Barbier, Pierre, Auguste, Christian, poète et auteur dramatique français, né à Paris le 30 octobre 1854, décédé à une date que nous n’avons pu retrouver.
Fils du précédent, Pierre Barbier, après des études classiques suivit par une sorte d’atavisme naturel son inclination pour l’écriture. Le succès de quelques pièces conforta sa vocation : Un conte de grand’ mère, Le Drapeau de Bitche, Le Roi chez Molière, Gaîté, Indigne, L’Enclume, Le Modèle, etc. Il collabora également au Gaulois, au Petit Journal, au Petit Parisien, à la Revue d’art, etc.
Scandalisé par une condamnation suspecte, il chercha à s’informer sur l’affaire Dreyfus et demeura attentif aux différents articles qu’il put lire dans la presse afin d’affermir ses convictions. Il s’engagea très rapidement en faveur de la révision du procès de 1894 et déplora les séances à huis-clos qui ressuscitaient selon lui le Moyen âge. Aussi, en janvier 1898, il adressa à Yves Guyot une lettre ouverte dans laquelle, réclamant la révision, il reprenait non sans ironie la polémique concernant les fonds qui « permettent à la défense de s’organiser » et réclamait alors son appartenance à ce « Syndicat sémite » qui avait déjà acheté non moins que « MM. Scheurer-Kestner, de Rodays, Trarieux, Clemenceau, Zola, etc…, les soldats Forzinetti et Picquart et sans doute aussi le général de Galliffet, vient encore d’acquérir, à coup de millions évidents, le concours de MM. Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur, Anatole France et Maurice Bouchor ». Il voulait ainsi ajouter son nom à la liste de ceux qui criaient « la lumière ! » et en profitait pour fustiger « tous ces braves à trois poils de la presse boulangiste, […] fleurant trop l’Opéra-Comique et formé, […] à l’école / Du tambour major, Tout galonné d’or, / [qui] s’exalte à crier, sous de grosses moustaches : “Respectez l’armée, […] l’étranger la guette, ne l’exposez pas à ses colères !” ». Il était révolté par la couardise des généraux qui « pour excuser ces procédés d’Inquisition nouvelle », se cachaient dans l’ombre de leur sanctuaire et se mettaient à l’abri de tout contrôle, de toute critique. Il était terrifié à l’idée « qu’un innocent, peut-être agonise dans l’infamie pour un crime qui n’est pas sien », et que la seule procédure arbitraire et illégale fût dictée par les haines de race et de religion. Et dans la poème suivant la lettre, intitulé « Cas de conscience », Barbier, tout en rendant hommage à Zola célébrant la Justice, écrivait
C’est à nous de crier : Vous outragez l’armée, <brFrançais qui doutez d’elle et qui la menacez !
Elle a de sa valeur la mesure certaine,
[…] Sa vaillance n’a peur d’aucun croquemitaine.
Il engageait à la révolte, et conviait au nom de la « Nation lumière, qui vit de clarté » à l’action :
Tout un peuple est en train d’assassiner un homme,
[…] vous apprendrez, plaisants maquilleurs d’attentats,
Que ce peuple n’a pas renversé la Bastille,
Pour qu’on l’accule encore à des raisons d’État !
Faites, faites la nuit, propice à l’indécence !…
Ce peuple allumera son flambeau !… C’est écrit !…
Malheur, s’il a, par vous, condamné l’innocence !…
Français, vous m’entendez ! Tu m’entends, Jésus-Christ ? » (Le Siècle, 20 janvier 1898).
Dans un autre poème, publié dans Le Siècle du 23 février 1898, il poursuivit son appel auprès des « vrais braves », des « fils de la liberté », des « élus et gouvernants » afin que la nation ne soit pas souillée de « sanglantes journées », afin que ne meurent pas la liberté, la justice et la vérité. Il criait à la trahison, à « l’audace d’une infâme et folle coterie » qui s’en tenait à la chose jugée. Barbier ne cessait de mettre les Français en garde et montre les dangers de la violation des libertés :
C’est donc fait ! La Bastille est debout et se dresse
Sur Quatre-vingt-neuf effondré !
La Révolution est en détresse,
Et meurt ! Le progrès est muré !
La Force a reconquis sa bonne citadelle,
Contre la Justice et le Droit !
Il s’employait ainsi à éveiller les consciences, à dessiller les yeux de chacun, afin que l’irréparable ne fût pas commis. Il montra sans cesse l’abîme qui allait enserrer la nation, l’obscurantisme qui allait découler d’une telle ignominie :
Laissons faire, et demain aux caprices d’un homme,
Nous nous traînerons enchaînés !
Et l’histoire, en émoi verra cette autre Rome,
Livrée aux soudards avinés !
Terrifié à l’idée que la raison d’état primât sur la justice, l’espoir en une issue digne ne le quittait pas :
Ne doutez pas ! Gardez la foi !
Un seul droit qu’on égorge emporte tous les autres !
Républicains, sauvez la loi ! (« Sauvez la loi »).
Pierre Barbier soutint sans relâche la juste cause. Ainsi, encore, quelques jours plus tard, il adressait une lettre ouverte au prince Henri d’Orléans afin de le convaincre du bienfondé de la révision du procès. Barbier proclamait la légitimité de ceux désignés par Henri d’Orléans sous le nom de « sans patrie ». Il soulignait que c’était justement la vénération pour l’armée qui poussaient des hommes « à souhaiter que cette belle et grande famille demeurât sans tâche et sans reproche » et que ces hommes agissaient « dans la ferveur de leur conscience, douloureusement troublée par l’effroi d’une erreur judiciaire possible et d’un martyre peut-être immérité ». Barbier se déclarait Républicain dans l’âme et afin que l’armée retrouvât son honneur, il souhaitait que les personnes ayant de hautes fonctions n’empêchassent pas que la lumière vînt. Il rappelait que la justice ne pouvait épargner les généraux et qu’il n’était pas concevable pour la dignité d’un pays « de proclamer sans examen l’infaillibilité militaire ». Il désirait que la nation française s’absolvât d’une « irrégularité légale » et déclarait soutenir avec tous les « citoyens consciencieux », « tous ces honnêtes gens » de l’absolue nécessité de proclamer la vérité, « le respect du Droit, de la Loi et de la Liberté », afin que « la patrie demeure la gardienne des Droits de l’homme, dont elle fut la législation » (« Lettre ouverte à Mgr le Prince Henri d’Orléans », Le Siècle, 27 février 1898). Barbier ne se soumettait pas et malgré la réponse du prince d’Orléans qui l’engageait à se « faire pardonner la mauvaise action » à laquelle il était associé, comme sur la nécessité de « s’incliner devant le jugement de deux Conseils de guerre, de deux conseils d’enquête, devant le témoignage de quatre généraux », il continua à dénoncer l’irrégularité de la procédure. Il affirmait que l’armée n’était qu’un organe de la patrie et, qu’au même titre qu’un citoyen, elle devait respecter la loi et que « ce n’est point mettre en doute la bonne foi d’un tribunal que d’exiger d’un juge instructeur l’observation rigoureuse de tous les articles du Code ». Barbier avait foi en la Justice et cherchait à convaincre « de la réalité d’un patriotisme qui veut que cette grande famille de l’armée demeure pure de tout reproche », (« Réponse au Prince d’Orléans, Le Siècle, 1er mars 1898).
Le 12 mars, il donna au Siècle un nouveau poème, « Les Justes » et, en juillet, participa à la souscription du Siècle en réponse, ainsi qu’il l’écrira, aux « naïvetés officielles du pauvre monsieur Cavaignac » (2e liste ; lettre publiée dans Le Siècle du 15). Le 12 novembre suivant, désirant se rendre utile, et ne vivant « plus que pour cette affaire » – « Je ne travaille plus, j’en suis malade et je cherche à un mal qui me tourmente tous les exutoires possibles » ajoutait-il –, il adressa une lettre à Joseph Reinach afin de lui signifier son admiration et son soutien (BNF n.a.fr. 24896, f. 4). Barbier soumettait ainsi à la « haute compétence » de Reinach un projet, qui demeura sans suite, de pétition au ministre : « Si vous jugez que cette adresse au ministre n’est pas intempestive, je crois que le plus sûr serait de l’imprimer, de l’envoyer à tous ceux que l’on voudrait conquérir et de les prier dans le cas ou ils voudraient bien nous suivre, de venir, la signer au Siècle » (ibid., f. 5-5vo).
Barbier ne se manifestera plus guère, en tout cas publiquement, à l’exception de son adhésion à la protestation en faveur de Picquart (2e liste) et sa présence à la réception en l’honneur de Picquart donnée par Trarieux après sa libération. En juin 1898, après l’arrêt de la Cour de cassation proclamant la révision, il écrivit au capitaine Dreyfus pour se réjouir et l’engager à ne pas céder à la clémence :
Au moment où la Cour de Cassation proclame votre innocence que je m’honore d’avoir proclamée dix-huit mois avant elle, en de modestes vers, avec toute une phalange d’honnêtes gens, j’éprouve une joie profonde à vous adresser l »hommage de ma vénération pour votre admirable caractère de soldat, magnifique de discipline, de résignation et de patriotisme.
Vous avez l’affection de tous les gens de cœur, la haute estime de tous les gens d’honneur. Que ce soit un adoucissement au souvenir de vos longues tortures. Mais la présence et la tendresse de l’admirable femme, si digne de vous et de la France, dont le foi en vous et dans la justice a triomphé de la plus honteuse des coalitions, vous donneront bientôt l’oubli de ces heures désespérées.
Redevenez heureux, mon Capitaine. Mais ne soyez pas trop clément. Nous avons travaillé pour la Vérité. Si vous en possédez une parcelle, elle appartient au pays, qui ne retrouvera le calme et la sérénité que dans l’administration d’une justice impartiale et sans lacunes, et aussi à vos enfants qui ont droit à une démonstration sans appel de l’innocence de leur père, démonstration qui ne sera faite aux masses profondes de la nation que par la confusion de vos bourreaux. (lettre du 4 juin, Musée de Bretagne).
Après le verdict de Rennes, il écrivit à Lucie pour lui demander de transmettre une nouvelle lettre à Dreyfus et lui affirmer que « nombreux » seraient « les braves gens [qui] se fer[aie]nt tuer pour le sauver […], car le pays commence à comprendre que le combat pour Alfred Dreyfus, c’est le combat pour les Droits de l’homme » (11 7bre 1899) :
Mon capitaine.
Ne doutez pas de l’âme de votre chère France. L’inébranlable courage qui vous soutient en est le lumineux symbole et, en la jugeant d’après vous-même, conservez entière cette foi qui vous a fait vivre et qui provoque l’admiration de tout le monde civilisé. La conscience française s’est réveillée et vous rétablira bientôt dans vos droits, c’est-à-dire dans votre honneur.
Ce qui assure votre salut, mon capitaine, c’est que vous résumez en votre personne la liberté individuelle, le droit et la justice outragés. Votre cause est la plus sainte qui ait ému notre histoire. Nous la défendrons avec l’enthousiasme inextinguible des apôtres. Je plains les sots qui en ont douté.
Merci pour l’armée française de votre héroïque attitude. La beauté de votre caractère rachète les turpitudes de ceux de nos officiers, vos égaux ou supérieurs hiérarchiques trop nombreux, hélas, qui se sont révélés si indignes d’appartenir au même corps que vous. Grâce à vous et à quelques-uns de vos camarades et même de vos juges qui ont osé vous défendre, on peut encore être soldat sans rougir, et mon patriotisme si cruellement éprouvé depuis deux ans, reprend courage à la pensée que, malgré tout, un français peut-être fier de faire partie d’une armée où se forment des âmes comme la votre. Le capitaine Dreyfus en restera l’éternel honneur, et son héroïsme fera oublier sont supplice qui en eût été l’éternelle honte. (11 7bre 1899)
En 1906, au lendemain de la réhabilitation, il écrira à Dreyfus :
Jamais le 14 juillet ne fut aussi légitimement que cette année notre grande fête nationale, venant après ces deux mémorables séances de la Chambre et du Sénat où la conscience française vous a accordé d’acclamation la réparation qui était si légitimement due à votre honneur et à votre patriotique héroïsme
Quelle joie en eût ressentie mon pauvre père qui, un soir, en pleurant, détacha pour vous de sa boutonnière cette croix d’officier de la légion d’honneur qu’il avait été cependant si fier d’obtenir, mais qu’il ne croyait plus avoir le droit de porter, quand on la retirait à Zola, l’admirable avocat de votre cause, qui était celle même de la vérité et de la justice.
Souffrez du moins qu’à sa pensée j’associe sa chère mémoire et que je vous dise, en son nom comme au mien, quel bonheur c’est pour de braves gens et de bons français de voir cette tache nationale si noblement effacée par le fait que vous reprenez enfin votre place dans l’armée, dans cette armée qui nous tient tant à cœur, puisqu’elle est l’âme même de la France.
Et veuillez agréer, je vous prie, mon commandant, l’assurance du très sympathique et très sincère dévouement d’un homme qui s’honore grandement d’avoir été, dans le journal le Siècle, l’un de vos premiers défenseurs. (collection Anne-Cécile Lévy-Ouazana).
Barbier ne ménagea pas ses efforts face à ceux qui résistaient à la proclamation de la justice. Et bien qu’il fût saisi d’effroi face aux trahisons, qu’il exprimât avec rage son impuissance, il ne se découragea jamais ayant foi en la Loi.
Sources et bibliographie : la lettre du 7 février a été reproduite dans Haime, p. 264-266.
Sandrine Maillet et Philippe Oriol