Becker, Abraham, Henri, Paul, enseignant et publcisite français, né à Paris le 6 février 1861*, décédé à Paris le 30 juin 1932.
Agrégé, docteur ès-lettres (1897), Becker avait été successivement professeur aux lycées de Valenciennes (1882), Coutances-Brest (1884), Douai (1885), Rouen (1886), Nancy (1887), au lycée Lakanal (1893) puis Charlemagne (1894). Publiciste, il avait aussi collaboré au Parti National, à L’Estafette et au Journal sous son nom et sous divers pseudonymes (St-Marc, Cortadillo et Jean Daoulas).
Dreyfusard, il signa la protestation en faveur de Picquart (3e liste) et participa à la souscription « pour propager la vérité » (2e liste de L’Aurore). Mais surtout, il eut un rôle actif contre l’antisémitisme et c’est à juste titre qu’en 1904, L‘Univers israélite pouvait rappeler « quels éminents services il a rendu au judaïsme, pendant la crise que nous avons traversé » (« Nouvelles diverses », 8 janvier 1904). Il fut en effet un des membres, plus que cela une des chevilles ouvrières du Comité de défense contre l’antisémitisme. Nous ne connaissons exactement, l’activité du Comité ayant été tenue secrète, ce qu’y fut précisément son rôle mais nous savons qu’il était présent dans le premier comité aux côtés de Leven et de Zadoc Kahn (Julien Weill, Zadoc Kahn, 1839-1905, Paris, Félix Alcan, 1912, p. 170), qu’il eut une part active dans le second et qu’on le retrouve dans la plupart des journaux subventionnés par le Comité. Il pouvait ainsi se présenter comme ancien « directeur » des Droits de l’Homme et du Petit Bleu de Paris dans sa notice biographique pour son dossier de la Légion d’honneur. Sa participation à la reprise du Petit Bleu, à partir d’avril 1900, « afin d’en faire un sérieux journal du soir, à deux éditions qui puisse combattre la Patrie et la Presse » (lettre de Lazare à Meyerson du 22 mars 1900. The Central Zionist Archives, Jerusalem, A408/76) et son entrée au Journal du Dimanche, en 1901, afin de « faire parvenir la bonne parole », sont confirmées par ses lettres et celles de Lazare à Reinach (BNF n.a.fr. 24896, f. 30-42 et 24897, f. 204) . De même, il eut une importante activité en Algérie, chargé de mener la lutte contre les candidatures antijuives (Valérie Assan, Les Consistoires d’Algérie au XIXe siècle, Paris, Armand Colin, Recherches, 2012, p. 392) et, comme l’indique la correspondance retrouvée de Gérente à Barrucand, pour animer un nouveau journal, Les Nouvelles de Blida, qui devait s’opposer à l’antisémitisme que partageait la quasi-totalité de la presse algérienne. En 1930, dans Les Archives israélites, Bougris pourra ainsi écrire qu’à Becker et à quelques autres « l’Algérie juive devait toute sa reconnaissance » (« Les israélites algériens », n° 37, 13 juin 1930, p. 298).
À en croire les rapports de police, son rôle fut peut-être encore bien plus que cela. Un rapport du 28 février 1899, signé Gagne-Petit, le présente en effet comme le « conseiller le plus intime du grand rabbin Zadoc Kahn. […] L’été dernier, il a accompagné Zadoc Kahn à Évian-les-Bains et l’on croit qu’ils avaient surtout pour but de s’y rencontrer avec Joseph Reinach » (Arch. PP. Ba 1301).
Il n’écrira guère sur l’Affaire à l’exception de ce compte rendu qu’il donnera au Journal du Dimanche du deuxième volume de la grande histoire de Reinach. Il y célébrait l’auteur qui y avait réalisé le tout de force d’avoir su conserver l’impartialité de l’historien alors qu’il avait été un acteur de l’événement et su déployer « l’énorme force de volonté, l’extraordinaire puissance de retenue […] pour faire ainsi abstraction de soi-même, comprimer sa colère, son indignation, endiguer en soi-même le flot des passions douloureuses ». Il y notait surtout la volonté de l’auteur de remettre les choses et les hommes à leur place : Scheurer-Kestner, « peut-être le seul qui ait l’âme et le geste simple du héros » et dont « la passion de la justice est autrement forte que chez Picquart » :
[….] si cet officier a brisé sa carrière pour ce qu’il considérait être la justice, ce ne fut pas spontanément. (M. Reinach le montre avec insistance) : ce ne fut pas dans une révolte de ses sentiments. Entre l’avenir brillant qui s’ouvrait à lui et la réparation d’une erreur dont un camarade se mourait, dont une famille était déshonorée, dont tout une race supportait les conséquences, Picquart, durant des mois et des mois hésita. Il se promit bien de ne pas emporter son secret dans la tombe – il le consigna dans son testament ; mais le cri continu, l’éternelle lamentation qui s’élevait de l’île du Diable, ces lettres qu’il avait lues et où le condamné demandait à la patrie de lui rendre son honneur, l’honneur des siens, tout cela ne décida pas Picquart à agir. Il ne sentit pas « l’immense responsabilité morale qu’il encourait. »
Un moment vint pourtant où il agit : c’est lorsqu’il vit sur sa propre tête l’orage s’accumuler. Alors, il st vrai, tranquillement, loyalement, il témoigna. Alors il devint le héros. Il se laissa porter par les événements qui l’ont haussé, mais il n’a pas beaucoup tenté de les dominer.(« Les livres », 28 décembre 1902).
Par la suite, ce « fantasque personnage, excellent garçon, mais [ill] et girouette […] », comme le dira de lui Lazare à Reinach (B.N.F. n.a.fr. 24897, f. 204), « sorte de Brunetière, traduit en hébreu », comme le dira Herzl (Journal 1895-1904, Paris, Calmann-Lévy, 1990, p. 73), collaborera de 1900 à 1906 au Siècle où il tiendra une chronique littéraire, sera percepteur aux Lilas en 1906, à Saint-Maur en 1908 et à Paris à partir de 1910 où il demeurera jusqu’à sa retraite en 1921. Pendant de très longues années, il avait été aussi le conseiller des Deutsch de la Meurthe.
Sources et bibliographie : son dossier de la Légion d’honneur se consulte à la cote : 19800035/278/37218.
Philippe Oriol