Bercy, Léon, Auguste, Albert, Drouin de, journaliste, cabaretier et chansonnier français, né à Paris le 10 décembre 1857, décédé à Orléans (Loiret) le 31 juillet 1915.
En froid avec sa famille, Léon de Bercy vécu dans des conditions matérielles difficiles, pratiquant divers métiers, avant de devenir journaliste et chansonnier (auteur de quinze cents chansons). Il fut membre des Hydropathes, chanta au Chat Noir, aux soirées du Grillon d’Edmond Teulet, au Casino des concierges, au Conservatoire de Montmartre, aux Quat’Z’Arts (où une revue co-écrite par Léon de Bercy ayant pour nom : Mets-y un bouchon, dans laquelle quelques couplets charriaient Déroulède, eut pour résultat une belle bagarre avec des membres de la Ligue des patriotes qui causa d’importants dégâts au mobilier du cabaret), aux Noctambules, fonda le cabaret Le Coup de gueule et fut propriétaire de L’Âne rouge. En tant que journaliste, sous son vrai nom ou sous différents pseudonymes (Carmagnole, Hiks, Blédor…), il écrivit dans La Nation, Le Cri du peuple, Le Chat Noir, Le Journal du Peuple, La Bonne chanson, Le Cabaret des Quat’z’Arts, La Guerre sociale, Le Libertaire, Les Hommes du jour, ainsi qu’à la revue Génération consciente. Proche de Bruant – dont il écrira L’Argot du XXe siècle (1901) –, il collabora, sous le pseudonyme de Bibi Chopin, à sa Lanterne de Bruant où, en 1898, il parla à plusieurs reprises de l’Affaire. Si dans le n° 53, il se souvenait de « la dégradation du youpin Dreyfus » (« Treizième lettre de Bibi Chopin »), il expliquait, dans le n° 59, que si les militaires étaient mal nourris, c’était parce que les entreprises en charge de l’approvisionnement étaient tenues par « des youdis » et que « ces mecs-là en veul’ à l’armée d’puis qu’on a envoyé Dreyfus à l’îl’ du Diabe et qu’on a enl’vé son grad’ de capiston au Reinach » (« Dix-neuvième lettre de Bibi Chopin »). Dans ne n° 62, il faisait part de la lassitude de son personnage (elle « arrive tout d’ même, à la fin, à rud’ment nous cavaler su’ l flageolet » ; (« Vingt-deuxième lettre de Bibi Chopin »), lassitude qu’il développera dans le n° 64 :
Donc, on a décidé qu’ pour ta fête on irait t’ voir tout simplement, en copins ; j’ pay’rai eun’ bonne bouteille ou deux ; t’iras d’la tienne, si ça t’va ; et tout sera dit. Pas vrai ?
Seurement, on jact’ra pas d’ l’affaire Dreyfus. Pa’ c’ que faut qu’ tu t’émagines qu’la Cécile alle est dev’nue dreyfusarde. Et ça m’ coûte quat’ronds tous les jours, ec’ petit truc-là, quat’sous d’journaux qu’ i’ faut à madame ; a lit pus l’ Petit Parisien , i’ y faut la P’ tit’ République, el’ Sièque , l’Aurore, les Doits d’ l’homme… Et a m’rase avec ça ! Et comme j’veux rien savoir, a m’en raconte, ah ! mon vieux !
Moi, j’ l’écout’ pas, c’pas ? Du resse, là d’ssus j’ai mon idée : comme j’te l’ai boni d’ jà plusieurs fois, j’cois qu’ les youpins c’est capabe d’ tout. Si Dreyfus était pas youpin, j’dis pas, j’ m’en occup’rais p’ t ête. Pis d’abord si c’est vrai qu’ i’ soye innocent, y a assez d’ mecs à la roue d’son côté pour arriver à l’ faire gracier : c’est pas nos ognons à nous autres. (« Vingt-quatrième lettre de Bibi Chopin »).
Puis sous une autre forme dans le n° 69 :
Y aurait pus d’espions et par conséquent, y aurait pas d’pet qu’yaye cordes flanches emmerdants à c’sujet-là, comme c’tte affair’ Dreyfus qu’est si tant emberlificotée qu’on arrive à pu’ y entraver qu’dalle et qu’on c’mmence entre nous à en avoir vraiment soupé. À preuve qu’on peut pu’ en causer sans s’engueuler et sans qu’ça finisse par du vilain. Ainsi, nous deux Mimile, on s’a d’jà agoni tous les deux rapport ec’ truc-là et on a même manqué de s’cogner. Pa’ c’que faut t’ dire qu’ Milot, lui, d’pis que l’colonel Henry s’a coupé l’ sifflet, l’est persuadé que l’ Dreyfus est innocent. Et comme j’ veux pas dir’ comm’ lui, i’ m’ dit que j’peux pas comprende vu que j’ suis pas comme sézig un intellectuel.
J’ sais pas au jusse c’ qui’ veut bonir avèque c’ mot-là ; mais j’m’en flanque et je l’ laisse jacter. (« Vingt-neuvième lettre de Bibi Chopin » ; voir aussi la « Vingt-neuvième lettre de Bibi Chopin », n° 70).
Ces extraits qui donnaient à Bruant ce qu’il avait envie de recevoir tout en attribuant au personnage qu’il incarnait les paroles qu’on attendait de lui, ne représentent aucunement ce qu’étaient l’état d’esprit et la conviction de Bercy. Et cela même s’il écrivit aussi la profession de foi du candidat Bruant pour les élections législatives du 8 mai 1898, « candidat du peuple nettement républicain, socialiste et patriote », « contre tous les ennemis de la féodalité capitaliste et de la juiverie cosmopolite véritable Syndicat de Trahison organisé contre la France… ». Car en effet, aussi aussi extraordinaire que cela puisse paraître, Bercy était dreyfusard et, en parallèle, collaborait à L’Aurore sous le pseudonyme éphémère de Jehan Pavé (15 août 1898, 19 septembre et 26 septembre). Mais surtout, il signa la 3e liste de protestation Picquart (« Jehan Pavé (Léon de Bercy) »).
Par la suite, Bercy participa à l’aventure des chansonniers de La Muse rouge, publia en 1902, chez l’éditeur Daragon, un ouvrage de référence sur Montmartre et ses chansons. En 1905, il écrivit « La Chanson des huit heures », sur une musique composée par sa jeune femme Anne de Bercy, soutenant la bataille syndicale visant à limiter la durée de travail hebdomadaire. À la fin de sa vie, il fonda à Orléans Le Cabaret de la Chaumière.
Patrick Biau et Philippe Oriol