Antoine, André, Léonard, comédien et metteur en scène français, né à Limoges (Haute-Vienne) le 31 janvier 1858*, décédé au Pouliguen (Loire-Inférieure) le 19 octobre 1943.
Avant de devenir le théoricien et le directeur du Théâtre Libre que l’on connaît, Antoine, familier du Cercle Gaulois, du Cercle Pigalle (sociétés de comédiens amateurs), et du Cercle de la Butte (société mi-littéraire, mi-artistique anarchisante), adhéra aux luttes esthétiques engagées par les naturalistes. Le 29 mars 1887, il mit en scène la nouvelle de Zola, « Jacques Damour ». De cette époque data une indéniable admiration du dramaturge pour Zola, comme en témoigne d’ailleurs leur correspondance. Néanmoins, Antoine répugna à passer pour son disciple. Tandis que certains comédiens du Théâtre Libre et du Théâtre Antoine se mobilisèrent vivement autour de Zola, qu’ils signèrent les listes de protestation, le nom d’Antoine n’apparut nulle part. Néanmoins, Antoine saisit l’occasion de « L’Hommage à Zola », bien que son nom ne figure pas sur la fausse liste lancée par Ajalbert dans Les Droits de l’Homme, pour revendiquer sa place dans « les rangs injuriés des intellectuels » (Le Rappel, 18 mai 1898 ; nous n’avons comme trace de cette lettre que l’article de Hugues Destrem qui en rend brièvement compte). En fait, son soutien à Zola se manifesta plutôt dans le choix des œuvres qu’il donna où les principes de justice étaient souvent à l’honneur, notamment dans Joseph d’Arimathée de Gabriel Trarieux, présentée le 7 avril 1898. Témoignage aussi de son soutien aux dreyfusards, mais d’une manière détournée ou subtile, c’est selon, par l’accueil qu’il fit dans son théâtre à Catulle Mendès et Gustave Kahn. Ces derniers devenus indésirables à l’Odéon suite à l’article de Gaston Méry dans La Libre parole du 9 mars 1898 qui les accusait d’avoir détourné « les Samedis populaires de poésie » en « Samedis Israélites ». Le 9 septembre 1899, Antoine assista à la dernière séance du procès de Rennes, aux côtés de ses amis Séverine, Prévost, Claretie, Bruyerre, etc. Il souligne dans ses souvenirs, l’attitude « étrange et énigmatique » de Dreyfus, contrastant avec la fièvre qui secouait l’auditoire. Victor Basch et Mathieu Dreyfus se souviendront ainsi de son : « Ah ! le misérable ! Si c’était moi qui avais dit cela, toute la salle et tous les juges sangloteraient » (Victor Basch, Le Procès de Rennes dix ans après, Paris, Ligue des droits de l’homme, 1928, p. 11-12 ; Mathieu, p. 213). Très vite, après avoir été ému par la lecture de la deuxième condamnation – il signa ainsi L’Adresse au capitaine Dreyfus, (L’Aurore, 11 septembre 1899) –, il se détacha tout à fait du sort de Dreyfus en apprenant la grâce.
L’Affaire ne fut plus pour Antoine celle de l’humanité mais celle seulement d’un drame politique, et à cet égard, le condamné qui « allait revivre », ne le touchait plus. Il semble qu’Antoine ne se soit intéressé à l’Affaire que dans la mesure où le côté spectaculaire du drame satisfaisait l’homme de théâtre qu’il était. Néanmoins, il défendit toujours les principes de vérité et d’équité, programmant un répertoire éclectique nourri de combats idéologiques propres à éveiller les consciences. De plus, en fin stratège, il sut toujours piquer la curiosité du public en proposant des œuvres réputées injouables ou scandaleuses. Ainsi en janvier 1902, il mit en scène La Terre de Zola, et provoqua ainsi une vive réaction dans la salle, on cria, rappelle-t-il dans ses souvenirs : « À bas Zola à l’orchestre et vive Zola aux galeries supérieures ». En février, c’est la pièce de Heyermans, La Bonne espérance, qui connut un semblable chahut lorsqu’un des personnages jeta, dans un mouvement de révolte, sa médaille militaire ; l’Affaire, dit Antoine dans ses souvenirs « est toujours à la cantonade ».
En ce qui concerne son attitude vis-à-vis de Zola au moment de l’Affaire, confinant à de l’indifférence, peut-être peut-elle s’expliquer par la volonté d’indépendance qui marquait sa personnalité. De plus, soumis à de récurrentes difficultés financières, peut-être ne voulait-il pas risquer de priver son théâtre d’un public aux avis partagés. À partir de 1914, il filma certaines œuvres littéraires, collabora à des journaux en tant que critique dramatique. Antoine fut à la fois celui qui a imposé sur la scène française un nouveau répertoire, et celui qui a permis aux metteurs en scène d’accéder au rang de créateur. Antoine tout en revendiquant sa place parmi les intellectuels, demeura en retrait de l’Affaire, les seuls combats qui l’occupèrent furent ceux exclusifs du théâtre.
Sources et bibliographie : on peut consulter d’Antoine, Le Théâtre Libre, Paris, 1890, réimpr. Slatkine, Genève, 1979 ; Mes souvenirs sur le Théâtre Antoine et sur l’Odéon (première direction), Paris, Grasset, 1928 ; mais aussi de : Fr. Pruner, Les Luttes d’Antoine. Au Théâtre Libre, Paris, Minard, 1964 ; J. B. Sanders, André Antoine directeur à l’Odéon. Dernière étape d’une odyssée, Paris, Lettres modernes, 1978 ; A. Thalasso, Le Théâtre Libre, essai critique, historique et documentaire, Paris, Mercure de France, 1909.
Sandrine Maillet