Baron, Gabriel, Charles, Esprit, avocat, publiciste et homme politique français, né à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 23 décembre 1859*, décédé à Cannes le 22 octobre 1928.
Avocat au barreau d’Aix, Baron fut élu conseiller municipal d’Aix en 1888, conseiller général du canton nord d’Aix et maire de la ville de 1896 à 1897. Directeur du journal Le Franc Parleur en 1895 (jusqu’en 1896), il se présenta, sous l’étiquette socialiste, proche du Parti ouvrier français, en février 1897 à la législative partielle d’Aix où il fut élu.
Au début de l’Affaire, il fut d’un antidreyfusisme sans grande originalité mais remarquable pourtant en ce qu’il le distingua des socialistes qui choisirent systématiquement l’abstention. Ainsi, à la Chambre, il vota, le 4 décembre 1897, après l’engagement de Scheurer-Kestner et la dénonciation d’Esterhazy par Mathieu Dreyfus, le respect de la chose jugée et « l’hommage rendu à l’armée par le ministre de la Guerre » (ordre du jour de Lavertujon) et la condamnation des « meneurs de la campagne odieuse entreprise pour troubler la conscience publique » (ordre du jour de Habert et Richard), et, après « J’Accuse… ! », l’ordre du jour de Mun demandant au gouvernement de « prendre les mesures nécessaires pour mettre fin la campagne entreprise contre l’honneur de l’armée » (tout en votant contre le gouvernement et contre l’ensemble de l’ordre du jour). Le 24 janvier, il déposa avec Chiché, Michelin, Paulin-Méry, Argeliès, Cluseret, Laporte, Goussot et Ernest Roche un ordre du jour qui affirmait la réprobation de la Chambre à l’égard des « criminelles manœuvres du syndicat Dreyfus » et invitait « le Gouvernement à les réprimer avec énergie » (Journal officiel. Débats parlementaires, 25 janvier 1898, p. 169). Le 24 février suivant, gagnant en originalité et se séparant tout à fait des socialistes, il fut un des signataires, avec Clovis-Hugues et la fine fleur nationaliste (Beauregard, Castelin, Cluseret, Chiché, Paulin-Méry, François, Le Senne, Turigny, Roche, Argeliès, Laporte, Goussot, Michelin, Denis) de l’ordre du jour, écarté, qui invitait, en toute simplicité, « le Gouvernement à réprimer avec énergie l’odieuse campagne entreprise par un syndicat cosmopolite, subventionné par l’argent étranger, pour réhabiliter le traître Dreyfus condamné à l’unanimité sur le témoignage de vingt-sept officiers français et qui a avoué son crime » (Journal officiel, Débats parlementaires, Chambre des députés, 25 février 1898, p. 837).
Cet antidreyfusisme, exprimé par ces votes et ce pénible ordre du jour, fut aussi clairement développé au cours de la campagne qui fut la sienne à l’occasion des élections de mai suivant où il se représentait sous l’étiquette « socialiste ». Une étiquette qui était la sienne (il demeurait et restera adhérent du Parti ouvrier français) mais que La Libre Parole corrigera avec justesse : « M. Gabriel Baron, député sortant, porté par erreur sur notre tableau comme socialiste guesdiste alors qu’il est socialiste nationaliste et antisémite militant (A[ndré] de B[oisandré], « L’antisémitisme et les élections », 19 mai 1898). Bien qu’ayant choisi d’être discret sur l’Affaire, donnant l’ordre au journal dont il était propriétaire, Le Franc Parleur, « de ne pas insérer d’articles relatifs à Dreyfus ou Zola » (Pillard-d’Arkaï, « Démission motivée, La Délivrance, 27 avril), il fut vivement attaqué sur la question. Le Mémorial d’Aix, qui défendait la candidature du radical Perreau, et La Délivrance, fondé par son ancien collaborateur Pillard-d’Arkaï, directeur-rédacteur en chef démissionnaire du Franc parleur, attaquèrent Baron, plus que pour son peu de constance politique – on l’accusait d’être « passé par toutes les nuances républicaines en trompant tout le monde » (X, « Un peu de bon sens », Le Mémorial d’Aix, 24 avril) –, pour un dreyfusisme qu’il ne défendit guère (« La Trahison de M. Baron », Le Mémorial d’Aix, 22 mai et « Simple déclaration », La Délivrance, 27 avril). Une affiche, anonyme, placardée dans la ville, lui reprocha même « d’avoir voté à la Chambre en faveur du traître Dreyfus et de Zola, l’insulteur de notre armée ». En réponse, pour se justifier, Baron fit faire à son tour une affiche qui citait pour mémoire l’odieux ordre du jour qu’il avait signé avec quelques autres (affiche titrée : « Démenti ! », citée par Gérault-Richard, « Pas difficile », Le Franc Parleur, 23 avril 1902). De plus, pour que tout fût clair, il fit publier une autre affiche, signée « Un Aixois » dans laquelle il était dit :
Il y a peu de villes, en France, qui souffrent plus du fléau juif que la ville d’Aix-en-Provence. Les juifs y pullulent et y font sentir leur influence néfaste d’une manière préjudiciable aux intérêts de la ville.
[…] À Aix, comme dans tous les pays où ils se sont implantés, les Youtres se sont glissés partout.
[…] le juif est la plaie sociale et le péril national.
Il y va du salut de tous de voter, coûte que coûte, pour tout député résolu à le combattre. La ville d’Aix doit à M. Baron d’avoir été débarrassée du juif Abram, c’est également au discours prononcé par ce même député, à l’Assemblée législative, contre la magistrature, qu’elle doit la révocation de Naquet. Il est de l’intérêt des Aixois de persévérer dans la voie qu’ils ont suivie jusqu’ici.
C’est Baron avec Chiché et quelques autres députés qui ont soutenu un amendement demandant des lois répressives contre les juifs ; amendement que, naturellement, notre gouvernement enjuivé a repoussé.
Eh bien ! Que d’un vote unanime ceux qui veulent vraiment que la France soit aux Français ! Aix aux Aixois ! Votent pour Baron ! » (cité par Louis Pinchareau, « M. Baron et ses documents », Le Franc Parleur, 4 janvier 1902).
Ses partisans pouvaient à juste titre, dans un tract, appeler à voter, pour « continuer l’œuvre d’assainissement contre les juifs », pour « l’antisémite Baron qui suit les traces du chef de l’antisémitisme, l’intrépide Drumont » et d’ainsi lui permettre, selon un autre tract, « d’aller grossir les rangs des députés qui veulent vraiment la France aux Français » (Birnbaum, p. 236-237).
Battu, il se consacra alors plus particulièrement à son métier d’avocat et signa quelques articles dans Le Franc Parleur. Ainsi, le 4 septembre 1898, après la mort d’Henry, il y donna un article dans lequel il écrivait :
Les défenseurs du scélérat de l’île du Diable clament sur tous les tons son innocence et le posent en martyr, victime de l’infamie de l’état-major.
de plus puissant que leur bave et que l’or qu’ils répandent à pleines mains : c’est la conscience des honnêtes gens.
Ah ! celle-là rien ne pourra la corrompre. Pas plus la prose de Zola que les envolées oratoires de Jaurès ne lui feront changer de conviction.
Le « faux du lieutenant-colonel Henry » que l’on est obligé de flétrir, mais que l’on arrive à comprendre, en ce qui le concerne dans l’exaltation de son patriotisme, écœuré de l’audace de ces gens qui, sans pudeur, essayaient de souiller cette armée à laquelle il était fier d’appartenir, n’atténue pas le moins du monde la culpabilité de Dreyfus.
Dreyfus est coupable, c’est un fait acquis, et ceux-là même qui prennent si chaudement sa défense le savent aussi bien que nous. Ils ont à cœur de gagner de l’argent, qu’on leur donne, voilà tout.
Le 31 mars 1900, Le Franc Parleur, qui avait interrompu sa parution en septembre 1898, reparut. Dès le sixième numéro, le 28 avril, « La Rédaction » prit ses distances avec Baron. Rappelant qu’il « avait fait profession de foi socialiste-internationaliste, pour tomber par degrés dans la purée nationaliste au moment où l’affaire Dreyfus indécise ne permettait pas de voir de quel côté les marrons seraient retirés du feu ». Elle précisait : « Notre Franc Parleur n’a pas changé d’opinion politique, il est socialiste et si M. Baron avait quelque chose de commun avec nous, le public ne comprendrait pas qu’à la longue période d’intervalle de deux ans, il n’y ait pas de changement d’orientation, les variations successives de l’ancien maire d’Aix ne prêtant guère à d’aussi longs stages d’opinion » («“le Franc Parleur” »).
Baron fut réélu en 1902, soutenu par un Comité nationaliste d’Aix et par les socialistes « anti-ministérialistes », et malgré une campagne où il fut malmené par les jaurésistes qui lui reprochèrent ses prises de position pendant l’Affaire. Gérault-Richard, soutenu par Le Franc Parleur, se présenta contre lui et mena campagne en rappelant son passé, ses trahisons successives (comme sa démission du Grand Orient en 1896 quand, convoitant la mairie d’Aix, il voulait profiter du soutien de l’archevêque), son antisémitisme, sa conception pour le moins personnelle du socialisme et s’associait aux « citoyens Jaurès et Millerand [qui] l’ont exécuté depuis longtemps, en disant qu’aucun républicain, aucun socialiste digne de ce nom, ne peut et ne doit voter pour Baron » (Gérault-Richard, « Protestation », Le Franc Parleur, 20 mars 1902). Le 2 mars, à Aix, s’était tenu le Congrès Républicain socialiste où, selon Le Cri de Marseille qui le défendait, « près de 400 délégués de toutes les communes de la première circonscription sont accourus pour protester contre la candidature de division suscitée par les pires ennemis du collectivisme, et faire justice, dans un bel élan unanime de solidarité, de tous les bruits mis en avant par ceux qui, au moyen d’un Gérault-Richard, veulent le triomphe d’un Perreau [son concurrent radical qui l’avait battu en 1898] » (Stéphan Darve, « Éditions régionales. Aix. Un congrès significatif », Le Cri de Marseille, 9 mars 1902). Le Cri de Marseille demandait à Gérault de rester à Paris et de laisser tranquille « celui qui, le premier dans notre circonscription, planta le drapeau du socialisme » (ibid.). Gérault-Richard renonça finalement et fut remplacé par Lefèvre, de La Lanterne.
Élu, il semble que Baron retint la leçon, votant par la suite, en dreyfusard, avec Jaurès (et se distinguant ainsi des « anti-ministérialistes » qui l’avaient soutenu) : pour le gouvernement et contre la seconde partie de l’ordre du jour Chapuis (qui demandait que l’Affaire restât dans le strict domaine judiciaire), lors de la séance du 7 avril 1903 au cours de laquelle Jaurès relança l’Affaire et André annonça son enquête, et par la suite, après sa réélection de 1906 et la réhabilitation, pour la réintégration de Dreyfus et de Picquart, pour l’ordre du jour de Pressensé qui demandait que fussent poursuivis et déchus de l’ordre de la Légion d’honneur les véritables coupables, pour celui de Réveillaud « rendant hommage aux artisans de la révision » et pour le projet de loi relatif au transfert des cendres de Zola au Panthéon (proposition de loi Breton). De même, en 1908, il vota la condamnation de la campagne d’insultes entreprise par L’Autorité et L’Action française (ordre du jour Dalimier).
Il se retira de la vie politique en 1910.
Baron, « sans scrupules ni convictions » comme le dit de lui un préfet (notice Maitron), Baron dont les idées politiques fluctuèrent suivant les événements, fut antidreyfusard par antisémitisme. Et s’il changea, il ne fit que s’adapter à ce que disaient ceux qui pouvaient lui être utile. Aixois, il fut socialiste ; parisien, sans doute eût-il été nationaliste…
Philippe Oriol