Alexis, Antoine, Joseph, Paul, écrivain français né à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) le 16 juin 1847*, décédé à Levallois-Perret le 28 juillet 1901.
Grand ami et disciple de Zola, « fanatique », même, « de M. Zola dont il célèbre le génie à tout propos », selon Félicien Champsaur qui le mit en scène dans Dinah Samuel sous le nom de Paul Corydon, Paul Alexis a laissé une œuvre inégale : deux romans (Madame Meuriot, 1891 et Vallobra, 1901), six recueils de nouvelles (La Fin de Lucie Pellegrin, 1880 ; Le Collage, 1883 ; Le Besoin d’aimer, 1885 ; L’Éducation amoureuse, 1890 ; Trente romans, 1895 ; La Comtesse, 1897), une demi-douzaine de pièces de théâtre et une étude biographique de son ami Zola (Émile Zola, notes d’un ami, 1882). Collaborateur de divers journaux, il tint longtemps, dans Le Cri du Peuple, sous le pseudonyme de Trublot, une amusante chronique écrite en argot. Proche de la Jeunesse littéraire, il n’hésita pas à l’aider et présida même certains de ses cercles, comme la Butte où se révélèrent, en 1884-1886, de futurs grands noms du décadentisme et du symbolisme. Ainsi, Adam, Fénéon, Moréas et Méténier, le portraiturant dans Le Petit Bottin des Arts et des Lettres, en 1886, lui décernèrent un – cruel pour les autres : « le seul des Soirées de Médan qui garde encore du talent et ne sacrifie pas à la pièce de cent sous ».
Resté fidèle à Zola, à travers toutes les épreuves, il le suivit dans l’affaire Dreyfus. Il signa les deux protestations de janvier 1898 (8e et 1ère liste), participa à la souscription pour lui offrir une médaille (1ère liste du Siècle et des Droits de l’Homme) et lui offrit un beau témoignage d’admiration et de fidélité dans le Livre d’Hommage des Lettres françaises à Émile Zola. Dans Les Droits de l’Homme (auquel il collaborait occasionnellement ; comme au Siècle auquel il donna au début de 1898 de rares « “Petits bleus” du matin »), il célébra le courage et la grandeur de son ami et dit la honte que constituait sa condamnation :
C’est une honte : ils ont osé…
Le maximum de la peine, un an de prison !.. Un morceau de la vie, – de la vie d’un écrivain de génie qui, depuis près de quarante ans, travaille pour illustrer la France.
C’est une honte pour l’institution du jury – dans l’indépendance duquel j’avais la naïveté d’espérer ! 0 Une honte pour le Parquet et la Magistrature, qui a dépassé la mesure de la servilité en appliquant le maximum ! Une honte pour le ministère Méline, qui a déchaîné les « cannibales » ! Une honte pour l’État-Major et les bureaux de la guerre ! Enfin une honte pour l’armée faite pour gagner de moins faciles batailles, c’est-à-dire une honte pour nous tous, cat l’armée c’est la patrie elle-même. Enfin une honte pour notre époque ! Je ne sais ce que l’Europe va penser de nous ; dans tous les cas, coryez-moi, ne nous montrons pas fiers de ce verdict. (« Vive Zola ! », Les Droits de l’Homme, 25 février.)
Il fustigea aussi les amis communs qui avaient trahi le grand homme, à l’image d’Henry Céard, infidèle qui avait choisi l’autre camp :
[…] M. Céard parle en pion, […] en bourgeois naïf, et [est] épouvanté par le vent de révolution qui souffle. Renégat du document humain ? Non, pas précisément. Mais ici, ce document humain, il passe à côté, ne l’aperçoit pas, et pour cause : pauvreté de cœur ! Insuffisance d’instrument ! Au lieu de rechercher dans l’attitude même de M. Zola – attitude héroïque, par conséquent incompréhensible pour M. Céard –, que ne l’a-t-il cherché là où il est, justement dans ce drame extraordinaire, ce choc de passions terribles, ce fouillis de vérités maquillées, cet embrouillamini de récits contradictoires. Eh ! tout cela sans doute est mouvant, incertain, obscur – effarouchant pour la vue courte et l’analyse étroite. Mais, à travers toutes ces fumées, la vérité n’en était pas moins là, pressentie d’abord, puis entrevue par un homme de génie. Et l’homme de génie peu à peu nous la dévoile, tandis que, victime de sa médiocrité, [Céard] passe dans le camp de ceux qui ont intérêt à ne pas voir, parle comme s’il était de l’État-major. Courage Boisdeffre, Gonse, de Pellieux, du Paty, […] ministre Billot, voilà du renfort pour sauver l’honneur […] » (« Pour Zola », Les Droits de l’Homme, 21 février.).
Il s’amusa même à provoquer un peu Céard, détournant, pour un article (« Une belle soirée »), le titre d’un de ses romans, Une belle journée, article dans lequel il donnait ses impressions et la joie qu’il éprouva le soir où il apprit que le verdict du procès Zola venait d’être cassé (2 avril).
Une belle occasion de défendre Zola s’offrit à lui lors de l’assemblée générale de la Société des gens de lettres de mars 1898. Prenant la parole, il regretta que le président Henry Houssaye ne fût pas un homme de la trempe de son père, Arsène Houssaye, à qui, certainement, « une circonstance récente […] eût inspiré quelque chose… […] au moins un acte d’ardente sympathie, de professionnelle solidarité ». Continuant sous les huées après avoir demandé que fût acclamé Zola, il s’adressa au vice-président, Alfred Duquet, qui, à l’occasion des obsèques de Richebourg, au tout début de février, avait prononcé « un discours exécrable et venimeux » :
[…] lâchement, à l’heure où notre plus grand romancier vivant […] allait comparaître en cours d’assises, vous avez commis la vilénie d’insinuer “que le sang français coulait d’hier dans ses veines”… Et ce qui est plus lâche encore, monsieur, vous l’avez traité de “malfaiteur !!! s’efforçant de déshonorer l’armée à l’immense joie de nos ennemis !!!” […] C’est donc vous, monsieur, le seul et véritable insensé… Et le malfaiteur ?… Le malfaiteur de la littérature… le mauvais confrère… le plat jaloux attendant, pour mordre les grands, de les croire à terre : tout cela, c’est encore vous !
Alors, moi, messieurs, c’est pendant que M. Duquet est encore « vice-président », que je vous demande de voter séance tenante sa radiation… et du Comité et de la Société… parce que Comité et Société ne sauraient conserver plus longtemps à la vice-présidence un raté qui est un imbécile » (« À la Société des gens de Lettres », L’Aurore, 28 mars).
« Prêt à recommencer », comme il l’avait écrit quelques jours plus tard (« Une leçon », La Patrie, 30 mars), il fit un nouveau coup d’éclat, à l’assemblée générale suivante, en 1899, en proposant, sans être suivi, on s’en doute, le nom de Zola à la présidence et cela surtout pour éviter que Lemaitre, précédemment devenu sociétaire, n’y fût élu. Il échoua, Lemaitre ne fut pas élu et Duquet, sur lequel il avait écrit un texte que L’Aurore refusa pour sa trop grande violence (Bakker*, p. 438), laissa la place. Autre hommage à Zola, encore, fut la réponse qu’il fit à l’enquête sur le Prince des Prosateurs organisé par La Volonté à la fin de 1898 : « C’est Lui, parbleu ! Prononcer son nom ? Tous ceux qui pensent, tous ceux qui lisent, l’ont déjà reconnu, salué. Prince incontesté de la Prose française, à cinquante-huit ans sonnés, par enthousiasme pur et amour héroïque de la vérité, ne s’est-il pas montré plus jeune que “les jeunes” en sortant le premier de la Tour d’ivoire où, inutile à la besogne du siècle, sommeillait la Littérature ? » (« Le congrès des Écrivains », La Volonté, 27 novembre).
Cet engagement, on le voit, fut bien un acte d’amitié et de fidélité pour Zola, « son cher et grand exilé », qu’il tint, pendant son séjour anglais, régulièrement au courant des événements en lui envoyant son « journal », longue lettres qui lui narraient en détail les péripéties de l’Affaire (voir Bakker*). Il tenta aussi, après la publication de l’article de Judet sur le père de Zola, de prendre sa défense en proposant à Pierre Bertrand, des Droits de l’Homme, de reprendre les deux premiers chapitres de son ancien Émile Zola. Notes d’un ami (1882), « document exact qui répond à cette immondice ». Une publication qui ne se fera pas… Il fut cela mais il fut bien plus. Alexis, en effet, signa encore la protestation en faveur de Picquart (1ère liste) et, après Rennes, l’Adresse à Dreyfus (Les Droits de l’Homme, 16 septembre), écho de la lettre qu’il avait envoyée à Lucie Dreyfus le soir même de la nouvelle condamnation de l’innocent :
Ayez bon courage. Séchez vos larmes. Tous les gens de cœur, non seulement de la France mais de l’univers entier sont avec vous.
Ce n’est pas fini. La toile tombe sur le IVème acte : mais le dénouement approche et sera heureux.
Il y a des condamnations qui ne déshonorent que les juges. Cinq officiers français viennent de : 1° condamner à jamais l’institution des Conseils de guerre ; 2° demontrer que la haute armée, après trente ans de paix, est gangrenée jusqu’à la moëlle ; et 3° prouver qu’ils sont des criminels de petite envergure, s’arrêtant à mi-chemin dans l’infamie… Oui, leurs « circonstances atténuantes », par eux accordés sans qu’on les leur demandât prouvent dénoncent leur bêtise et ne sont qu’une ignominie de plus à leur passif.
Encore une fois courage et patience madame. Cette parodie de justice n’est qu’un accident sans importance, un dernier retard, qui rendra la victoire plus complète et plus définitive.
Pour tout être d’intelligence et de bonne foi, le capitaine Dreyfus est déjà acquitté, de même que tous les cœurs, Madame, vous admirent et vous aiment. (9 sept. 99 Musée de Bretagne)
De même, il avait fondé, en août 1898, un « Comité Vérité-Justice-Liberté » qui donna un banquet pour le premier anniversaire de « J’Accuse… ! » et organisa quelques meetings au cours desquels, présidant, il prit la parole (il signa aussi, en tête de son comité, un certain nombre d’ordres du jour dreyfusards qui tous ont été repris dans L’Écho de la Banlieue). En novembre 1898, comme président de son Comité, il signa une protestation « contre l’incarcération arbitraire et la mise au secret de [Picquart] », protestation qui demandait aussi que fût arrêté le général Mercier (La Grande Bataille, 16 novembre 1898). Il collabora aussi à L’Aurore et, allant jusqu’au bout de son engagement, adhéra – comme il l’écrivit à Zola, « par sympathie pour notre député Renou, et par reconnaissance pour certaine lettre d’Allemane, le premier socialiste qui vous soutint, lors de votre procès » –, au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (Bakker*, p. 421). Mais cet engagement était plus que l’expression d’une simple sympathie ou d’une reconnaissance. Il correspondait bien à une profonde conviction socialiste (voir son article « Confession d’un électeur », L’Avenir social, 1er mai 1898). Il sera d’ailleurs candidat allemaniste malheureux aux municipales de 1900, à Levallois.
Alexis fut un dreyfusard actif, par amitié pour Zola et par conviction, un de ceux, aussi, pour lesquels l’Affaire fut l’occasion d’entrer réellement en politique. Ainsi qu’il l’écrivit à Zola, le 30 novembre 1898 : « […] cette envahissante “Affaire” […] bouche tout, arrête tout, et, à notre insu, nous arrache à nous-mêmes “en déplaçant l’axe de la littérature”. Oui, il n’y a pas à dire, tous, petits et grands, nous étions plus ou moins dans la tour d’ivoire et voilà que, sur le revers de notre demi-siècle, elle et vous, vous nous en faites sortir […] » (Bakker*, p. 420). Et Zola de confirmer le 11 décembre: « Qui aurait dit ça de nous, si dédaigneux de la rue, sur notre roc littéraire ? Nous allons décidément finir en soldats de la révolution » (Zola, Correspondance ix, p. 363).
Sources et bibliographie : la lettre à Pierre Bertrand, citée, est conservée dans une collection particulière. Concernant son engagement, on pourra lire ses lettres à Zola publiées par B. H. Bakker, Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola. 1871-1900, Toronto, Univ. of Toronto Press, 1971. Sur sa vie, faute d’une biographie disponible, nous renvoyons aux nombreuses études publiées sur Zola. Son texte du Livre d’Hommage des Lettres Françaises à Émile Zola se trouve aux pages 1-2 de la première partie du volume. Les lettres de Zola à Alexis ont, elles, été publiées dans Zola, Correspondance IX et X.
Philippe Oriol