Joseph Bertrand

Bertrand, Joseph, Louis, François, mathématicien, économiste et historien des sciences français, né à Paris le 11 mars 1822*, décédé à Paris le 3 avril 1900.

Enfant prodige, Bachelier, licencié et docteur ès-sciences entre onze et dix-sept ans, polytechnicien (1839), agrégé de mathématiques, Bertrand, frère d’Alexandre, fut professeur au lycée Saint-Louis, puis à Polytechnique, maître de conférences à Normale puis professeur au Collège de France à partir de 1862. Il fut membre de l’Académie des sciences (1856) et fut élu à l’Académie française en 1884. Joseph Bertrand se trouva mêlé à l’Affaire bien malgré lui suite à l’attaque dont il fut l’objet par Barrès qui lui reprocha par erreur, le confondant avec son frère, la signature qu’il n’avait pas donnée aux protestations de janvier. Au passage, et pour porter sa critique, Barrès évoquait le Blaise Pascal (Paris, Calmann-Lévy, 1891) de « ce brillant intellectuel qu’il faut déclarer tout au moins dépourvu de clairvoyance psychologique », « ouvrage tout à fait nul et l’œuvre d’un esprit frivole, incapable de se fixer » et qui selon lui prouvait bien « que le fait de siéger dans une Académie des sciences ne préjuge aucune autorité particulière pour réviser les travaux d’un conseil de guerre » : « Qu’il laisse les hommes, celui-là, et qu’il étudie les mathématiques » (« La protestation des intellectuels ! », Le Journal, 1er février 1898). « [E]ncore indécis » à ce moment, raison pour laquelle il n’avait rien signé, il avait été « aussitôt [souligné quatre fois] convaincu » par Reinach quand ce dernier lui avait soumis la correspondance GonsePicquart (lettre de Reinach à Labori, sans date, BNF n.a.fr. 28046 (31), f. 141). Et s’il signa la pétition modérée demandant l’ajournement du procès Picquart (« Un vœu », Le Temps du 6 décembre 1898), il avait, quelques jours plus tôt, le 1er décembre, écrit à Claretie après avoir lu sa « vie à Paris » qui rendait hommage à l’ancien chef de la Section de statistique, pour lui dire que si lui aussi faisait partie de « ceux qui comprennent Picquart et qui l’admirent, de ceux aussi qui, sans comprendre l’aveuglement de ses ennemis, veulent se borner à les plaindre », il voulait considérer le général Zurlinden comme étant « aujourd’hui, plus encore que Picquart, poursuivi par le blâme et condamné par l’indignation des juges, plus nombreux peut-être et non moins consciencieux que les accusateurs de Picquart » (« L’affaire Dreyfus », Le Temps, 3 décembre 1898). Une déclaration qui lui vaudra d’être pris à parti par Pierre Quillard qui, dans un meeting, déclarera refuser « de s’associer à l’opinion de ce membre de l’Institut, à moins que M. Bertrand n’ait, pour la circonstance, emprunté à M. Barrès ses procédés d’ironie supérieure » (« Vive Picquart ! », L’Aurore, 4 décembre). Sollicité pour donner son nom à la toute nouvelle Ligue de la patrie française, il expliquera, le mois suivant, interrogé par Le Temps, les raisons pour lesquelles il avait refusé d’en signer l’appel :

[…] il ne paraissait pas clair. Avant de donner mon adhésion, j’aurais voulu savoir, tout naturellement, ce que souhaitaient les promoteurs de cette ligue, et cela de façon certaine ; je voulais connaître leur programme, leur but. Or, l’appel soumis aux signataires ne dit rien de net et de précis, ce qui suffisait, à mon avis, pour motiver une abstention. Mais je n’ai rien pu apprendre davantage, malgré diverses conversations avec plus de vingt très honorables interlocuteurs. Dans ces conditions, j’ai cru qu’il ne m’était pas permis d’approuver par ma signature une ligue que je ne comprenais pas.

Et à la question de savoir s’il ne suffisait pas de savoir que le but de la nouvelle ligue était de défendre l’armée, Bertrand répondait :

Croyez-vous donc que l’armée que j’aime et respecte profondément que l’armée soit à ce point attaquée qu’il faille la défendre ? Et, fallût-il la défendre, était-ce un moyen efficace que cette manifestation proposée ? J’aurais examiné cela sans doute, mais encore eût-il fallu qu’on m’exposât clairement à quelles attaques il convenait de répondre, et comment on comptait y répondre. Parlant au seul point de vue personnel, je vous avouerai que je suis hostile à toute proclamation imprudente ou simplement inutile. Je garde pour habitude de n’intervenir dans les affaires publiques, qui ne sont point de mon ressort, que lorsque cela devient un devoir impérieux et nécessaire. Mais je tiens pour bon qu’avant d’approuver tel acte ou tel fait il importe de les bien connaître, il convient de savoir très exactement pourquoi, comment on agit soi-même, et j’ai pour principe que nous ne devons jamais nous engager à la légère dans de vaines manifestations. Je vous le répète et je résume mes raisons dans ces seuls mots : J’aime ce qui est net et précis ; or là, ne voyant pas clair, je me suis abstenu » (« La ligue pour la patrie française », Le Temps, 9 janvier 1899).

Bertrand n’aura plus à intervenir dans l’Affaire. En décembre 1899, sa santé se dégradera rapidement et il mourra en avril suivant.

Sources et bibliographie : on pourra consulter son dossier de la Légion d’honneur sous la cote : LH/218/40.

Philippe Oriol

BNF

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