Bernard, Marie, Octave, magistrat français, né à Montmorillon (Vienne) le 30 mars 1844*, décédé à La Trémoille (Vienne) le 19 septembre 1904*.
Le nom de Bernard, beau-frère d’Henri Lavertujon, conseiller à la Cour de cassation depuis octobre 1888 (après avoir successivement été avocat de 1866 à 1880, conseiller municipal et adjoint au maire de Bordeaux de 1878 à 1880, avocat général à Nîmes puis substitut du procureur général à Paris en 1880, avocat général au même siège en 1884, procureur de la République à Paris en 1886), avait été donné en février 1899 comme favorable à la révision du procès de 1894 (Reinach, II, p. 363). Procureur général près la Cour d’appel de Paris en remplacement de Bertrand, le 30 juin 1899 (fonction qu’il conservera malgré sa nomination fin 1900 à la présidence de la Chambre civile de la Cour de cassation), il sera appelé à requérir devant la Haute-Cour. Lors de son installation en 1899 au parquet général de la Cour d’appel de Paris, La Libre Parole le présenta comme étant d’un « révisionnisme à outrance » :
il ne se passait pas de jour qu’il ne proclamât urbi et orbi l’innocence de Dreyfus. […]
Lors du délibéré de la Cour de cassation en chambre du conseil, il fut le grand orateur révisionniste et plaida avec une telle chaleur et une telle intempérance de langage la cause du traître de Rennes, qu’un de ses collègues, de religion israélite cependant, M. Alphandéry, ne pouvait s’empêcher de dire naguère à un avocat à la cour suprême : “Bernard était si ardent, si emballé, que nous avons été obligé de mettre une sourdine à son éloquence” » (Me Daumazy, « L’Installation du procureur général Bernard », 6 juillet 1899).
Dreyfusard en effet, il avait pris, tout en subtilité et à un moment où la Cour de cassation était attaquée avec violence, une nette position dans son discours d’installation comme procureur en juillet 1899 :
Aux heures que nous traversons, nous devons démontrer que la justice est au-dessus des agitations momentanées. Je ne puis parler de la justice sans jeter un regard respectueux et affectueux vers celle Cour de cassation, gardienne fidèle de la loi. Je n’oublierai jamais les enseignements et les exemples que j’y ai reçus, et je me déclare fier et reconnaissant des marques d’estime et d’amitié que mes anciens collègues ont bien voulu me prodiguer. r
Il faut, messieurs, que dans notre pays démocratique et républicain on ait le culte de la justice et de lu loi, et que nous le confondions avec notre amour de la patrie.
Nous devons tout faire pour Inspirer ce culte en commençant par donner l’exemple de l’observation stricte de la loi et en nous montrant des magistrats bons et dévoués à nos devoirs.
En quelques mots je dirai nettement à tous mes substituts du ressort ce que j’exige d’eux ;
Républicain, je demande à tous dévouement et fidélité à la République.
J’ai connu loin, bien loin de Paris, des magistrats que l’on disait corrects dès qu’ils n’attaquaient tas ouvertement le gouvernement.
Il me faut autre chose que cette correction !
Je disais que nous devions être justes et bons ; c est qu’en effet les rigueurs inutiles sont autant d’injustices. Lorsque nous nous trouvons devant des lois réformatrices, comme celle de l’instruction contradictoire, montrons notre esprit libéral dans leur application. Faisons même profiter la République de notre expérience professionnelle en suggérant l’idée de lois libérales et humaines qui s’imposent particulièrement à notre démocratie.
Enfin, messieurs, Je ne remplirais pas tout mon devoir si je ne disais quelques mots du rôle du magistrat du parquet à l’audience.
Que chaque cause civile, correctionnelle ou criminelle, soit, de la part de mes substituts, l’objet du plus sérieux examen. Il n’y a pas de petit procès pour ceux qui comparaissent devant la justice.
Au criminel, pas de sévérité exagérée.
Dans le doute, le juge acquitte l’accusé.
Le magistrat du parquet ne doit pas baser ses succès sur les condamnations qu’il obtient, et, lorsque la culpabilité n’est pas certaine, l’officier du ministère public doit lui-même donner l’exemple. Les succès d’éloquence ou d’amour-propre ne sont pas toujours des victoires remportées par la justice. (L’Événement, 6 juillet 1898).Mais c’est surtout au sein du conseil général de la Vienne dont il était membre que, dès avril 1898 il il s’était opposé avec malice au vœu proposé par quelques collègues Fruchard, Montjou, Servant, Hambis et Gigot qui souhaitaient que fût formulée une protestation d’indignation « contre les insultes », « les outrages sans nom » adressées à l’armée. Le président du Conseil général s’étant interrogé sur la légalité d’un vœu qui semblait politique, ce qu’interdisait la loi de 1871, il vint le soutenir en expliquant « qu’il croirait s’outrager lui-même, s’il lui était nécessaire de protester de son amour et de son dévouement à notre armée. Tous, dans cette Assemblée, nous sommes animés des mêmes sentiments. Mais la question qui a été posée par M. le Président et M. le Préfet, relativement à la légalité de la proposition sur laquelle on va voter, peut faire naître des scrupules. Des manifestations de ce genre, si patriotiques et si honorables qu’elles soient, se présenteraient-elles partout avec le même caractère ? Que dirait-on des propositions contraires pouvant porter atteinte à l’armée, à nos institutions ? Il est peut-être préférable de rester toujours dans la fidèle observation de notre loi organique » (Conseil général de la Vienne, Session d’avril 1898. Rapport du préfet et de M. Félix Lamy et délibérations du Conseil général, Poitiers, imprimerie A. Masson, 1898, p. 189).
C’est aussi en tant que procureur général qu’il eut à intervenir dans l’Affaire. Il fut ainsi désigné à l’été 1899 pour requérir devant la Haute-Cour dans le cadre du procès intenté aux personnalités nationalistes, royalistes et antisémites. Un réquisitoire, lu les 26 et 27 décembre (voir La Gironde 28 et 29 décembre) qui lui vaudra d’être attaqué de toute part du côté des soutiens des prévenus : « Sycophante, hypocrite, pharisien, phraseur, sceptique, rabbin maquillé : il n’est aucune de ces épithètes qui ne convienne à l’auteur du morceau dont nous avons entendu hier la première partie », écrira ainsi Paul Tailliez dans La Vérité (« La Haute-Cour », 28 décembre). Des propos, en variations, qu’on retrouvera quelques années plus tard, à l’annonce de son décès, dans la presse nationaliste.
Sources et bibliographie : on pourra consulter son intéressant dossier aux archives de la Préfecture de Police (Ba 958) et son dossier de la Légion d’honneur à la cote : LH/198/40 ; sa fiche de carrière au CAC sous la cote : 20030033/21; son dossier de magistrat au CARAN sous la cote : BB/6(II)/611/2.
Philippe Oriol