Berthelot, Pierre, Eugène, Marcelin (avec un seul « l » selon l’état-civil), chimiste, biologiste et homme politique français, né à Paris le 25 octobre 1827*, décédé à Paris le 18 mars 1907*.
Intime de Renan, cousin de Louise Halévy, il entra au collège de France comme préparateur en 1851 et obtint son doctorat en 1854. Professeur à l’École supérieure de pharmacie (1859), il devint professeur de chimie organique en 1865 au Collège de France. Auteur de nombreux ouvrages, collaborateur scientifique au Temps, à la Revue des Deux-Mondes, aux Annales de physique et de chimie, il fut nommé inspecteur général de l’instruction publique en 1876 et devint sénateur inamovible en 1881. Ministre de l’Instruction publique dans le cabinet Goblet (1886-1887), il sera aussi ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Bourgeois.
Pour lui, informé par Boisdeffre ou Sandherr, par Mercier peut-être, la culpabilité de Dreyfus ne pouvait faire le moindre doute. En février 1895, il fut visité par Scheurer-Kestner, son collègue au Sénat, qui, après avoir reçu Mathieu qui l’avait touché, avait entrepris une petite enquête pour en savoir plus. Berthelot se montra très affirmatif :
On se défiait de Dreyfus, me dit-il. On lui glissa une pièce exceptionnelle. La copie de cette pièce fut retrouvée à Berlin. La preuve morale était acquise. C’est alors qu’on lui tendit le piège de lui faire écrire, à la dictée, la pièce trouvée dans le panier à papiers de l’ambassade d’Allemagne. Il y a encore certaines choses que je ne puis vous dire, ajouta-t-il ; et je ne sais pas tout ! Pour moi, je crois à la culpabilité de Dreyfus autant qu’on peut y croire en l’absence de preuves “personnelles et matérielles” » (Scheurer, p. 57).
C’est pour cela, encore qu’en 1896, il refusa de recevoir Bernard Lazare, dont le mémoire en défense venait de paraître, qui lui avait demandé un rendez-vous (Lazare, Mémoire à Reinach). S’il fut un des 80 sénateurs à voter pour Scheurer-Kestner candidat à sa propre succession à la vice-présidence (Reinach, II, p. 845 n. 1), son sentiment n’avait pas alors changé comme en témoigne sa déclaration à La Patrie aux premiers jours de de février 1898 : « Je déplore toutes les infamies écrites et débitées dans le but d’innocenter un homme jugé et condamné par le conseil de guerre ». Il ajoutait : « C’est insulter et taxer de malhonnêteté les officiers éminents qui ont, d’abord, accusé Dreyfus, puis ceux, dont la loyauté est et restera au-dessus des soupçons, qui ont eu le triste de voir de le juger… ». Concernant Zola et son « J’Accuse… ! », il condamnait l’emploi de ces « singuliers arguments pour réclamer justice » et considérait que cette initiative « a plutôt été funeste à la cause qu’il prétend un peu trop bruyamment défendre » (« Chez M. Berthelot », 9 février 1898). Mais cela dit, Berthelot n’en perdait pas pour autant l’estime dans laquelle il tenait l’écrivain dont déjà, en 1887, il avait dit, à la tribune de la Chambre, tout le bien qu’il pensait de l’écrivain et de son œuvre tout en défendant, comme ministre de l’Instruction publique, l’interdiction des représentations de Germinal. À la mort de Zola, en 1902, il redira tout le bien qu’il pensait de son œuvre et, sil se garda bien de faire la moindre allusion à l’Affaire, révélait qu’à deux reprises il avait proposé son nom au comité suédois pour le premier prix Nobel de littérature (« Émile Zola. Notes et impressions. M. Berthelot », 5 octobre 1902).
Par la suite, il vota donc la loi de dessaisissement, condamna les incidents d’Auteuil, vota l’amnistie et, en 1906, convaincu par l’arrêt de la Cour de cassation, vota la réintégration de Dreyfus et de Picquart et l’érection, au Sénat, des statues de Scheurer et Trarieux (résolution Monis). En décembre suivant, il votera aussi le projet de transfert des cendres de Zola au Panthéon (proposition de loi Breton)… où il le précédera d’un an.
Sources et bibliographie : Sur Berthelot, on pourra lire A. Boutaric, Marcellin Berthelot (1827-1907), Paris, Payot, 1927 ; Daniel Langlois-Berthelot, Marcelin Berthelot. Un savant engagé, Paris, JC Lattès, 2000 ; Jean Balcou (dir.), Marcelin Berthelot. Sciences et politique, Rennes, PUR, 2010. On pourra aussi consulter son dossier de la Légion d’honneur sous la cote : LH/209/76. Notons que ce n’est pas lui, contrairement à ce que nous avons dit dans notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours (p. 523), qui fut visité par Blum mais René Berthelot, ami et condisciple du futur président du Conseil.
Philippe Oriol