Fénéon, Félix, fonctionnaire, critique et littérateur français, né à Turin (Italie) le 29 juin 1861, décédé à Châtenay-Malabry le 29 février 1944.
Paralèllement à des activités de directeur et d’administrateur de revues (La Libre Revue, 1883-1884 ; La Revue indépendante, 1884-1885), Fénéon mena une intense activité de critique littéraire et artistique (La Vogue, L’Art moderne, Le Symboliste, La Cravache, Les Hommes d’Aujourd’hui, Le Carcan, Le Chat Noir, La Revue moderniste, Entretiens politiques et littéraires, etc.). Claivoyant et d’un jugement sûr, il révéla véritablement Laforgue et Poictevin, célébra Manet et Toulouse-Lautrec et « découvrit », en une critique scientifique inspirée des travaux de Charles-Henry, le néo-impressionnisme. Co-auteur du drôlissime Petit Bottin des Lettres et des Arts (1886), nègre de Willy, il fut aussi anarchiste et collaborateur, discret quoique prolixe, de L’Endehors (dont il assura le fonctionnement lors de quelques mises à l’ombre de son directeur Zo d’Axa), de La Revue anarchiste, de La Revue libertaire et du Père Peinard. Arrêté en 1894 pour association de malfaiteur, il fit partie du célèbre procès des Trente où il put donner toute la mesure de son ironie.
Après son acquittement et la perte de son poste au ministère de la Guerre où il était fonctionnaire, il prit en charge le secrétariat de La revue blanche. C’est dans cette revue qu’il signa, en collaboration avec son beau-frère Victor Barrucand et à deux reprises, les uniques lignes qu’il consacra à l’Affaire. Tout d’abord au lendemain de la parade de dégradation, notant le « noble spectacle de l’immobilité servile des uns et de la fureur lyncheuses des autres » (« Passim », 1er février 1895) et quelques mois plus tard, s’indignant du régime imaginé pour Dreyfus à l’île du Diable (« Passim », 15 mai 1895). Visité par Lazare en 1896 – Lazare qu’il avait un peu fréquenté au temps de L’Endehors et qui l’avait, après son arrestation en 1894, défendu dans la presse –, il douta un temps du bien fondé de la campagne de son ami :
Qu’il eut été converti à la thèse de l’innocence par le frère du condamné, teignait son apostolat d’un vernis familial qui ôtait de l’assurance au parleur et provoquait au scepticisme l’auditoire,
écrira-t-il à son propos le 7 juin 1939 à Bouillane de Lacoste. Il fut pourtant bientôt convaincu. Mais si, concernant l’Affaire comme le reste, Fénéon demeura fidèle au bref portrait qu’avait tracé de lui son ami Jarry (« Celui qui silence » ; voir par exemple son interview peu bavarde à La Presse : « La Jeunesse à Zola. Réponses », 16 décembre 1897), il n’en fut pas moins actif. Signataires des deux protestations de janvier 1898 (1ère liste et 6e liste), de l’Adresse à Zola, de la souscription pour offrir une médaille à Zola (2e liste du Siècle et des Droits de l’Homme), de la protestation en faveur de Picquart (2e liste) et de la souscription « pour propager la vérité » (1ère liste de L’Aurore), son action, discrète toujours, fut d’organiser La Revue Blanche, tribune dreyfusarde et lieu de ralliement et de réunion. Et dès le début de 1898, à partir du moment où l’affaire judiciaire était « devenue d’intérêt général », il avait engagé fermement la revue dont il avait la responsabilité annonçant quelques pages « par lesquelles nous prenons part à la lutte » (Lettre à Ajalbert du 19 janvier, publiée dans Les Droits de L’homme, 22 janvier). Ainsi était publiée une longue « Protestation » dans laquelle il eut assurément grande part et qui doit être lue.
Au tournant du siècle, après l’Affaire et la disparition de La Revue Blanche, il travailla pour la galerie Bernheim et, au début des années 20, dirigea les éditions de la Sirène. À la fin de sa vie, il partagera la lecture que son grand et vieil ami Armand Charpentier avait proposée dans ses Côtés mystérieux de l’affaire Dreyfus, lecture visant à expliquer l’affaire par l’action de Sandherr qui aurait dicté le bordereau à Esterhazy dans le but de perdre Dreyfus qu’il savait être traître sans pouvoir le trouver. Une lecture que nous savons pour le moins fantaisiste et fondée sur des preuves qui n’en ont jamais été.
Sources et bibliographie : Sources et bibliographie : on pourra, à son sujet, consulter la biographie de Joan U. Halperin, Félix Fénéon, Paris, Gallimard, 1991. On trouvera aussi de nombreuses choses sur son activité anarchiste dans Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol, Zo d’Axa, la feuille qui ne tremblait pas, Paris, Fayard, 2002. Et on pourra bientôt, aux éditions du Sandre, profiter de ses Œuvres complètes, édition publiée par Eric Dussert, Christophe Longbois-Canil et Philippe Oriol, qui corrige et complète largement les Œuvres plus que complètes publiées en 1970 aux édtions Droz. Ses lettres à Bouillane de Lacoste sont conservées à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet. L’extrait cité de la lettre du 7 juin 1939 se trouve sous la cote : 8292-8 et celle du 18 mai sous la cote : 8292-6.
Philippe Oriol