Serge Basset

Basset, Serge (Hippolyte, Gaëtan Chapoton dit), auteur dramatique et journaliste français, né à Grenoble (Isère) le 22 juin 1865*, décédé près d’Angres le 29 juin 1917.

Docteur ès-lettres, après avoir passé 11 ans dans l’enseignement (professeur au collège de Sancerre, répétiteur « faisant fonctions de professeur » au Lycée Lakanal, au lycée Michelet et au petit lycée Condorcet, professeur au collège de Montélimar, principal des collèges de Saint-Marcellin, la Mure et Valence), Basset devint journaliste et collabora ainsi au Matin auquel il collabora de 1897 à 1899 et où il signait Paul Ribon, et au National et au Gil Blas où il signait de son véritable patronyme des « Scènes de tous les jours » qui ne parlèrent pas de l’Affaire. Auteur dramatique (La Grande Rouge !, 1897), proche de la jeunesse littéraire, Basset était aussi directeur de Matines, revue mensuelle à laquelle collaboraient Bahar, Papus, Louis Lumet, Edmond Pilon, Malato, Léon Frapié, Yvanhoé Rambosson, Manuel Devaldès, etc.
Dans sa revue (9 numéros, octobre 1897-juillet-août 1898), rendant compte du second mémoire de Bernard Lazare, « singulièrement démonstratif et troublant », il développait que le huis clos de 1894, l’illégalité non démentie et la dénonciation d’Esterhazy faisaient naître un triple doute au nom du quel, « au nom de nos traditions nationales, au nom de la grande pitié française, jamais invoquée en vain ; au nom du Droit, de l’Équité, de l’Éternelle Justice, nous demandons la révision du procès Dreyfus (« L’Affaire Dreyfus », no 3, décembre 1897). Et après le procès Esterhazy – qui « n’est pas encore l’acte de justice que nous attendions » et qui « au contraire, […] apparaît comme plus décevant que l’autre[,] plus boiteux dans sa conduite, hésitant entre le débat public et le huis clos, plus louche dans ses conclusions » –, après la publication de l’acte d’accusation de d’Ormescheville, – « divagations d’experts dont les uns même sont dits suspects parce qu’ils étaient favorables à l’accusé », « preuves (manifestes cette fois) de l’immoralité de Dreyfus, et […] affirmation de témoins (dignes de foi) démontrant qu’il commettait dans le service de regrettables indiscrétions » qui ne peuvent suffire à « faire supplicier un homme » –, il demandait une nouvelle fois la « “Révision !” C’est le devoir et aussi la sagesse », ainsi que l’avait fait Zola :

Émile Zola, l’écrivain le plus considérable du temps, Emile Zola, riche, glorieux, en pleine force d’âge et de talent, accuse le gouvernement d’avoir condamné Dreyfus injustement et sans preuves évidentes et connues d’avoir mené le procès sans aucun respect de la justice d’avoir montré une partialité criminelle dans l’affaire Esterhazy en étranglant l’enquête du colonel Picquart, en conduisant à sa guise et selon ses intérêts un procès où la lumière ne devait, ne pouvait apparaître qu’en toute liberté. Telle est au total l’accusation. Elle est violente ; elle est sincère… oui sincère ! cela saute aux yeux ! c’est physiquement sensible par une simple lecture ! c’est moralement évident pour peu qu’on réfléchisse ! Zola soutiendra son réquisitoire ; sa fierté n’admet pas que nous le défendions. À nous il nous demande de l’entendre, de réfléchir, d’avouer notre inquiétude si notre paix somnolente est ébranlée. (no 4, janvier 1898).

Quelques jours plus tard, il signa première protestation (3e liste), et, après la condamnation de Zola, déclara (reprenant la réponse qu’il venait de faire à l’enquête de La Critique – no 72, 20 février 1898), lyrique :

Le Jury a prononcé dans l’affaire Zola. Nous ne nous inclinons pas encore !
Mais à l’encontre de nos adversaires, déjà inquiets, nous sommes bien tranquilles. Nous sommes de ceux qui croient que les droits de la justice sont imprescriptibles ; que rien n’arrive sans la volonté du Maître de l’Heure et qu’il saura bien, quand il le faudra, faire surgir par-dessus les ténèbres pestilentielles de cette fin de siècle, l’éclatante aurore de la vérité. Nous contraignons nos cœurs, nous imposons silence à notre bouche révoltée, et nous nous passons, d’âme en âme, le mot d’ordre des vrais courages : Patience !
Devant le condamné d’hier, devant le condamné de demain, entré dès maintenant dans l’immortalité des justes, nous nous inclinons respectueusement, et nous l’envions d’avoir souffert pour la Justice et pour le Droit !
[…] Émile Zola, déjà au premier rang des écrivains de génie, vient de s’élever jusqu’au point culminant de la grandeur humaine.
Il n’est plus simplement le chef d’école, le plus grand nom de l’actuelle littérature : c’est un Héros et un Apôtre. Après tant de chefs-d’œuvre, son attitude présente est encore son « meilleur ouvrage ! » (« Actualités. Après la condamnation », no 5, février-mars 1898).

Défenseur de Zola, révisionniste, collaborateur occasionnel du Siècle sous son véritable nom en 1898, il déclarera pourtant, à Rennes où il figurera parmi les témoins, que jusqu’au début de 1899 encore il ne croyait pas qu’Esterhazy pût être l’auteur du bordereau (Rennes III, p. 384). Cela est douteux et sans doute faut-il considérer ce propos comme le moyen qu’avait trouvé Basset d’être sûr de ne pas perdre les bonnes grâces d’Esterhazy qui suivait le procès dans la presse. Il était, en effet, depuis quelques temps, en correspondance avec le ulhan et, ayant fait le voyage à Londres pour le rencontrer quelques mois plus tôt, avait recueillis pour Le Matin quelques confidences (« Esterhazy parle », 18 mars 1899), des commentaires à la suite de quelques dépositions devant la Cour de cassation (« Déclarations d’Esterhazy », 8 avril ; « Esterhazy répond », 9 avril ; « Autre interview », 10 avril ; « Le commandant Esterhazy », 13 avril ; « Article d’Esterhazy », 16 avril ; « Réponse aux témoins », 23 avril ; « Les répliques », 28 avril ; « Les répliques d’Esterhazy », 3 mai ; « Les répliques d’Esterhazy », 14 mai ; ), quelques mises au point (idem ; « Esterhazy et Laguerre », 8 mai ; ), puis avait obtenu de lui la promesse de tout dire (« Préface attendue », 30 avril) et finalement l’aveu de la paternité du bordereau (« L’aveu », 3 juin ; « Esterhazy et Du Paty », 5 juin ; « Accusation détruite », 8 juin ; « Plus de lumière ! », 18 juillet).
Des révélations, il en espérait en effet d’autres et avait même projeté de publier avec lui un ouvrage que Chamuel acceptera le 24 septembre suivant à condition qu’il contienne « quelque chose qui fasse du potin » (BNF n.a.fr. 16447, f. 148). C’est ainsi que dans sa correspondance avec Esterhazy, l’ancien directeur de Matines pouvait se dire, rassurant, « nullement dreyfusard, quoique vous en disiez […] » (f. 92, lettre de juillet) et que, cherchant à obtenir une nouvelle confession, il tentait un habile : « Mon impression est maintenant qu’on vous a mis dedans, vous, comme les autres, en vous faisant écrire le bordereau… Sandherr se trompait. Ou je me trompe grossièrement ou le capitaine Alfred Dreyfus est innocent. Je l’ai vu de très-près, cet homme n’a pas le regard d’un traître !… On s’est trompé pour lui ; et on a abusé de vous pour vous faire fabriquer le bordereau grâce auquel on croyait le pincer. Réfléchissez et dites-moi très-nettement ce que vous pensez de mon impression. Etes-vous bien sûr qu’après s’être trompé pour lui, on n’ait pas essayé de vous tromper, vous, en vous faisant croire à sa culpabilité ?… Vous me ferez plaisir en me disant tout de go ce que vous pensez de ceci ?… » (f. 114). Il n’aura pas de réponse et le projet d’ouvrage ne verra jamais le jour.
Pour Le Matin, il se rendit à Rennes dès la fin juin pour couvrir les préparatifs du procès puis, en doublon avec Gaston Leroux, l’événement. Il signa ses articles sous son pseudonyme de Paul Ribon ou sous celui de Serge Basset, ayant la chance extraordinaire de pouvoir vivre l’événement de l’intérieur dans la mesure, nous l’avons précédemment vu, où il avait été appelé par la défense à déposer au sujet d’Esterhazy et de la manière dont il avait obtenu ses aveux. Il écrivit de nombreux papiers, des « Notes d’un témoin », petits bouts d’interviews, propos dérobés et portraits des protagonistes. Des comptes rendus neutres mais dans lesquels ses préférences peuvent se deviner. Après le verdict, tout à fait dreyfusard, il signa l’Adresse à Dreyfus (L’Aurore du 11 septembre 1899).
Par la suite, revenu au Gil Blas, puis passé au Figaro où il écrira jusqu’en 1911, Basset publia de nombreuses pièces de théâtre (Poste restante, 1904 ; La Faute, 1904 ; La Femme à César, 1905 ; Racine chez Arnauld, 1905 ; Une aventure de Frédérick Lemaître, 1907 ; L’Auberge rouge, 1908 ; L’Amour à quinze ans, 1909 ; L’Évasion du capitaine, 1912 – sans rapport avec l’Affaire, etc.), quelques romans et recueils de contes gais (Au Poste, 1898 ; Comme jadis Molière, 1901 ; Laissez donc ça !, 1902, Fine mouche, 1909 ; Le Premier amour, 1914) et continua sa collaboration aux journaux. Au Figaro, il dirigea bientôt le courrier théâtral, puis, après avoir arrêté pendant un temps ses activités journalistiques pour se consacrer à la direction du théâtre Femina, qu’il avait repris avec Louis Bénière, il y revint, tout d’abord à L’Information puis au Petit Parisien, pour lequel, pendant la guerre, il fut correspondant. C’est au cours de son travail qu’il fut tué par une balle perdue. À l nouvelle de sa mort, la presse fut nombreuse, célébrant le héros mort au feu et aussi le journaliste, rappelant ses « reportages très personnels et très littéraires » (Adrien Vély, « Mort de Serge Basset », Le Gaulois, 1er juillet 1917 ; voir aussi Séverine, « Pour une rose ! », Le Petit Parisien, 6 juillet).

Sources et bibliographie :  sur Basset on lira la notice que Guillot de Saix lui a consacrée dans l’Anthologie des écrivains morts à la guerre. Tome 5. Amiens, Edgar Malfère, Bibliothèque du Hérisson, 1926, p. 776-781.On verra aussi son dossier de la Légion d’honneur, sous la cote : 19800035/457/61114. Sa déposition à Rennes se trouve dans Rennes III, p. 384-390. Les lettres à Esterhazy, dont nous citons ici quelques extraits, sont conservées à la BNF sous la cote: n.a.fr. 16447, f. 25-164. On trouvera aussi à la BNF, sous la cote n.a.fr. 13523 (volume numérisé, suivre le lien), quelques lettres d’Esterhazy à Basset.

Philippe Oriol

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