai dit à tous ceux qui m’ont parlé de cette affaire, c’est que l’intérêt du pays, de la République et des israélites eux-mêmes commande aux instigateurs de cette campagne de l’arrêter et de se borner à faire appel à la protection de la loi.

Guyot répondit à son tour dans Le Siècle en date du 3, redemandant d’être exclu de l’Association et mettant au défi Audiffred de prendre parti (« Réponse de M. d’Audiffred »). Le même jour, interrogé par L’Événement, Audiffred expliqua sa position non seulement dans cette polémique mais encore plus généralement sur l’Affaire. Les dreyfusards, expliquait-il, travaillaient contre la France non seulement en la livrant à l’étranger mais encore en créant l’antisémitisme :

Que la famille du condamné, par les moyens que la loi met à sa disposition et dont elle trace minutieusement la procédure, eût cherché à obtenir la révision de ce procès, c’était une démarche respectable que personne n’aurait songé à lui reprocher. Mais je ne comprends pas l’aberration, la folie des meneurs de la campagne qui n’hésitent pas à solidariser toute une race avec la cause d’un individu – de l’innocence duquel eux-mêmes ne sont pas convaincus !
[…] on ne marche pas contre l’unanimité de l’opinion publique, surtout quand celle-ci se double d’un préjugé qu’on a pris soin, soi-même, d’exaspérer. Je pourrais vous donner des preuves du trouble social que les meneurs de la campagne ont provoqué, des relations qui se sont rompues, de la désunion aujourd’hui semée jusque dans les familles. Les meneurs, avec leurs imprudences, nous ont fait reculer d’un siècle. Dans ce pays, où les questions confessionnelles n’existaient plus, où l’antisémitisme ne rencontrait que bien peu d’adeptes, ils ont réussi à raviver toutes les haines antijuives, tous les préjugés de race. Il est inconcevable que des hommes intelligents se consacrent à une telle besogne. 
[…] tout cela est lamentable et si les chefs de l’agitation actuelle avaient conscience des responsabilités qu’ils assument, ils devraient être les premiers à couper court à la campagne qu’ils mènent, et cela dans l’intérêt de la France, de la République… et des juifs eux-mêmes. D’ailleurs, regardez plutôt ce qui vient de se passer en Algérie » (J. D., « L’Incident Audiffred-Yves Guyot »).

Après une lettre de Guyot – lettre insérée dans Le Siècle en date du 6 et dans laquelle Guyot s’étonnait, n’ayant pas encore été exclu comme il l’avait demandé, que le service du Bulletin lui ait été supprimé (« l’Association républicaine ») –, la polémique prit fin faute de nouvelle réponse. En juin, pourtant, Guyot revint à la charge à la suite d’un nouvel article publié dans le Bulletin de l’association et consacré aux élections en Algérie. Une note fut certes publiée dans le numéro suivant du Bulletin expliquant que cet article était « en opposition formelle avec les principes et l’esprit de notre publication » mais posait pour Guyot la responsabilité de l’Association et de son président : « Cette rectification était nécessaire ! Mais alors pourquoi cet article avait-il paru ? Pourquoi la direction qui le désavoue aujourd’hui l’avait-elle acceptée ? » Et de se demander si l’Association n’avait pas « besoin d’une sérieuse réorganisation » (« Une rectification de l’Association républicaine », Le Siècle 4 juin).
Réélu en mai 1898, sur une profession de foi qui ne faisait aucune allusion à l’Affaire (Recueil Barodet 1898, p. 363), Audiffred vota l’affichage du discours de Cavaignac et la loi de dessaisissement. Cela, et surtout le soutien qu’il avait apporté, après la mort de Félix Faure, à Méline qui se présentait contre Loubet à la présidence de la République – nouvelle trahison – lui vaudra de nouvelles attaques de Guyot mais cette fois sur un tout autre mode. Parlant, fin février, de la visite rituelle qu’il avait rendue à Loubet en tant que président de l’Association, Guyot écrivait : 

M. Audiffred est allé présenter, hier, l’Association républicaine à M. Loubet.
Il lui a sans doute dit :
– Monsieur le Président, je vous ai combattu de toutes mes forces en compagnie de tous les membres de la droite et des ralliés qui ont voté pour M. Méline. Cependant, comme le comité de l’Association républicaine a la faiblesse de me maintenir à la présidence de cette association, c’est moi qui viens vous parler au nom des républicains dont elle se compose.
M. Loubet a dû certainement répondre à M. Audiffred par des remerciements chaleureux et lui faire remarquer l’autorité qu’il avait pour parler au nom de l’Association républicaine. (Le Siècle, 27 février 1899).

Et quelques jours plus tard, il revint à la charge en publiant une fausse lettre d’Audiffred à Waldeck-Rousseau,  avec lequel, en février précédent, il avait créé le Grand Cercle Républicain :

Mon cher sénateur,
Je regrette beaucoup que vous ayez pris la parole contre le projet de loi de dessaisissement. Vous n’ignorez pas qu’avec M. Méline, je n’ai cessé de combattre la révision du procès de Dreyfus et de répéter qu’il avait été justement et légalement condamné. Or, la loi présentée par MM. Dupuy et Lebret est un nouvel effort fait pour maintenir cette condamnation. En vous y opposant, vous avez montré que vous étiez du côté de la justice et de là vérité. Dans ces conditions, mon cher sénateur, vous comprenez que nous ne pouvons plus avoir rien de commun.
Recevez, mon cher sénateur, l’assurance de mes sentiments autrefois dévoués et maintenant hostiles. (« M. Audiffred à M. Waldeck-Rousseau », Le Siècle, 2 mars 1899).

Audiffred envoya une dépêche aux agences de presse pour dire que cette lettre n’était pas de lui, encourageant ainsi Guyot, trop heureux de sa farce, à récidiver. En réponse, il publia un fort amusé rectificatif : 

Nous reconnaissons loyalement que la lettre de M. Audiffred adressée à M. Waldeck-Rousseau, que nous avions publiée, n’était pas authentique. Nous avons pu nous procurer aujourd’hui la véritable lettre. La voici :
À Monsieur Waldeck-Rousseau, sénateur de la Loire.
Monsieur le sénateur,
Vous avez connu les sentiments que j’ai professés à l’égard de l’affaire Dreyfus. J’ai considéré comme des traîtres, comme des vendus au Syndicat de trahison tous  ceux qui ont réclamé la révision de ce procès. Je les ai accusés, à la veille de la grande consultation nationale, d’être des adversaires de la République, tandis que toutes mes sympathies étaient avec Drumont et Rochefort, et ceux qui criaient : « À mort Zola ! »
J’ai applaudi Méline et Billot chaque fois qu’ils ont affirmé que Dreyfus avait été justement et légalement condamné. J’ai été de ceux qui ont dirigé tous les efforts de l’Association républicaine à ne soutenir que des candidats décidés à maintenir la condamnation de Dreyfus, innocent ou non.
À la Chambre, on m’a toujours vu parmi les adversaires irréductibles de la révision, et au conseil général de la Loire je me suis associé au vote qui demandait au gouvernement la suppression de tous ceux qui oseraient encore prononcer le nom de Dreyfus après les preuves écrasantes de sa culpabilité apportées par Cavaignac à la tribune, et dont j’avais voté l’affichage.
Aujourd’hui, Monsieur le sénateur, je vous vois combattre la loi de dessaisissement que j’ai votée consciencieusement. Votre silence, pendant si longtemps, m’avait autorisé à croire que vous étiez d’accord avec moi. Je m’aperçois que je m’étais grossièrement trompé. Je regrette d’autant plus que vous n’ayez pas dissipé cette erreur plus tôt, que je suis plus respectueux de votre opinion. Du moment que vous êtes convaincu que la révision du procès Dreyfus doit se faire légalement et loyalement, je me range de votre côté et je me repens amèrement de tout ce que j’ai dit et fait contre elle et contre ceux qui la réclamaient depuis le mois d’octobre 1897.
Recevez, Monsieur le sénateur, avec l’assurance de mes profonds regrets, l’assurance de mon dévouement futur à la cause de la justice et de la vérité. (« La vraie lettre de M. Audiffred », Le Siècle, 4 mars).

Une nouvelle lettre dont le caractère apocryphe ne pouvait pas faire de doute et que d’Audiffred une nouvelle fois déclara aux agences comme n’état pas due à sa plume (voir Journal de Roanne, 19 mars)
À la suite, à la Chambre, Audiffred condamna les incidents d’Auteuil, vota contre l’affichage de l’arrêt de la Cour de cassation proclamant la révision (ordre du jour Sembat) et refusa, quelques jours plus tard, la confiance au nouveau gouvernement de Défense républicaine (Journal officiel, Débats parlementaires, Chambre des députés, 27 juin 1899, p. 1693). Un dernier vote qui entraîna les démissions de Ratier, Ferdinand Dreyfus, Paul Melon, Muret, Henri Fontaine, Narcisse LevenDavid Raynal, Tony Kaufmann, Maurice Colrat, Paul Robiquet, etc. de l’Association. Le 29, Guyot reprit les armes pour rappeler que depuis longtemps Le Siècle avait « signalé le scandale de la présidence de M. Audiffred », « un des hommes les plus néfastes à la République et à la France depuis deux ans », et appelait l’Association soit à se dissoudre, soit à en exclure son président (« M. Audiffred et l’Association républicaine », Le Siècle, 29 juin 1899). 
Après l’Affaire, demeuré à la présidence de l’Association, Audiffred vota en mai 1900 avec la majorité l’ordre du jour s’opposant à la reprise de l’Affaire (ordre du jour Chapuis) et quelques jours plus tard, avec Krantz, il proposa, au plus fort de l’affaire Fritsch, un ordre du jour affirmant la résolution de la Chambre « à faire respecter l’armée et à mettre fin des agissements des agents du gouvernement en vue de la reprise de l’affaire Dreyfus » (Journal officiel, Débats parlementaires, Chambre des députés, 29 mai 1900, p. 1318). En avril 1903, après le discours de Jaurès et l’enquête annoncée par André, il se prononça, sur l’ordre du jour Chapuis, contre le gouvernement et pour la seconde partie demandant que l’Affaire ne sortît pas du domaine judiciaire.
En 1904, il se représenta au Sénat où il fut élu. En décembre 1906, lors du vote relatif au transfert des cendres de Zola au Panthéon (proposition de loi Breton), il vota contre. S’il n’avait été absent par congé, qu’aurait-il voté en juillet précédent relativement à la réintégration de Dreyfus et de Picquart et au projet d’érection, au Sénat, des statues de Scheurer et Trarieux (résolution Monis) ?

Sources et bibliographie : Sur la visite de Guyot de janvier voir aussi Guyot, L’œuvre du Siècle. Conférence faite au Grand Orient par M. Yves Guyot le lundi 22 avril 1901, Paris, Bureaux du Siècle, 1901, p. 25-26.

Philippe Oriol

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