Mi-novembre 1898, était imprimé par l’imprimerie E. Charaire, à Sceaux, et vendu sur les boulevards au prix de 10 centimes un Jeu de l’Affaire Dreyfus et de la Vérité, jeu de l’oie dreyfusard.

Encore une fois, la presse antidreyfusarde condamna cette publication « où nos officiers sont outragés ou ridiculisés » (« L’enquête », La Patrie, 14 novembre). Charles Roger, dans L’Intransigeant, écrira :

 Le noble jeu de l’oie, renouvelé des Grecs, vient d’être rafraîchi par les juifs au profit de la cause du traître. Telle est la nouvelle répandue sur les boulevards par les camelots à un nombre prodigieux d’exemplaires.

Il était naturel, en somme, que pour sauver le « Capital » compromis, le Syndicat pensât à l’oie ; il n’y a que le « foie » qui sauve, comme dit le bon Hambourgeois Reinach.

Et les frères et complices de la plus cynique fripouille des temps modernes ont pensé sauver leur mise eu distribuant à profusion ce placard imbécile où, sous couleur de jeu de société, on arrive à l’aide de quelques-uns de ces jetons, ou de ces haricots dont s’engraisse Dreyfus, à la découverte de la Vérité : c’est-à-dire, cela va de soi, l’innocence du solitaire de l’ile du Diable.

Zola, Picquart, Labori, Jaurès et Leblois, constituent naturellement les atouts. Si le joueur parvient à rencontrer sous son pion mobile un de ces intéressants personnages, il est assuré du succès. Si, au contraire, la malchance veut qu’il tombe sur un des adversaires de la révision, son affaire est claire.

C’est bête comme une douzaine de Pressensés. Mais il paraît que les fortes têtes du Syndicat ont trouvé cette idée-là géniale, et des millions d’exemplaires ont été lancés dans la circulation.

Pour en être arrivées à espérer que la Fiance va devenir dreyfusarde parce qu’on jouera au jeu d’oie dreyfusard, il faut que ces abjectes crapules dont Reinach est le chef et le caissier aient un lingot d’or à la place de cervelle. (« Le ”Foie“ qui sauve », 18 novembre).

Philippe Oriol