Capitaine Marcel Bégouën

Bégouën, Marcel, Paul, Henri, comte, militaire français, né à Mamers (Sarthe) le 19 octobre 1862, décédé à Saint-Louis du Sénégal le 9 août 1900*.

Saint-cyrien (1881), creveté d’état-major, capitaine depuis 1893, Bégouën, le 23 février 1898, avait écrit à Trarieux une lettre où la menace le disputait à l’insulte :

Monsieur,
Le procès Zola sera sans doute terminé ce soir. Il n’appartient à personne de préjuger de la décision ou de l’indulgence des juges, mais quel que soit le verdict, il reste pour tous les Français un devoir à remplir.
Il y a des infamies qu’il faut châtier ; le pilori attend. Votre nom y a sa place marquée entre le Judas moderne et le pornographe devenu dans sa vieillesse l’insulteur de toutes les nobles causes.
Vous êtes le plus persévérant ouvrier des œuvres antifrançaises. Quelque [sic] soit la partie du monde où lutte la France, sur les Vosges ou à Madagascar, on est sûr de vous trouver le complice honteux de ses ennemis ; peu vous importe lesquels, vous êtes tout à tour et sans effort anglais ou allemand.Il y a des sympathies secrètes entre toutes les turpitudes, et votre cœur devait instinctivement battre à l’unisson avec celui du traître de l’île du Diable. Votre âme va naturellement de pair avec toutes les âmes louches, et, dans l’armée française, vous ne trouvez qu’un homme digne de votre estime toute spéciale – c’est un officier convaincu de forfaiture et soupçonné de félonie.
Il est bon que ces choses vous soient dites, et dites par un soldat.
Servez-vous de votre puissance pour l’écraser. Je me demande quelle infamie vous allez faire, me dénoncer à mes chefs ou vous cacher de mon épée, de peur qu’à la couleur de votre sang on ne puisse voir trop clairement qu’il n’est pas du sang français.
Je regrette de ne pas trouver dans notre belle langue un terme à la hauteur de mon mépris et à la taille de votre lâcheté.

Le jour même, Trarieux transmit cette lettre à Billot pour l’informer, non pas tant des insultes quelle contenait que d’un « état d’esprit qu’on se saurait tolérer chez un officier » et exigea dans les quarante-huit heures des excuses sans quoi il comptait qu’il prendrait les décisions qui s’imposaient. Billot fit immédiatement, par Boisdeffre, demander des explications à Bégouën, qui rédigea ce « compte rendu » :

J’avais été profondément blessé, comme tous les officiers, des insinuations cauteleuses que M. Trarieux s’était permises dans sa déposition contre la justice militaire et l’armée.
J’avoue donc que je ne ressentais aucune sympathie pour ce monsieur non loin duquel le hasard m’a placé à l’audience du lundi 21 février dernier.
Pendant cette audience M. Trarieux et une dame placée auprès de lui que je suppose être madame Trarieux – n’ont pas cessé de manifester de la manière la plus blessante pour l’armée et se sont à plusieurs reprises tournés vers moi avec une attitude impertinente et provocante. J’étais en tenue, je devais rester calme et j’ai soigneusement évité toute manifestation par respect pour la justice. Je ne voulais pas que dans un moment d’indignation une parole put m’échapper trop sincère et trop brutale et dont j’aurais rendu solidaire l’uniforme que j’ai l’honneur de porter. Rentré chez moi je me suis demandé si j’avais le droit de laisser passer sans les relever certaines attitudes ; je n’ai trouvé aucun règlement militaire m’interdisant de dire d’homme à homme ce que je pensais de sa conduite à M. Trarieux. J’ai tenu à prendre le rôle d’offenseur alors que j’aurais pu me prévaloir de la qualité d’offensé. J’espérais ainsi en laissant à M. Trarieux le choix des armes diminuer les appréhensions que paraît lui causer l’éventualité d’une rencontre. Je ne connais aucun texte de loi qui m’oblige à regarder comme inviolables des hommes qui ont pu revêtir de hautes fonctions mais ne sont actuellement mes supérieurs à aucun point de vue. J’ai gardé la lettre dans mon buvard un jour entier. Ce que j’ai écrit était donc l’expression de ma pensée, dégagée de toute colère ; je mentirais en essayant de l’atténuer. Dans mon esprit il n’y avait là qu’une affaire d’ordre essentiellement privé. M Trarieux ne le pense pas. Je suis sûr que tous les hommes d’honneur seront de mon avis contre le sien.

Après avoir consulté Boisdeffre (25 février), Billot, le 26, répondit à Trarieux qu’il ne pouvait « que blâmer les termes dans lesquels cet officier [lui] a[vait] écrit » mais que la lettre qui les contenait étant « d’ordre privé », il « estim[ait] qu’il ne [lui] appart[enai]t pas d’intervenir autrement » et ce d’autant plus qu’elle était, affirmait-il, une réponse à son attitude. Sans doute serait-il « prêt à retirer sa lettre » si « dans cette circonstance [il] n’av[ait] pas eu l’intention de le blesser personnellement ». Devant cette réponse tout à fait ahurissante, Trarieux, le 27 février, fit part à Billot de ses sentiments :

Je ne connais pas même de vue le capitaine Bégouën, et je n’ai échangé aucune parole avec aucun officier, pendant l’audience du 21. Il a donc imaginé un prétexte inexact pour excuser sa lettre, dont vous vous bornez à blâmer les termes.
Mais cette lettre passe au second plan, et la vôtre me surprend encore davantage.
Vous vous déclarez désarmé contre un officier d’état-major, qui, sans provocation de ma part, a bassement injurié et menacé, en ma personne, un membre de la représentation nationale. Vous ne croyez pas avoir à intervenir, me dites-vous, à l’occasion d’un fait qui ne s’est produit ni dans le service, ni à l’occasion du service militaire. Les outrages de M. Bégouën ne me touchaient que comme indice d’un certain état d’esprit : que puis-je penser d’un pareil abandon par le ministre de la guerre de son pouvoir disciplinaire ?

Dans la foulée, Trarieux en référa au président du Sénat qui en parla au président du Conseil. Billot prit mal cette démarche et la publicité donnée à un incident « auquel il paraissait à tous point de vue préférable de conserver le caractère privé »  et fit savoir à Trarieux que Bégouën avait « été puni de la réprimande du chef d’État-major général de l’armée, et du blâme du ministre, en présence du chef d’État-major, conformément à l’article 305 du décret du 20 octobre 1892, portant règlement sur le service intérieur » lettre du 1er mars). Devant une telle réponse, Trarieux reprit la plume le lendemain pour faire savoir à Billot son désaccord (une lettre dont la partie essentielle n’a malheureusement pas été conservée). L’affaire ayant pris d’énormes proportions – lettre de Delpech s’interrogeant sur la place de Billot au ministère, polémique entre Grandmaison et Trarieux, réunions des groupes du Sénat pour déterminer quelle attitude adopter face au ministre de la Guerre et à son absence de réaction –, Billot céda et fit muter Bégouën à l’état-major du 6e corps d’armée, mettant ainsi un terme à l’affaire.
Bégouën, souscrira ensuite au monument Henry (5e liste) en compagnie de son épouse (née Claire de Cholet, 1867-1945). En 1900, il se nommé au 1er spahis au Sénégal et publiera chez Chapelot deux ouvrages, traductions de La Pénétration russe en Asie du colonel comte Yorck von Wartenburg et La Campagne de 1812 en Russie de Carl von Clausewitz. 

Sources et bibliographie : on pourra consulter son dossier militaire au SHD sous la cote : 5 Ye 72441. Les lettres ici citées sont conservées au SHD sous la cote 1k10 8. À l’exception du compte rendu de Bégouën (inédit) et de la dernière lettre incomplète, elles ont été publiées intégralement dans Le Temps du 3 mars 1898.

Philippe Oriol

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