Berthaut, Léon, Joseph, Louis, enseignant et homme de lettres français, né au Havre (Seine-Inférieure) le 13 juin 1864*, décédé à Dinard (Ille-et-Vilaine) le 28 août 1946.
Professeur de langue et littérature anglaise, auteur très prolifique et très couronné (Le Dictionnaire biographique d’Ille-et-Vilaine de 1895 indique qu’il a déjà obtenu « une cinquantaine de prix »), Léon Berthaut dont Le Petit Rennais (le journal du député Le Hérissé), publiait volontiers les réflexions, les conférences et les poèmes, est un exemple intéressant d’un « intellectuel » provincial, homme de lettres de sensibilité indiscutablement républicaine, mais antidreyfusard par culte de l’Armée.
Il était vice-président du Souvenir Français (association des combattants de 1870-71), son roman Quand même, couronné par l’Académie Française en juin 1899, porte sur la Guerre de 1870 et il tenait à faire savoir qu’il avait renoncé à la carrière des armes pour raison de santé. Cependant sa conception de l’Armée (« entre toutes les armées, la nôtre eut un rôle de libératrice, entre tous les soldats, les nôtres ont été utiles par leurs gestes à la cause même de l’Humanité », Le Petit Rennais, 25 octobre 1898) et de la Patrie (« Comment faut-il aimer la Patrie ? en aimant aussi toutes autres patries, en aimant l’humanité, en apprenant pour cela à tout connaître », Le Petit Rennais, 20 septembre 1898) s’exprime en des termes peu courants chez les antidreyfusards. C’est qu’il était aussi secrétaire-archiviste et bibliothécaire de la Société d’Instruction Populaire de Rennes et voulait fonder une Société Populaire d’Art et de Littérature. Il développa ses idées sur ces sujets dans une série d’articles du Petit Rennais (19-29 septembre et 10 octobre 1898) à l’occasion de la tenue à Rennes du Congrès de la Ligue de l’Enseignement, dont la devise, qu’il rappelle, « Pour la Patrie, par le livre, par l’épée », lui permettait de concilier ses deux passions.
Mais il adhéra à la Ligue de la Patrie française dès le 9 janvier 1899. Le 4 juin, au lendemain de l’arrêt de révision et du renvoi de Dreyfus devant le Conseil de guerre de Rennes, il déclamait une « Ode à Marchand », en l’honneur de l’Armée au Banquet des Entrepreneurs d’Ille-et-Vilaine (« La France est une en son armée/ Et qui ne l’a pas acclamée/ Se retranche d’elle à jamais »…). Le 21 juin, Le Petit Rennais publiait un article de lui, « Le Devoir du Citoyen », qui serait un modèle achevé d’antidreyfusisme modéré (« les bons citoyens » doivent désormais « mettre un terme aux vaines discussions et s’occuper de la vie même du pays » et il s’agit « d’établir que nous comprenons le mot Liberté au sens le plus large, que nous admettons au sein de la Patrie l’existence de toutes opinions, de toutes races, de toutes religions, de toutes sectes, – pourvu que la Patrie elle-même ne soit pas menacée ») si Berthaut n’avait éprouvé le besoin d’ajouter : « Mais ce qu’on ne saurait souffrir vraiment, c’est qu’un Tzigane se fasse naturaliser quand il n’a plus à payer l’impôt du sang et vienne ensuite, lui Tzigane, fomenter chez nous des querelles de famille ». Victor Basch, qui se reconnut sans peine dans cette allusion, lui envoya ses témoins, Aubry et Cavalier, et celui que L’Avenir appelait « le poète municipal » n’évita le duel qu’en publiant une rectification dont l’auteur était Basch lui-même !
Est-ce pour cela qu’il se fit ensuite très discret ? Sa prose ne réapparut dans Le Petit Rennais que le 4 septembre 1899, mais de quelle façon : un article « sur-titré » « Contre l’Anarchisme et le Cosmopolitisme », intitulé « Le Vrai patriotisme », et sous-titré… « Réponse à Léon Tolstoï », à qui il lance : « on voit bien, Léon Tolstoï, que vous ignorez ce qui se passe actuellement en France : c’est justement parce qu’on veut tuer en l’âme française l’amour de la patrie qu’il y sera demain plus vivace et plus fort que jamais », avant de spécifier : « mais enfin le patriotisme et la fraternité ne sont pas deux choses contraires ».
Après 1899, il continua son œuvre (prolifique) d’homme de lettres, parfois sous le pseudonyme de Jean de la Hève, et retrouva des relations et des activités plus républicaines que vraiment réactionnaires. Il fut par exemple membre du Cercle républicain d’Enseignement laïc fondé en 1904, aux côtés de Cavalier, Dottin, Sée, etc. Son œuvre littéraire (la Trilogie de la Mer : Fantôme de Terre-Neuve – republié aux éditions Guénégaud en 1983 –, Le Pilote No 10, L’Absente) publiée chez Flammarion entre 1905 et 1914), et Le Peuple de la mer, recueil de « nouvelles maritimes » fait écho à son engagement pour l’amélioration des conditions de vie des Terre-Neuvas et à son action humanitaire pour la Société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons, dont il fut le président à partir de 1911. Mais son inspiration « patriotique » resurgit avec son Cycle des romans nationaux : Honneur et Patrie (1911), Le Chasseur de pirates (1915-1917 ; roman patriotique et historique de la guerre maritime) et Les Soldats de Jeanne d’Arc (toujours chez Flammarion, « hommage rendu à travers le rideau des siècles aux soldats de la Grande Guerre » et préfacé par R. Kipling). Il publia aussi le Journal d’un Français de province, 1914-1918 (Rennes, 1935). Il fut aussi, tardivement, conseiller municipal de Rennes en 1919, avec (entre autres) Bougot et Dottin…
Il y a sûrement des « hommes de lettres » dont l’évolution, et la vie après l’Affaire, fut moins honorable que celles de Léon Berthaut, antidreyfusard patriote mais jamais haineux, et à qui les mots humanité et fraternité n’étaient pas inconnus. Une rue de Rennes porte son nom, il y est désigné uniquement comme Président de la Société des Hospitaliers Sauveteurs bretons.
Sources et bibliographie : Dictionnaire biographique d’Ille-et-Vilaine, 1895 ; Le Petit Rennais, L’Avenir de Rennes. A.N. fonds SGDL.
André Hélard