Aubert, Octave, Auguste, avocat et journaliste français, né à Pau (Basses-Pyrénées) le 5 juin 1864*, décédé à Paris le 24 février 1944.
Aubert, ancien rédacteur à la Préfecture de la Seine, avocat, conseiller municipal de Pau, auteur de livres pour enfants et, avec Charles Germain d’un volume titré La Révolution, son œuvre et ses bienfaits (1888), rédacteur à L’Estafette de 1888 à 1893 puis à L’Indépendant des Basses-Pyrénées dont il sera rédacteur-en-chef en 1893 puis directeur à partir de janvier 1894, eut la surprise de voir figurer son nom parmi les souscripteurs du monument Henry (12e liste). Écrivant, le 26 décembre 1898, au journal Le Siècle, pour signaler que « quelque drôle antisémite » avait abusé de son nom, il ajoutait : Si toutes les souscriptions recueillies par le journal de M. Drumont ont ce caractère d’authenticité, on peut se demander de quel syndicat lui viennent les indications et l’argent » (28 décembre). Aubert, en effet, n’aurait pu signer, qui menait dans son journal depuis le début de 1898 une vigoureuse campagne contre les antisémites, leur presse, leur propagande et leurs exactions. Mais cela dit, catholique et républicain fervent, il ne fut pas à proprement parler dreyfusard et opta pour une ligne, tout au long de l’Affaire, que dictait la prudence. Il avait pourtant, dès le début de 1898, prit une position assez nette. En effet, au moment du procès Esterhazy, et malgré un prudent « jusqu’à preuve absolue du contraire nous tenons Dreyfus pour coupable », il avait écrit, faisant tomber ses précautions :
On affirme – et l’acte d’accusation de 1894 oublié semble le démontrer – que c’est sur l’examen du bordereau seul que Dreyfus a été condamné. Est-ce vrai ? Nous allons le savoir sans doute. En tout cas, le bordereau semble écrit, non par Dreyfus, mais par Esterhazy. C’est un fait brutal, indiscutable. Il frappe l’esprit de tous les gens qui étudient cette lamentable affaire sans autre passion que celle de la justice et de la vérité » (« L’Affaire Esterhazy », 12 janvier).
Mais après le verdict qui innocentait Esterhazy, il se rangea à l’avis général : « le bordereau a-t-il été écrit par Dreyfus ? Les experts le croient et nous le croyons aussi » (« Le Verdict », 14 janvier). Malgré ce « retour à la raison », les quelques lignes du 12 janvier ne furent pas oubliées. Les attaques contre son journal se multiplièrent et il fut obligé, le 15 février, pour faire cesser la campagne entreprise, de publier une mise au point : il y affirmait la culpabilité de Dreyfus, l’innocence d’Esterhazy – toutefois qualifié, et sans grand risque, de « peu recommandable » –, y disait que selon lui Scheurer-Kestner « s’est trompé », que Zola « est coupable de diffamation et d’outrages envers les chefs de notre armée » – et ajoutait à propos de ce dernier : « nous espérons qu’il sera condamné » – mais réprouvait fermement une nouvelle fois « les malsaines excitations d’une grande partie de la presse française » (« L’Affaire Zola »). Il resta, dans les mois qui suivirent, sur cette ligne et si, par la suite, la révélation du faux Henry le fit défendre la nécessité de la révision du procès de 1894, ce fut toujours en répétant qu’une telle demande ne pouvait être faite qu’« au nom de l’honneur de l’armée et au nom du droit violé » (« Justice et Vérité », 29 mai 1899) et « n’impliqu[ait] pas une croyance quelconque en l’innocence de Dreyfus » (« La Révision », 6 septembre 1898). Par la suite, après avoir combattu avec vigueur la loi de dessaisissement et répondu, en toute logique, au modéré Appel à l’Union (4e liste du Figaro), s’il tint, révisionniste, à se définir comme « dreyfusard », et de plus en plus au fur et à mesure que l’enquête de la Cour de cassation révélait le vide de l’accusation – « des flots de lumière étant sortis de l’ombre » (« Les Adversaires de la Révision », 31 mai) –, il demeura toujours prudent sur la question relative à l’innocence. Ainsi, le 21 mai, il écrivait :
Il est incontestable qu’un dossier secret a été soumis aux juges du Conseil de guerre.
Et il est incontestable que ce sont les pièces de ce dossier secret qui ont entraîné la condamnation de Dreyfus.
Or il est certain que si ces pièces avaient été soumises à l’avocat de Dreyfus, Dreyfus avait les plus grandes chances d’être acquitté, puisque de ces pièces les unes étant des faux, les autres ne s’appliquant pas à lui et puisque aucune ne démontrait sa culpabilité.
Donc la cassation, sous la forme de révision ou d’annulation, s’impose puisque ce fait nouveau éclate aux yeux, et que l’accusé a été accablé par des documents dont il ne lui pas été permis d’établir la fausseté ou l’inanité.
Il est peut être coupable. Mais la certitude n’est pas faite d’hypothèse. La justice du Christ, celle des hommes, exigent que l’accusé puisse se défendre contre les accusations. Et Dreyfus aurait-il cent fois, mille fois avoué son crime, le bordereau serait-il de lui, le doute qui naît dans tout cœur loyal de l’étrangeté des manœuvres et des crimes accomplis pour le perdre nécessite sa comparution devant le nouveau Conseil de guerre » (« La Révision », 21-22 mai. Voir aussi : « Une réflexion » et « Justice », 16 avril et 2 mai).
Pendant le procès de Rennes, son attitude ne varia pas. Et si, le 12 septembre, en deux articles (« Le Verdict de Rennes » et « Dreyfus condamné »), sous sa signature et sous un collectif L’Indépendant, il s’inclina devant le verdict, demanda l’apaisement et, pour le favoriser, proposa la grâce immédiate de Dreyfus, il sortit enfin de sa réserve, utilisant pour cela la signature collective et des précautions qui n’étaient plus que formelles : « L’arrêt ne répond pas à notre espérance et ne nous convaincra jamais, en ce sens que la preuve de la culpabilité n’a pas été apportée. […] Nous persistons donc à penser que Dreyfus peut être innocent, puisqu’on n’a pas prouvé qu’il fût coupable » (« Dreyfus condamné »).
Par la suite, il mena une importante campagne contre les nationalistes (voir l’année 1900) et soutint fermement l’amnistie au motif que « ressusciter l’affaire Dreyfus » ne pouvait qu’avoir pour résultat « de permettre au nationalisme de se propager dans un bouillon de culture favorable aux plus mauvaises fermentations » (« L’amnistie », 20 décembre 1900). S’il n’écrira plus guère sur l’Affaire dans ses derniers rebondissements, il en enregistrera, en 1906, la fin avec contentement, se considérant un peu rapidement comme un des premiers à avoir combattu pour la justice et la vérité.
Que les criminels qui furent les artisans de l’erreur et de l’iniquité soient punis ou laissés en paix, peu importe. Ils sont flétris et l’histoire ne les amnistiera pas.
Peu importe aussi que les consciences basses et vénales d’une presse passionnée affirment que les premiers magistrats de France ont tous été vendus, que le gouvernement, que la majorité, que la presse révisionniste, que les grands morts tombés avant la victoire ont été corrompus par de l’or étranger. Notre honneur, nous le disons avec fierté, est d’avoir figuré des premiers parmi ceux qui s’èmurent contre l’injustice et élevèrent la voix et d’avoir supporté pour cela les outrages, les insinuations ignominieuses des adversaires et souvent le silence désapprobatif et le reproche des amis.
La France, a l’âme généreuse, la France qui est la plus noble personne morale de l’humanité est encore grand’e aux yeux du monde par cet acte de justice et de réparation.
Aubert demeura pendant de longues années à la tête de son journal et publia plusieurs volumes, en plus des textes pour enfant qu’il publia tout au long de sa vie : En Sentinelle (1910), Comment former le citoyen français (1911), Le Moulin parlementaire (1933) et, en 1935, chez Quillet, une biographie de son ami Louis Barthou dans laquelle il revenait sur l’Affaire, expliquant qu’il avait été un des seuls et – plaçant son engagement bien avant que ce que fut la réalité – un des premiers dans la presse, à défendre l’idée de la révision (p. 106). Quelques années plus tard, sous l’Occupation, devenu pétainiste (voir son De L’Histoire …et des histoires, publié en 1942, où il proclame sa fidélité à Pétain et ses espérances en la politique de Révolution nationale), ce fervent républicain, se trouvera pour le moins gêné par l’engagement qui avait été le sien et, dans cette même De L’Histoire …et des histoires, c’est une page gênée, quasi-muette et fort oublieuse de son révisionnisme de 1898-1899 qu’il consacrera à l’Affaire (p. 78-79) Mais quoi qu’il en fût, demeure demeure cet engagement, prudent pour ne pas perdre ses lecteurs mais ferme face aux quolibets et aux insultes de ses confrères et concurrents, « cette campagne de dix-huit mois [sic] faite en faveur du droit », qui, écrivait-il alors, « sera l’honneur de [m]a modeste carrière d’écrivain » (« Le Verdict de Rennes »).
Sources et bibliographie : De L’Histoire …et des histoires. Souvenirs d’un journaliste, Bordeaux, Delmas, 1942. Dossier de la Légion d’honneur : 19800035/370/49734. Le lien de l’article du 16 avril 1899 n’est pas donné. Le numéro manque dans la collection numérisée et ne se trouve qu’à la BNF sur papier.
Philippe Oriol