Jacques Bahar

Bahar, Jacques (Jacob Ben-Bahar dit), littérateur et publiciste français, né à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 25 janvier 1858*, décédé à Paris le 26 décembre 1923.

Nous ne savons que peu de choses de la jeunesse de Bahar si ce n’est qu’il la passa en Algérie et commença à écrire dans les journaux oranais. Un temps officier interprète d’état-major attaché au gouvernement militaire de Paris, professeur d’italien au Cercle militaire de Paris et d’allemand à celui d’Alger, Bahar collabora à quelques journaux (L’Écho de Paris, Le Matin, etc.) et à quelques revues de « Jeunes » (Matines, Le Libre, etc.).
Engagé dès la fin de 1897, il publia quatre plaquette : Esterhazy contre lui-même et Étrennes à Dreyfus (1897) et Le Premier Uhlan de France et Le Traître (1898). De même, il publia dans Le Siècle du 9 janvier un « Examen philologique du bordereau, des lettres d’Esterhazy et de celles de Dreyfus », indiquant, par le nombre extraordinaire de germanismes et leur identité dans le bordereau et les lettres d’Esterhazy, que ces « documents émanent de la même personne » et il répondit à l’enquête de La Critique pour affirmer et soutenir « l’attitude de Zola [qui] est celle des plus grands réformateurs des siècles qui savaient que, le triomphe de la justice étant un phénomène d’ordre physique, il s’impose toujours en peu de temps à condition que ses partisans recourent aux moyens révolutionnaires » (no 72, 20 février 1898, p. 42-43). En mars, il donna au même Siècle un curieux et amusant « Antigoyisme à Sion », affaire Dreyfus à l’envers (20-22 et 25 mars) et le 27 mai, une réponse amusée au Solécisme du bordereau de Jacques de Biez, petite étude d’un « chétif David » face à un « Goliath du terroir de Gaule, en les veines de qui ruissellent dix siècles de syntaxe ». Il participa aussi à la souscription pour offrir une médaille à Zola (3e liste du Siècle et des Droits de l’Homme) et à la souscription du Siècle en réponse à l’affichage du discours de Cavaignac (1ère liste). Quelques semaine plus tard, nous apprend Yehouda Moraly*, il publia en hébreu, dans la revue Hazvi, un article dans lequel il comparait « l’affaire Dreyfus à l’affrontement entre Pharaon et Moïse au moment de la sortie d’Égypte » (« Rien de nouveau sous le soleil », 26 août ; Moraly*, p. 201).
Lié à Bernard Lazare, membre probable du Comité de défense contre l’antisémitisme, il rejoignit bientôt le premier défenseur de Dreyfus dans le combat nationaliste juif et adhéra au sionisme qu’il avait jusqu’alors regardé d’un œil plus que critique, comme il l’avait fait dans son ouvrage La Question juive. Restons ! Réponse au projet d’exode des Juifs (Société libre d’édition des gens de lettres, 1897), ouvrage dans lequel il insistait sur la nécessité de la présence des juifs parmi les nations. Changeant du tout au tout, il proclamera, à partir de 1899, dans la revue qu’il fondera, Le Flambeau, « organe du judaïsme sioniste et social » (5 numéros, janvier à mai 1899) : « Qui se complaît en exil est un chrétien » (« Sionisme et patriotisme », février 1899). Sioniste actif, délégué aux congrès avec son épouse, Blanche, traducteur « officiel » du deuxième congrès sioniste de Bâle en 1898 (discours d’Herzl et de Nordau, publié chez Stock en 1899), il prônait le « retour au judaïsme » et les vertus du patriotisme français et de la défense de la République. Il appela pour cela, en octobre 1898, dans un nouveau journal La Libre croyance, les Juifs à s’organiser « au grand jour, sous les regards de cette France sublime qui, la première, nous a rendu notre dignité d’hommes et à qui nous lie une dette de reconnaissance éternelle. / Organisez-vous en parti de liberté et de justice pour tous nos frères Français ». Socialiste, opposé aux pratiques herzliennes, il démissionnera bruyamment, avec Bernard Lazare, du Comité d’action sioniste.
Par la suite, collaborateur à L’Aurore, au Gil Blas au Moniteur des colonies, à L’Internationale, à La Grimace, etc., auteur de quelques opuscules et d’un volume (Le Protectorat Tunisien. Ses Fruits. Sa Politique, publié chez Dujarric en 1904), il vécut semble-t-il dans la précarité. Comme nous l’apprend une lettre à Émile Meyerson de la veuve de Bernard Lazare, qui lui demandait de lui venir en aide, Bahar était alors « atteint d’une paralysie de la face, donc obligé de rester chez lui et de cesser le pauvre travail qui le fait manger, lui et sa belle-sœur » (The Central Zionist Archives).
On le retrouve en 1910 président de la Chambre syndicale de l’Invention (dont il était semble-t-il le seul membre), en 1912 collaborateur de la Semaine littéraire et politique de Paris, collaborateur de La Grimace en 1921, et enfin en 1923 auteur d’un « appel paru dans la presse en faveur des juifs molestés et dont le respect est présenté comme condition de la civilisation… » (collection particulière). Il avait aussi eu quelques problèmes avec la justice : en Tunisie en 1902 dans une assez obscure affaire ; en 1913 (il collaborait alors au Judaïsme tunisien et à La Petite Tunisie) où il fut emprisonné pour détournement de fonds puis libéré ; et en 1918 à six mois de prison pour défaitisme.
Un des premiers dreyfusards, un des premiers sionistes, ami et homme de confiance de Lazare, Bahar fut une figure étonnante qui n’hésita pas à se porter aux premières lignes du combat au moment où rares étaient ceux qui osèrent s’engager. Et s’il ne fut sans doute pas ce « juif antisémite » dont aimait parler à son propos La Libre Parole (Boisandré, « Au jour le jour. Une petite affaire Dreyfus en Tunisie, La Libre Parole, 3 décembre 1901), il est vrai qu’il entretint avec Drumont et ses amis (avec Gohier aussi ; voir Moraly*, p. 205) de bien curieuses relations dont témoigne cette lettre de remerciements qu’il adressa à Albert Monniot qui avait pris sa défense à l’occasion de ses déboires de 1913 :

Monsieur et honoré confrère,

Réveillé brusquement dans mon premier sommeil, à Fresnes, pour être, par ordre télégraphique de la Chancellerie, libéré sur-le-champ, je prends connaissance chez moi du splendide article de La Libre Parole, dû à votre plume si généreuse.
Je suis infiniment heureux, en tant que Juif, de vous attribuer la plus grande partie de cette issue inespérée. Ce n’est pas d’hier qu’il y a a La Libre Parole une grande âme confraternelle. Il y a vingt ans, M. Edouard Drumont, en se déclarant prêt a soutenir mon droit dans une cause similaire, me citait le mot de Louis Blanc : « Tout ce qui est juste me regarde ».
Veuillez-agréer, monsieur et honoré confrère, l’expression de mon intense gratitude. (« Un succès de “La Libre Parole” », 26 août 1913).

Mais était-il devenu pour cela, comme le dit Yehouda Moraly, « un Juif déchiré et dévoré par la haine de soi » (*p. 208) ? Nous ne le savons pas.

Sources et bibliographie : Les références complètes de ses plaquettes sont : Esterhazy contre lui-même, Paris, Stock, 1897 ; Étrennes à Dreyfus, Paris, Imprimerie du Petit-Bénéfice, 1897 ; Le Premier Uhlan de France. Paris, Imprimerie du Petit-Bénéfice, 1898 ; Le Traître. Vincennes, Imprimerie L. Lévy, 1898. À son sujet, il faut lire les pages de Michael R. Marrus (Les Juifs de France à l’époque de l’affaire Dreyfus. Bruxelles, Complexe, 1985, pp. 289-301) ; celles de Jean-Marie Delmaire (« La France à Bâle : les délégués français au premier congrès sioniste », Archives juives, no 30/2, 1997) et le récent article de Yehouda Moraly, « Un parodie prophétique », Pardès, 2017/1, n° 60, p. 201-208) qui publie aussi , l’« Antigoyisme à Sion ».

Philippe Oriol

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