Bailby, Léon, Georges, Alfred, publiciste et directeur de journaux français, né à Paris le 9 mars 1867*, décédé à Paris le 19 janvier 1954.
Après avoir mis prématurément fin à sa carrière d’avocat, Bailby devint secrétaire de Jules Jaluzot, patron des magasins du Printemps, député, et propriétaire de La Patrie et de La Presse. Quand, en 1895, Émile Massard passa de La Presse à La Patrie, Jaluzot offrit à Bailby la place devenue libre. Bailby prit le journal en main et le réorganisa.
Au début de novembre 1896, après la publication par Lazare de son premier mémoire, Bailby, regrettant de voir l’auteur qu’il appréciait « se compromette en si belle compagnie », fit le vœu qu’il en fût vite fini avec l’affaire renaissante : « Il n’y a plus de ménagements à garder, puisque la plupart des pièces, qu’on avait lues à huis-clos pour des raisons d’ordre diplomatique, sont maintenant divulguées. Finissons-en donc une bonne fois. / Après, nous laisserons retomber sur le traître la lourde pierre de son tombeau : l’oubli » (« Pour en finir », 10 novembre 1896). Lors de la reprise de l’Affaire, à la fin de l’année 1897, dans La Presse à laquelle il donnait chaque jour un billet, il se montra nettement antidreyfusard, prenant position contre la mise en cause de la chose jugée. « Dreyfus est jugé, qu’on l’oublie », écrivit-il le 30 octobre 1897 (« Encore Dreyfus »). Quelques jours plus tard, le 4 novembre 1897, il proposa, pour en finir, « Une solution » pour le moins radicale :
[…] il importe, sans préciser les preuves certaines de la culpabilité de Dreyfus, que le général Billot intervienne autrement qu’avec de vagues parole. […] M. Scheurer-Kestner a vu hier le ministre, il lui a évidemment montré son dossier. Qu’on nous dise qu’il est faux, que les preuves sont fausses, que le sénateur a été trompé. Et désormais nous demeurerons tranquilles et rassurés jusqu’au jour où se présentera une éventualité que personne n’ose souhaiter tout haut et qu’on prévoit cependant : une balle « intelligente » venant débarrasser le gouvernement du lourd souci de veiller sur le prisonnier de l’île du Diable.
Ce désir d’en finir peut se lire à peu près dans chacun des billets quotidiens qu’il consacra à l’Affaire jusqu’à Rennes. Ainsi, c’est en ces termes qu’il accueillit le verdict du procès Esterhazy :
Le verdict est prononcé, tel qu’on l’attendait, tel qu’il devait être. Espérons qu’il mettra fin à la déplorable campagne qui trouble le pays depuis trop longtemps déjà. Le commandant Esterhazy acquitté, c’est Dreyfus condamné une seconde fois. Le silence s’impose maintenant. Si les derniers amis du traître ne le comprenaient pas, le gouvernement aurait le devoir de le leur faire comprendre » (« Après l’audience » – exemplaire microfilmé BNF).
Mais, en dehors de quelques rares violences, comme celle citée plus haut, il demeura longtemps sur une ligne relativement modérée, ce qu’il était « par goût », comme il l’écrivit à Déroulède (Joly, p. 45). S’il condamnait la « déplorable » (« Il faut agir, 14 janvier), « l’abominable campagne » (« À quoi bon ! », 2 mars) des dreyfusards dont la majorité à ses yeux n’obéissait qu’à la volonté de « propager leurs théories et [de] miner le régime républicain » (« Où nous allons », 19 février), s’il en appelait aux rigueurs de la loi contre des actes « attentatoires à la Sûreté de l’État, au respect de la chose jugée » (« Lois scélérates », 16 janvier), il fut un de ceux, rares, qui dès le début condamnèrent les violences antisémites (« Demain ? », 20 janvier). Mais cela dit, s’il pouvait par exemple constater les excès de l’antisémitisme algérien qui ne frappait finalement que les plus petits, il n’y voyait que la réponse à « la trop longue oppression » de « l’usure et des exactions juives » (« Le maire d’Alger suspendu », 13 décembre ; « La question algérienne », 24 décembre). D’où les hommages rendus à Drumont au sujet duquel il écrivit à l’annonce de sa candidature aux législatives à Alger :
[…] tous les parlementaires devront s’applaudir de voir le grand polémiste entrer à la Chambre. Il est de ces hommes qui, par leur talent et leur conviction passionnée, honorent un parlement plus que celui-ci ne les honore. (« Les troubles d’Alger », 27 mars 1898).
Aux premiers jours de l’Affaire, regrettant les silences et les mystères du gouvernement et tout particulièrement de Billot, grand coupable à ses yeux (« Les derniers jours » 19 janvier ; « Veille de bataille » 21 janvier, etc.), il put se réjouir de la prise de parole de Cavaignac de janvier 1898, véritable coup de force qui obligeait Méline à parler enfin et à affirmer, en reconnaissant la réalité des aveux, la culpabilité de Dreyfus (« La suite à demain », 24 janvier). Ce sont ces aveux qui l’avaient convaincu de la culpabilité de Dreyfus (« La première journée », 8 février), conviction renforcée par le procès Zola et ce qu’il y avait vu : les témoignages accablants de l’État-major contre Dreyfus (« La Vérité », 10 février) et Picquart (« Des mots ! », 12 février), les constants démentis apporté à Leblois (« Les témoignages », 11 février), le vide de la défense (« la défense n’apporte pas un témoignage, pas un fait précis. Des mots, rien que des mots » (« Des mots ! », 12 février ; voir aussi « Les jurés », 24 février) et, surtout, la sortie de Pellieux relative à ce qu’on nommera plus tard le « faux Henry » (« Le fait nouveau », 18 février). Que pouvaient valoir les procédés de la défense et les experts qu’elle avait mobilisés face à « l’affirmation catégorique et la parole d’honneur d’officiers qui sont, avant tout, des honnêtes gens » (« Où nous allons », 19 février ; « Les témoignages », 20 février) ?
Les vœux qu’il avait à nouveau formés après le verdict du procès Zola que l’Affaire fût enterrée (« L’Épilogue », 25 février) avaient été déçus et c’est avec espoir qu’il avait noté, début juillet, l’annonce du discours que devait faire le nouveau ministre de la Guerre Cavaignac, l’homme fort du gouvernement, peut-être même « le gouvernement tout entier à lui tout seul » :
C’est demain que sera liquidée définitivement – souhaitons-le ! – l’éternelle affaire Dreyfus. M. Cavaignac, qu’on n’a appelé au ministère de la guerre que pour répondre à l’interpellation Castelin, va donc pouvoir s’expliquer. Il le fera sans hésitation et sans réticences, avec cette ardeur à la vérité, dont il déplorait l’absence chez le général Billot. Et peut-être enfin sortira-t-il de cette explication catégorique une lumière suffisante et une pacification qu’on poursuit vainement depuis plusieurs mois. (« Pour en finir », 7 juillet).
Il ne fut pas déçu et l’occasion de célébrer en Cavaignac, celui grâce auquel le pays était, « enfin, délivr[é] de ce trop long cauchemar », fut aussi celle de revenir sur la responsabilité de Billot :
Mais la conduite si franche, décidée, énergique de M. Cavaignac devra être mise en comparaison avec la conduite hésitante, tremblante et équivoque de M. le général Billot. Ce que le ministre d. la guerre d’aujourd’hui a déclaré, le ministre d’hier pouvait le dire lui aussi ; il avait en mains toutes les pièces ; il connaissait les documents et les secrets de l’affaire. Et c’est grâce à son silence, à ses atermoiements, à ses contradictions que nous avons piétiné dans la boue pendant près d’une année ! Par sa force d’inertie, sans rien faire, et précisément parce qu’il n’a rien voulu faire, que se taire, le général Billot a fait au pays un tort considérable, il a divisé les esprits ; par lui on a vu des familles, des amis de jeunesse, des partisans d’une même idée, qui, soudain, étaient séparés, irrités, par la question Dreyfus et qui sans doute n’oublieront pas de sitôt les discordes et les rancunes qui les ont divisés un jour.
Voilà ce dont est responsable M. le général Billot, et ce dont il restera comptable envers le pays. On ne devra pas l’oublier. Ce ministre de la guerre, qui pouvait se contenter d’être un militaire, a vouIu faire de la politique ; il faut du moins qu’il se dise aujourd’hui que son avenir est fini, et que certaines de ses ambitions rencontreront la réprobation unanime, s’il veut jamais tenter de les réaliser. (« Enfin ! », 8 juillet).
Après la découverte du « faux Henry », « fait isolé », et son arrestation (« la faute de l’officier qui vient de punir le ministre est impardonnable, mais elle n’entache pas celui qui l’a commise »), Bailby conserva sa confiance au ministre, lui demandant toutefois, jugeant que « la démonstration est à recommencer », de mener « jusqu’au bout la besogne qu’il a entreprise » et pour cela de revenir « à la tribune nous fournir les preuves nouvelles de sa conviction » (« L’opinion du ministre », 1er septembre). Quelques jours plus tard, et sans aucunement remettre en question la culpabilité du capitaine, il se prononça pour la révision :
M. Cavaignac est toujours convaincu, et nous le sommes avec lui, que Dreyfus a été justement condamné. Néanmoins, désireux de donner satisfaction à l’opinion publique, s’il prend l’initiative au nom du gouvernement de provoquer la révision, il trouvera, pour se mettre d’accord avec lui, les gens de bonne foi que la passion n’a pas égarée.
[…] Depuis un an, nous avons piétiné dans les ténèbres ; on veut la lumière… Allons-y !(« Allons-y ! », 3 septembre).
Devant la décision de Cavaignac de s’y opposer, il se rallia mais en demandant toutefois, et à nouveau, que soit mis en place « quelque chose » : « Il serait insuffisant qu’il voulût résoudre cette grave question par une négation » (« M. Cavaignac refuse », 4 septembre ; voir aussi « Le Silence », 13 septembre).
La nature exacte de ses sentiments du moment nous est connue par une lettre qu’il envoyée à Maurice Barrès le 6 octobre 1898, après la lecture de son article intitulé « L’État de la question » :
Permettez-moi […] de vous féliciter chaudement et bien sincèrement de votre exposé de l’affaire dans l’article si clair, si lumineux et convaincant du « Journal ». C’est un grand bonheur pour nous de vous avoir avec nous car, s’il y a des arguments de sentiment, qui sont excellents à remuer les foules (tout ce que dit Déroulède est bon) il faut pour ceux qui réfléchissent des raisons moins simplistes, plus proches de la logique et de la raison. C’est vous et vous seul qui les avez trouvées. Et je me souviens de la déroute que vous aviez semée au camp des « intellectuels » au lendemain de votre premier article du même « Journal ». Celui d’avant-hier est encore plus impressionnant, à mon avis, et il résume bien, les arguments impérieux et d’ordre général qu’il faut opposer aux thèses particularistes du parti étranger.
En 1899, il soutint la fondation de la Ligue de la Patrie française – à laquelle il adhérera bientôt – qu’il ne voulait considérer, d’un regard myope, que comme une œuvre visant à rétablir l’unité perdue (« La “Patrie française” », 6 janvier 1899) et, peu après, feignant d’en ignorer les motivations à son origine, le projet de loi de dessaisissement : « Nous n’y voyons ici aucun inconvénient. Puisque la magistrature, en son ensemble, à droit à notre respect, plus le nombre de ses représentants sera grand, plus grande sera la garantie que nous donnera sa décision » (« Demain, », 12 janvier) ; « L’affaire Dreyfus portée devant la Cour toutes chambres réunies, c’est le procès remis à une assemblée d’honnêtes gens, dont nous accepterons la décision, quelle qu’elle soit » (« Un coup de théâtre », 29 janvier).
La révision, qu’il acceptait donc, et la publication de l’enquête de la Cour de cassation, jouèrent un grand rôle dans l’évolution de son appréciation de l’Affaire. Il ouvrit enfin les yeux sur la véritable personnalité d’Esterhazy – occasion de revenir à la charge sur l’incapable Billot (« Les Lettres d’Esterhazy », 9 avril) – et devint nettement moins affirmatif quand il s’agissait de la culpabilité de Dreyfus. Il écrivit ainsi le 18 avril : « Recommençons le procès à son point de départ. Qu’il se fasse au grand jour et porte, non sur telle ou telle parole transmise à la justice à travers trois ou quatre intermédiaires, mais sur le fait en lui-même, c’est-à-dire sur la question de savoir si Dreyfus est coupable ou non » (« La Révision », 18 avril).
À la nouvelle de la cassation du procès de 1894, il fut un des rares antidreyfusards à noter la gravité des faits que l’arrêt mettait en évidence :
L’arrêt est rendu la révision est prononcée..Dreyfus va rentrer en France et va passer devant le conseil de guerre de Rennes.
Fait curieux, à noter : la Cour de cassation a retenu deux faits nouveaux ; on croyait qu’elle s’arrêterait surtout au bordereau, si discuté, et dont, ce matin même, Esterhazy se déclarait impudemment l’auteur. Mais ce fait ne vient que le second. Le premier qu’invoque la Cour pour prononcer la révision, c’est la communication en chambre du conseil de pièces secrètes.
J’ose dire que ce motif est infiniment plus grave que l’autre. On a pu se tromper sur l’origine du bordereau : il plane sur sa rédaction, sur les conditions dans lesquelles il a été calqué, un mystère que peut-être le public ne saura jamais. En tout cas, émané ou non de Dreyfus, il a pu être attribué en toute bonne foi à ce dernier par des gens qui, étant donnée la complexité de la question, soutiendraient encore aujourd’hui que c’est Dreyfus qui en est l’auteur.
Donc, on pouvait se tromper ; et si les officiers, si les juges de Dreyfus se sont trompés, ils l’ont fait sans qu’on puisse leur reprocher autre chose que d’avoir été des hommes, exposés comme tels aux sources d’erreur qui menacent chacun de nous.
La communication des pièces secrètes est d’un tout autre ordre. Là, il a fallu une volonté active et consciente qui a incliné les juges du conseil de guerre à une opinion qu’ils n’auraient pas eue, peut-être, dans d’autres conditions. La communication de pièces n’est pas niée. Le général Mercier, dans sa déposition, loyalement, ne l’avait pas démentie M. Casimir-Perier, de son côté, l’avouait ; enfin le capitaine Freystætter [sic] la confirmait. Ici encore ceux qui l’ont faite ont pu être persuadés de l’authenticité des pièces qu’ils communiquaient mais cela n’est pas une excuse. Il est certain qu’on n’avait pas le droit, en dehors de la défense, de passer aux juges des pièces accablantes pour l’accusé. Ainsi, la responsabilité de la révision incombe à ceux qui l’ont rendue nécessaire.
Quoi qu’il arrive d’ailleurs, la parole est au tribunal militaire. C’est l’armée qui reste juge suprême de la faute reprochée à un de ses pairs. Gardons-nous donc de désorienter encore le pays en disant que la révision est prononcée contre l’armée, puisque c’est à elle que restera le dernier mot. (« L’arrêt », 4 juin).
Pendant le procès de Rennes, Bailby – qui avait entre temps essayé de créer son propre organe, L’Express, qui n’aura que deux numéros –, champion de l’apaisement, critiqua la politique du gouvernement qui, selon lui, par quelques mesures qu’il jugeait « déplorables » (arrestations de nationalistes, révocation de Négrier, etc. – voir, par exemple : « L’Attentat d’aujourd’hui », 15 août), montait les Français les uns contre les autres. Il devait ainsi, tout naturellement, face aux deux conceptions dreyfusardes de l’Affaire qui s’exprimèrent à Rennes à travers les deux avocats, choisir Demange, « qui se préoccupe de défendre avant tout son client », contre Labori, « sans cesse occupé à plaider pour la galerie et pour l’histoire » : « ce n’est pas le triomphe d’une politique qu’on cherche à Rennes, c’est celui de la justice » (« Innocent ou coupable », 27 août). Le verdict, qu’il accueillit froidement, sans triomphalisme, fut pour lui une nouvelle occasion de prêcher le calme et l’oubli (« Le Verdict », 10 septembre). Et, après avoir souhaité la grâce pour Dreyfus à condition qu’elle entraînât l’amnistie générale (« Donnant, donnant », 14 septembre), il changea de cap, la grâce proclamée, critiquant durement le Président Loubet : « […] les juges de Rennes en lui donnant les circonstances atténuantes, voulaient enlever à sa peine l’idée terrible de perpétuité. Ils avaient tenu compte aussi de cette situation particulièrement douloureuse : du retour en France, de l’espoir, qu’on avait fait naître chez l’inculpé, d’un acquittement possible. Tout cela leur avait paru mériter quelque pitié. C’était à bon droit. Mais aller plus loin, c’était dépasser leur pensée, excéder les bornes de leur indulgence. Il est regrettable que le Président ne l’ait pas compris » (« La Grâce », 20 septembre, voir aussi « C’est la paix ! », 21 septembre). Ce n’était toujours pas d’un traître dont parlait Bailby décrivant ainsi l’« inculpé » Dreyfus.
L’apaisement souhaité obtenu, Bailby, qui ne voulait plus parler de l’Affaire (« Toute la vérité », 27 mai 1900), radicalisa sa position. Défenseur de Cuignet (« L’accusé », 19 décembre 1900 ; « Il y a vingt mois… », 22 décembre), demandant que Galliffet soit mis en accusation pour avoir demandé à Carrière, lors du procès de Rennes, de tenir son rôle en conservant à l’esprit l’arrêt de la Cour de cassation (« La vraie “lumière” », 9 décembre 1901), saluant, à la nouvelle de la mort de Zola, la disparition d’un grand écrivain qui s’était « trompé lamentablement » (« La mort de ZOla », 30 septembre 1902), il avait pu se réjouir des défections dreyfusardes, comme celles de Labori ou d’Ibels :
Pendant que M. Labori nous explique, verbeusement, pourquoi il a lâché le dreyfusisme, un autre dreyfusard, gui n’était pas des moindres, le dessinateur André [sic] Ibels, s’échappe de la maudite galère, en cassant vitres et cordages. Pour tout dire, si le public avait à choisir entre les deux attitudes, il préférerait aux explications bien « opportunistes » de l’avocat Labori la brutale franchise du dessinateur.
Notre rôle, à nous c’est d’enregistrer de tels incidents, qui éclairent d’une lumière si crûment intéressante les dessous de l’Affaire. Il y avait deux sortes de malades qu’avait touchés le virus dreyfusard les gens de mauvaise foi et les. naïfs. Les gens de mauvaise foi gardent leur position. Qu’ils y restent !
Quant aux autres, aux naïfs, le moment devait venir, fatalement, où leurs yeux s’ouvriraient à la vraie lumière. Si leur évolution est sincère, ne pourra-t-on accueillir ces pécheurs repnetis ?
Le cas d’Ibels est d’autant plus intéressant qu’il nous fournit, outre des aperçus nouveaux sur l’Affaire, de piquantes révélations sur les affaires juives en général et sur l’incroyable méthode qui a présidé à l’une et aux autres. De même que l’oncle Reinach menait en grand la corruption panamiste, de même le neveu Joseph apparaît plus clairement que jamais l’inspirateur de la campagne dreyfusarde et l’exécuteur soigneux et intéressé des vengeances de la tribu.
Et de toutes ces révélations qui éclatent au jour le jour, ainsi que des fruits trop mûrs, naîtra sans doute, un jour prochain, l’éclatante certitude, pour tous les Français de France, qu’il est temps d’enrayer la marche effrayante du cosmopolitisme juif. Nous finirons par comprendre ‘qu’il est stupide de livrer à cette horde aux dents longues toutes les clefs de nos citadelles, les journaux et les librairies, le Parlement et les théâtres, les places et les faveurs, la pensée et le capital.
Le banquier Mirés, qui était de la tribu et qui s’y connaissait, disait « Dans cinquante ans, nous ne laisserons même plus aux Français la corde pour se pendre. » Les. temps sont venus. Il faudra donc s;e pendre ou les pendre. (« La Corde », 5 décembre 1901).
Dans cette logique, proche de la Ligue de la Patrie française aux dîners et réunions de laquelle il participait régulièrement (voir par exemple le compte-rendu du banquet du 2 décembre 1903 dans La Libre Parole du 3) et dont son journal était devenu une des voix, c’est en ces termes qu’il accueillit la relance de l’Affaire par Jaurès en avril 1903 : « La vérité c’est que l’Affaire en elle-même est finie, et bien finie. Dreyfus le traître a été condamné deux fois et il a accepté sa grâce. Il n’y a pas à sortir de là » (« La Séance », 8 avril). Puis, quelques jours plus tard, développant des thèmes qui, jusqu’alors, n’étaient pas apparus sous sa plume :
« Ce malheureux qui attend qu’on lui rende son honneur et sa vie ».
Ce « malheureux », vous l’avez deviné, c’est Dreyfus. Et l’homme qui lui décerne cette épithète, c’est Cornély, l’homme qui, après avoir professé pendant les trois quarts de sa vie des théories conservatrices et catholiques, a été converti subitement à l’internationalisme judaïque par le souci d’assurer, comme il disait, « le pain de ses vieux jours.
Et, encore, plus loin :
Le pays ne veut pas de cette comédie. Nous aurons rien ou tout. Mais nous acceptons d’avance avec la majorité du pays de n’avoir plus rien, les témoignages déjà fournis étant suffisamment irrécusables pour tenir notre conscience en repos.
Et il faut répéter encore et sans cesse qu’un homme deux fois condamné qui accepte sa grâce se reconnaît par là-même coupable. Qu’a-t-on besoin d’autres preuves ? Est-ce que celle-là ne suffit pas ? (« Ce qu’“il” en pense », 10 avril 1903).
En 1906, Bailby passa à L’Intransigeant. Il releva le journal qui s’essoufflait et lui imprima une direction politique dans la ligne qui était celle de la Ligue de la Patrie française. En retrait derrière Rochefort qui signait le leader, Bailby parla peu de l’Affaire. Bien sûr, après la réhabilitation, en bon nationaliste, il ne laissa pas passer l’occasion de prendre la plume pour s’insurger contre « le coup d’état de la cassation sans renvoi » (« Hier et aujourd’hui », 24 juillet 1906). Lui, qui tout au long de la « deuxième » Affaire avait eu pour point d’honneur de se tenir loin de la meute, hurlait maintenant avec elle et devant elle. Il était ainsi logique qu’il souscrivît, en octobre 1906, parmi les premiers (1ère liste) à l’Hommage national à Mercier qu’avait ouvert l’Action française.
En 1908, après le départ de Rochefort avec lequel il s’était fâché, Bailby, seul maître à bord, imprima à L’Intransigeant, renforcé par l’arrivée de Gohier, une direction plus nationaliste encore et tout à fait antisémite. Il ne parla plus guère de l’Affaire, enregistrant toutefois l’acquittement de Grégori qu’il voulait considérer comme « la réponse du peuple » à la provocation que constituait à ses yeux la panthéonisation de Zola (13 septembre 1898).
Sous sa direction, L’Intransigeant, deviendra, dans les années qui suivront, le plus grand quotidien parisien du soir. À la fin de l’année 1932, en désaccord avec son plus important commanditaire, il le quittera pour fonder Le Jour, journal du matin d’une franche orientation droitiste. En 1938, il rachètera L’Écho de Paris qui sera absorbé par Le Jour, puis publiera, en septembre 1940, un collaborationniste L’Alerte qui disparaîtra en 1943.
Dans ses souvenirs, publiés en 1951 (Pourquoi je me suis battu), il n’évoquera l’Affaire que sur une page, ne disant rien de son engagement et n’abordant l’événement que pour évoquer la figure de Déroulède. Toutefois, il y écrira cette phrase qui explique peut-être son attitude de 1899, de l’enquête de la Cour de cassation à Rennes, et témoigne peut-être aussi de ce qu’étaient ses sentiments au soir de sa vie : « Et quand survinrent les nombreux et dramatiques incidents qui pouvaient nous faire douter de la clairvoyance de l’état-major… » (p. 55).
Léon Bailby synthétise en lui seul l’antidreyfusisme modéré, opposé aux débordements et partisan de l’apaisement, le révisionniste de raison et l’antidreyfusisme violent, antisémite et militant. Il fut même si modéré, pendant la seconde Affaire, que Paul Alexis, un moment, put le croire devenu dreyfusiste (lettre à Zola du 13 avril 99 citée in B. H. Bakker, Naturalisme pas mort. Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola. 1871-1900, Toronto, University of Toronto Press, 1971, p. 442). Mais après la grâce, quand commença la troisième Affaire dont il ne voulait pas, il devint de ces violents qu’il avait jusqu’alors critiqués.
Sources et bibliographie : dossier de la Légion d’honneur : 19800035/1/84. On consultera aussi : Bellanger, Godechot, Guiral, Terrou, Histoire générale de la presse française. Tome 3, Paris, PUF, 1972, p. 342, 534-537 et André Salmon, Souvenirs sans fin 1908-1920, Paris, Gallimard, 1956, p. 12-21, 25-28 et 37-41. On lira aussi ses souvenirs : Pourquoi je me suis battu, Paris, Plon, 1951. La lettre à Barrès, avec 30 autres, est conservée à la BNF, f. 2.
Philippe Oriol