Edmond Bertrand

Bertrand, Edmond, René, Ernest, magistrat français, né à Troyes (Aube) le 27 juillet 1842*, décédé le 12 février 1929.

Juges suppléant à Paris en 1870, substitut à Paris en 1875, substitut du Procureur général puis avocat général près la Cour d’appel en 1880, avocat général à la Cour de cassation en 1887, Bertrand était Procureur général près la Cour d’appel de Paris depuis avril 1893. À ce titre, il occupa le siège du ministère public lors du procès de Zola à Versailles. Lors de l’audience du 23 mai 1898, il reprocha à Zola, Perrenx et leurs avocats, fort énervé par les astuces utilisées pour repousser le procès, de vouloir « perpétuer ce débat », « de vouloir continuer une agitation inutile, scandaleuse ». Il ajoutait : « […] vous aurez beau user de tous les subterfuges possibles, vous n’empêcherez pas la loi de vous saisir à la fin ». (« Notre procès », L’Aurore, 24 mai 1898).
C’est dans le même esprit, et animé par les mêmes sentiments, que Bertrand reprit place lors de l’audience du 18 juillet suivant. Il y déclara, reprenant à son compte l’argumentation antidreyfusarde :

Si M. Zola croit servir sa cause en multipliant les incidents dans une affaire de cette nature, il méconnait une fois de plus le génie de la France. Quand on a provoqué en duel des officiers, quand on les a souffletés, quand on est attiré à la Cour d’assises, on ne fuit pas dans le maquis de la procédure. 
[…] Vous ne connaissez pas le génie de la France encore à ce point, ce génie généreux qui comprend toutes les audaces, qui comprend toutes les outrecuidances, même dans certains cas, mais à condition qu’on paye ensuite de sa personne sans se réfugier derrière aucun obstacle et s’enfuir ; je le répète, à chaque instant derrière les incidents de procédure, car ce que vous faîtes aujourd’hui n’est pas autre chose.

 Après le départ de Zola, Perrenx et de leurs avocats, en pleine audience, l’irrecevabilité de la plainte et le débat sur le fond ayant été repoussés, Bertrand se lança dans un réquisitoire qui provoqua les applaudissements frénétiques des nationalistes qui avaient fait le déplacement :

M. Zola a diffamé, parce qu’il est doué d’un incommensurable orgueil, parce qu’il se figure qu’il est le Messie de l’idéal, qu’il représente le génie de la France, et qu’il a le pouvoir à ce double titre d’enfoncer dans la conscience rebelle de la nation le doute sur les jugements du conseil de guerre. Il menace, il a menacé. Il a menacé la France en lui disant : J’ai fait rayonner ton nom à travers l’Europe, je vais faire courir le vent du mépris à ton égard. 
Il a menacé le jury lors du premier procès en lui disant : Vous me condamnerez peut-être, mais ce sera au nom d’intérêts matériels subalternes, et vous me condamnerez pour faire cesser l’agitation et avoir la paix. Il menace encore aujourd’hui des individus en leur disant : La Vérité est là qui vous suit pas à pas, elle s’abattra sur vous demain, peut-être, et alors vous serez convaincus d’en avoir persécuté le précurseur. 
Cet orgueil, messieurs, c’est un orgueil de romancier. Quelques jours avant sa lettre, il a écrit dans Le Figaro que le procès Dreyfus était un roman magnifique où les personnages jouaient des rôles admirables et comme lui il veut jouer un rôle de cette nature, il a voulu vivre ce roman avant de l’écrire. 
Il a voulu voir palpiter le pays pour noter ses palpitations, et il a voulu – c’est le but principal de sa diffamation – jouer le rôle de justicier, il a voulu comparaitre dans la gloire du justicier devant la Cour d’assises, et il a souffleté des officiers, c’est le mot qu’il a employé, pour obtenir la tribune de la Cour d’assises. 
C’était bien là l’homme qu’il fallait au groupe qui cherchait la réhabilitation du traître. 
[…] Voilà le véritable motif : l’orgueil de M. Zola au service d’une machination odieuse. Le pays en a fait justice une premier fois, mais il est nécessaire que justice soit faite une seconde fois, une troisième fois, jusqu’à ce que nous ayons la justice définitive, car la France a été calomniée devant l’Europe, on a osé lui dire qu’elle était sourde à la voix de l’innocence et de la vérité, qu’elle était hors la loi des nations et on l’a vouée aux pires catastrophes. 
On a osé essayer de rouvrir dans ce pays, si tolérant et si généreux, l’ère des discordes religieuses, on a osé signaler l’armée comme hostile à la République. Ce sont de ces choses qu’il faut payer » (Henri Varennes, « Notre procès », L’Aurore, 19 juillet 1898).

Après être intervenu dans l’affaire des télégrammes « Blanche » et « Speranza » et œuvré pour retirer Du Paty, Esterhazy et Marguerite Pays au juge Bertulus (Oriol, p. 749), Bertrand fut remplacé, le 1er juillet 1899, pour avoir laissé sans réaction les injures faites à Loubet pendant le procès Déroulède. Un poste de conseiller à la Cour de cassation lui fut proposé, poste qu’il refusa. Cette mutation fut dénoncée par la Ligue de la Patrie française qui rendit hommage à ce « magistrat irréprochable et républicain […] arraché de son siège de procureur général de Paris uniquement parce qu’il n’a pas pensé sur l’“Affaire” comme le gouvernement actuel » (Le Petit Français, 24 juillet 1899).
Il sera, à partir de 1900 et jusqu’à sa retraite, avocat à la Cour d’appel de Paris.

Sources et bibliographie : on consultera sa fiche de carrière au CAC sous la cote : 20030033/21 ; son dossier de magistrat au CARAN sous la cote : BB/6(II)/451 ; on pourra aussi consulter son dossier de la Légion d’honneur sous la cote : LH/216/77.

Philippe Oriol

Musée de Bretagne

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