Bailly, Marie, André, Vincent de Paul, religieux et journaliste français, né à Bertaucourt-les-Thennes (Somme) né le 2 décembre 1832*, décédé à Paris le 2 décembre 1912.
Après son baccalauréat et avoir travaillé un temps à l’administration des Télégraphes, après son échec à Polytechnique, il commença son noviciat (1860) à Auteuil. Il fit ensuite des études de théologie à Rome et fut ordonné prêtre le 1er janvier 1863. Directeur la même année du collège de l’Assomption de Nîmes, où son frère lui succédera, il prit en 1873 la direction du Pèlerin et créa La Croix en 1880.
Dès la nouvelle de l’arrestation de Dreyfus, Vincent de Paul Bailly, secrétaire général des Augustins de l’Assomption, qui signait « Le Moine » dans le journal qu’il dirigeait, saisit l’occasion de fustiger « Le traître », ainsi qu’il titra son article, mais surtout d’ouvrir un plus large débat dont La Croix s’était fait une spécialité : « On doit certes beaucoup de charité aux juifs, et les Papes en ont donné l’exemple, mais les admettre dans la société chrétienne, c’est déclarer que le déicide dont ils portent la malédiction perpétuelle ne touche plus notre génération » (6 novembre). L’affaire naissante était pour lui un signe de la Providence en ce qu’elle « permet[tait] de justifier si bien avec ce Dreyfus ce qu’on dénonçait depuis longtemps » : « Par une permission Providentielle, un capitaine juif d’artillerie, sorti comme tant d’autres officiers juifs de l’École polytechnique, où il sont souvent professeurs, Dreyfus, a été arrêté […] malgré les protections occultes et presque invincibles qui entourent le monde juif chez nous » (« Le juif », 3 novembre). L’antisémitisme était son combat, un combat qu’il appelait à ne jamais abandonner comme quand, par exemple, à l’occasion de la mort du capitaine Mayer, en 1892, et alors que la plus grande partie de la presse, même antisémite, avait déploré cette mort regrettable et stupide, il avait écrit : « Ce n’est pas le moment de reculer et de se rendre coupable d’accepter la défaite à cause d’une aventure déplorable » (« Juifs », La Croix, 28 juin 1892). Cet antisémitisme, qui était le vrai fond du combat de ce « moine-soldat », ne le fit pourtant perdre toute prudence. Il refusa ainsi, quand l’Affaire fut relancée, à la fin d’octobre 1897, la « plaquette » en défense d’Esterhazy, rédigée par les hommes de l’État-major et que lui avait portée pour impression Marguerite Pays, au motif que la femme « soigneusement voilée » n’avait pas voulu décliner son identité (« L’affaire Dreyfus », Le Soir, 20 novembre 1897 et « La dame voilée », La Croix, 21 novembre 1897).
De même, à l’image de son journal dont il définissait la ligne, il parla peu de l’Affaire. Dans ses rares articles sur la question, il variera le propos sur les thèmes du Syndicat (« Voile déchiré », 7 décembre 1897 ; « Les Juifs triompheront », 25 février 1898), du péril socialiste allié des juifs (Juifs et socialistes, 10 décembre ; « Au débarquement », 26 janvier 1898), et pourra se consoler qu’au procès du « très immonde Zola », amis des juifs qui « avaient admiré ce géant de l’opinion qui piétinait le Christ, la Vierge et l’Église » (« Feu ouvert », 8 février), « presque tous les témoins et défenseurs de Dreyfus et Zola lui-même [soient] étrangers » (« Hors l’Armée », 13-14 février). Les données pour lui étaient simples : « C’est donc la libre-pensée, couronnée hier et avocate des juifs, des protestants et de tous les ennemis de la France, qui est sur la sellette de Zola » (« Feu ouvert », 8 février). Mais à ses yeux la condamnation de l’écrivain ne devait être considérée bien plus largement que comme la défaite de cette coalition ennemie : « le procès Zola et la mésaventure du Syndicat doivent donner beaucoup à réfléchir aux judaïsants sur l’avenir du goupillon » (« Goupillon », 27-28 février).
Toujours contre la révision après la découverte du « faux Henry » et la mort de son auteur (« la révision, c’est la guerre », « La nuit », 4-5 septembre ; voir aussi « Ne grossissons pas ! », 6 septembre), La Croix, nous dit Pierre Sorlin, et donc son directeur, avait, dès août 1898, « tempér[é] son langage », évoquant moins les juifs, se contentant de parler plus généralement du « Syndicat » sans plus l’accuser d’être juif et se contentant de le présenter comme « une coalition “dreyfusarde, protestante et socialiste” ». La Croix demeurait bien sûr antisémite mais « les invectives se f[ire]nt pourtant rares » (Sorlin*, p. 120-121). Et si en effet La Croix, et Bailly, furent moins violents par la suite et multiplièrent les affirmations de leur refus de s’associer « aux errements des antisémites qui veulent le sang et le pillage » (« Question juive », 12 août 1899), cela n’empêchera pas « Le Moine » de souscrire doublement (pour La Croix et pour « Justice-Égalité » en deux versements de 100 francs, sommes considérables) au monument Henry (« Souscription pour le procès de Mme Henry », 17 décembre).
S’il ne s’intéressa guère à l’arrêt de révision, Bailly enregistra en revanche le verdict de Rennes. Il le fit sans aucun triomphalisme mais tint à dénoncer les dreyfusards qui affirmaient vouloir continuer le combat, preuve pour lui que l’affaire Dreyfus n’avait jamais été que la volonté de quelques-uns de parvenir à « l’écrasement de la France catholique » et que Dreyfus n’avait jamais été pour eux « qu’un outil choisi pour cambrioler la maison ». La tempérance de fin 1898 n’était plus de mise : « La puissance juive qui a pu choisir un traître à l’île du Diable, l’extraire de là, forcer la porte du tribunal suprême, briser un jugement définitif, déchaîner les passions du monde entier, ne s’exerce pas sans la permission de Celui qui fait du peuple maudit l’instrument de ses colères. Il faudrait être aveugle pour ne point lire dans ce déchaînement successif de circonstances extraordinaires la conséquence et le châtiment de l’athéisme gouvernemental » (« Conclusion », 12 septembre 1899).
Un de ses biographes – le seul qui n’éluda pas la question de l’Affaire et du rôle qu’y joua Bailly –, racontera qu’il avait été « touché » par la lettre que Cornély adressa aux pères assomptionnistes en juillet 1899, lettre dans laquelle il les exhortait « à ne pas se précipiter dans les ténèbres inférieures ». Bailly confiera à ses notes personnelles :
Les défenseurs de Dreyfus publient souvent des articles modérés, comme l’échantillon ci-joint. Au moment du nouveau procès, on se demande si on ne devrait pas examiner froidement les choses, sans transformer une question de fait en une question de principe.
Je reste impressionné qu’on nous ait tant promis de pièces secrètes, que le général Mercier ait tant affirmé qu’il en avait une, capitale, qu’il cachait avec soin, et que toutes ces promesses n’aient pas abouti. Ajoutons que nous avons eu, avant le procès, des lettres qui démontraient Esterhazy comme capable de tout.
Tout cela, après le « faux Henry », mérite qu’on examine avec soin, sans emballement. Pourquoi nous a-t-on trompés si souvent par l’annonce de pièces convaincantes ? Je sais qu’il y a d’autres charges, mais celles-ci tant de fois annoncées ne devraient pas continuer à manquer.
Pour son biographe, ce trouble n’empêcha finalement pas Bailly à continuer « hélas ! à se laisser berner par la menace d’une catastrophe dont s’alarmait son patriotisme. La pièce secrète de Mercier, qu’il n’avait jamais vue, il y croyait, et telle était la raison qui l’empêchait de voir clair » (Kokel* 1957, p. 156-157). Bailly, « moine soldat et non pas religieux chartiste » (Capéran*, p. 261), y croyait et surtout s’en fit le vecteur. Cette pièce était le fameux « bordereau annoté » dont il fut le premier, après Millevoye dans son discours de Suresnes, à parler : le 4-5 septembre 1898, tout d’abord, allusivement (« La nuit. La France ne périt point »), puis le 28, en un article dans lequel il expliqua que l’ancien président Casimir-Perier avait dû, en 1894, restituer à Münster une pièce adressée à Dreyfus qui « contient, paraît-il, des instructions détaillées (peut-être de la main de l’empereur lui-même), instructions dont l’ensemble lui donne toute authenticité, et incidemment il nomme en toutes lettres le traître Dreyfus ; bon nombre de personnes l’ont vu[e] » (« Casimir-Périer et les pièces secrètes »). Ce « document écrasant qui prouve la culpabilité de Dreyfus » que le fils de Mercier lui avait affirmé avoir sur lui (Lecanuet*, p. 175, note 2), fera, peu avant Rennes, l’objet d’un nouvel article (« Le secret », 17 juin 1899) et encore, au lendemain de la grâce, d’un entrefilet, sans doute inspiré par Ferlet de Bourbonne qui pour la première fois sortait de l’allusion pour donner le soi-disant texte de cette pièce accablante (non retrouvé mais attesté par les citations de divers journaux des 21-23 septembre ; le texte en est donné dans la notice consacrée à Ferlet de Bourbonne).
En janvier 1900, il sera un des douze inculpés et condamnés du procès des Assomptionnistes. La congrégation dissoute, le pape demanda aux Assomptionnistes de quitter La Croix. Bailly se retira et prit la route de l’exil qui le conduira en Hollande puis en Orient. Et quand Dreyfus fut réhabilité, nous dit son biographe, « pas un mot de haine ne sortit de sa bouche » (Kokel* 1957, p. 157).
Sources et bibliographie : on pourra lire la notice qui lui est consacrée sur www.assomption.org. Sur Bailly, on lira : Hommage au R. P. Vincent de Paul Bailly, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1913 ; E. Lacoste, Le Père V. de P. Bailly, Paris, Bonne presse, 1913 ; Père Remi Kokel, Le Père Vincent de Paul Bailly. Journaliste et pèlerin. 1832-1912, Paris, La Bonne Presse, 1943 ; Michel Guy, Vincent de Paul Bailly. Fondateur de « La Croix », Paris, La Colombe, 1955 ; Père Remi Kokel, Vincent de Paul Bailly. Un pionnier de la presse catholique, Paris, La Bonne Presse, 1957 (les deux derniers étant les seuls à consacrer un chapitre à l’Affaire). On lira aussi Pierre Sorlin, La Croix et les Juifs, Paris, Grasset, 1967 ; Pierre Pierrard, Les Chrétiens et l’affaire Dreyfus, Paris, Les éditions de l’Atelier, 1998 et, plus généralement sur La Croix : Yves Pitette, Biographie d’un journal. La Croix, Paris, Perrin, 2011. On se reportera aussi au livre du R.P. Lecanuet, Les Signes avant-coureurs de la Séparation, Paris, librairie Félix Alcan, 1930 ; et à Louis Capéran, L’Anticléricalisme et l’affaire Dreyfus 1897-1899, Toulouse, Imprimerie régionale, 1948, p. 257-263. On consultera aussi Le Procès des Assomptionnistes, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1900.
Philippe Oriol