Beaussier, Marie, Étienne, Henri, publiciste français, né à Loches (Indre-et-Loire) le 2 avril 1837*, décédé à Tours (Indre-et-Loire) le 11 février 1912*.
Beaussier, avait quitté la magistrature (substitut à Pithiviers en 1864 puis à Vendôme en 1868, juge à Vendôme en 1872 puis à Tours en 1875 où il sera juge d’instruction en 1877 et à nouveau juge en 1880), pour la presse.
À la fin de 1894, collaborateur du conservateur Journal d’Indre-et-Loire, il signa l’éditorial enregistrant la condamnation du capitaine, occasion de regretter que la loi ne permît pas de le fusiller et de se lamenter :
Si jamais la France attaquée est en péril, comment sera-t-elle défendue dans ces jours de dangers par tous ces Juifs étrangers que les francs-maçons de la troisième République ont comblé de toutes les faveurs, qu’ils ont placés dans tous les grands postes administratifs, judiciaires et militaires, tandis qu’ils en éloignaient avec le soin le plus jaloux les vrais patriotes qui n’ont dans leur veine que du vieux sang français ? (« L’Arrêt Dreyfus », 24-25 décembre 1894).
Devenu directeur politique du journal, en juin 1895, succédant à Jules Delahaye, poste qu’in conservera jusqu’à son décès, il écrivait peu, laissant la plume ses principaux collaborateurs : Clermont, J. Lemoine, Camille Derouet et plus tard Oscar Havard. Membre du Comité de la presse monarchique, il mena une campagne, sans grande rupture avec celle de Delahaye, dont le but était, précisa-t-il le 7-8 février 1898, « de signaler comme un péril national les conséquences de la puissance juive » (« Une explication »). L’affaire n’en était en effet pour lui qu’une conséquence. « Cela sent l’argent », avait-il titré son article du 18 novembre 1897 et c’était par cette même « Puissance juive », selon le titre de son article du 22-23 novembre, qu’il expliquait le manque de réaction du gouvernement. Ainsi, encore, le 16 février 1898, il donnait son explication de l’Affaire, voulue pour « conduire à sa perte et livrer au joug de l’étranger le pays qui a l’audace de vouloir s’affranchir de la puissance juive » (« Le Procès honteux »). Et déjà, en novembre 1896, signalant la parution de la brochure de Bernard Lazare, « qui a la prétention d’établir l’innocence entière du traître Dreyfus », un de ses collaborateurs, J. Lemoine, avait fait part du peu d’étonnement qui était le sien devant le fait que l’auteur, « comme on devait s’y attendre », fût juif (« L’Affaire de l’ex-capitaine Dreyfus », 12 novembre 1896).
Par la suite, après avoir demandé, à la nouvelle de la cassation du procès Zola, d’atteindre ceux [des] complices [de Zola] contre lesquels il est possible d’agir et avant tout celui dont je cloue le nom au pilori : je nomme le procureur général Manau […] » (« L’Affaire Zola »), après avoir, sans triomphalisme, reproduit l’intégralité des documents lus par Cavaignac à la Chambre (n° du 9 juillet), il se trouva désemparé à la nouvelle de la mort d’Henry. Il laissa alors la plume à son collaborateur Lemoine et le journal ne parla plus de l’Affaire jusqu’au 30 octobre, date à laquelle Beaussier réapparut pour reprendre son couplet favori : l’affaire était une « Vengeance juive », ainsi qu’il titra son article : « l’honneur de l’armée sera sacrifié pour réhabiliter un traître et ses complices ».
Si, étonnement, il ne souscrivit pas au monument Henry, il adhéra, en janvier suivant, à la Ligue de la patrie française (7e liste) dont il salua en ces termes l’apparition : « Nous sommes heureux de constater que tous les intellectuels ne veulent pas âtre confondus avec les ennemis de l’armée et les sans-patrie, et leur protestation est une révolte que nous saluons, parce qu’elle nous amène de précieux auxiliaires dans la lutte que nous soutenons » (« La Patrie française », 5 janvier 1899). Enthousiaste, il prit contact avec ses dirigeants, leur demandant de pouvoir centraliser, dans sa région, les adhésions (« La Patrie française », 13 janvier), offre de service qui demeura sans réponse.
S’il demeura, dans les mois qui suivirent, muet sur l’affaire de Reuilly et l’arrêt de la Cour de cassation, comme il avait été peu loquace sur le projet de loi de dessaisissement, s’il se contenta, après Auteuil, d’ironiser sur le « grrrrrrand complot » (« Le Complot d’Auteuil »), il retrouva l’inspiration, pour une nouvelle fois se laisser aller à son obsession, à l’occasion de la formation du cabinet Waldeck-Rousseau :
Ce ne sont pas les portraits des nouveaux ministres que je mets en tête de ce journal, et ce n’est pas davantage celui de Loubet ! non ! c’est celui du maître, ou si l’on aime mieux de celui dans lequel les maîtres se sont personnifiés.
Ces maîtres se sont les Juifs et leur talisman est l’argent.
Quelle autre puissance aurait jamais pu associer des socialistes et des révolutionnaires comme Millerand et Pierre Baudin, de prétendus modérés comme Decrais et Caillaux, un forban comme Galliffet, un jouisseur comme Waldeck-Rousseau, etc. » (« Le Ministère Juif », 24 juin).
Beaussier se calmera par la suite. Il n’écrira pas sur le procès de Rennes et se contentera, après le verdict, de n’exprimer qu’une modeste et bien modérée inquiétude, celle que soient prolongés indéfiniment « les tristes débats qui, depuis deux ans, nous hypnotisent » (« L’Arrêt Dreyfus », 11-12 septembre).
Par la suite, il défendit les inculpés de la Haute Cour (« Les acquittés », 4 janvier 1900) et se montra inquiet en mai 1900 du retour de l’Affaire à l’actualité, « cauchemar qui nous a obsédés si longtemps », et qu’il souhaitait voir « écarter définitivement » mais pas tant parce qu’il ne voulait plus, comme beaucoup, ne plus en entendre parler que parce qu’il craignait qu’aboutît le plan « arrêté pour arriver à la réhabilitation de Dreyfus » : « Après le Cabinet Dreyfus, nous reverrons à l’œuvre le Cour Dreyfus » (« La reprise de l’“Affaire” », 28-29 mai 1900). Et s’il se montra désolé, après la démission de Galliffet, de la nomination d’André, homme des loges et de Jaurès (« Le huitième ministre de la guerre », 1er juin), si, en bon antidreyfusard, il fut outré de la loi d’amnistie qui ne servait à ses yeux que les intérêts des dreyfusards – « les traîtres, les espions, les faussaires, les fraudeurs, les mauvais soldats et les saccageurs […]. Ils étaient graciés, ils sont amnistiés, cela n’est pas encore assez. Quand seront-ils décorés ! » (« Séance nocture », 21 décembre) –, il demeura discret et, d’une manière inattendue, respectueux à la mort de Zola (« Émile Zola », 1er octobre 1902). La relance de l’Affaire, après le discours de Jaurès en avril 1903, lui fit adopter un autre point de vue que celui qu’il défendait en 1900. Qu’André fasse son enquête et cela même si le votre de la Chambre sur l’ordre du jour Chapuis lui en fermait la porte :
Cette perspective n’a rien qui nous effraie, bien au contraire. Toute tentative de réhabilitation de Dreyfus devant amener de nouvelles preuves de sa culpabilité. (« L’affaire Dreyfus reprendra-t-elle ? », 10 avril 1903).
Ce ne sera pas le cas et c’est avec le ton désabusé de celui dont la prédiction se révélait juste qu’il accueillit l’arrêt de la Cour de juillet 1906 :
La coalition judéo-dreyfusarde est arrivée à ses fins. La Cour de cassation, spécialement composée, depuis plusieurs années, en vue de l’affaire, a rendu l’arrêt que les derniers ministères, le Bloc parlementaire, et toutes les ligues anticléricales et antifrançaises attendaient d’elle.
Dreyfus est déclaré innocent, Dreyfus est réhabilité !
Contre cet arrêt juridiquement définitif, un seul recours est indéfiniment ouvert, celui qu’on peut porter devant l’histoire.
La conscience seule a le droit de ne pas s’incliner devant le verdict de la Justice humaine.
Nous nous attendions depuis longtemps, à ce dénouement qui ne peut nous causer aucune surprise.
Nous l’avions prévu et annoncé souvent, et nous en avions tiré les conséquences probables.
Aujourd’hui on les voit se réaliser avec précipitation. Non seulement le capitaine Dreyfus doit être nommé chef d’escadron et décoré de la Légion d’honneur, en même temps que le lieutenant-colonel Picquart sera rappelé à l’activité et promu général de brigade. Mais cette réintégration est déjà considérée comme insuffisante, et l’essor est donné à toutes les imaginations pour découvrir quelles récompenses et quel honneurs extraordinaires peuvent être décernés à l’ex-traître et à ses souteneurs.
On parle de l’affichage de l’arrêt de la Cour de cassation dans toutes les communes de France, on demande pour Zola une place au Panthéon […]
Et à côté de ceux qui vont demander à être réintégrés ou indemnisés, combien d’autres vont chercher l’occasion d’exercer des vengeances contre des adversaires politiques ou des ennemis personnels.
La réhabilitation de Dreyfus ne clôt pas l’affaire Dreyfus et notre malheureux pays est condamné encore pour longtemps, car on ne peut dire toujours, quand il s’agit de la vie d’une nation, à supporter la cruelle torture que lui imposent les cruelles et profondes blessures entretenues par un poison plus corrosif que celui dont était imprégnée le tunique de Nessus. (« La réhabilitation de Dreyfus », 14 juillet 1906).
Le Journal d’Indre-et-Loire ne parlera pas de la panthéonisation de Zola et de l’attentat Grégori. Le jour du verdict d’acquittement de celui qui avait tiré sur Dreyfus, toutefois, Beaussier signera un cours papier pour dire sa satisfaction :
L’acquittement triomphal de Grégori a soulevé dans toute la France un véritable frémissement de satisfaction.
Première revanche de l’affaire Dreyfus, elle laisse espérer de prochaines et complètes réparations. Une fois de plus, le peuple de Paris s’est prononcé contre le traître, et d’une façon si formelle que les derniers partisans, les complices de Dreyfus, se résignent à rester cois.
Il faut savoir grand gré à la pléiade d’écrivains énergiques, inaccessibles au découragement, qui refusèrent de faire silence et de croire l’affaire définitivement enterrée.
Les geste de Grégori, que certains même de nos amis trouvaient exagéré, inopportun, vient d’être absous la plus haute justice de notre pays. Et il ne trouvera bientôt plus que des approbateurs.
Le verdict de la Cour d’assises de la Seine prouve toujours aussi en quelle estime les Français tiennent les hommes qui acceptent hautement, sans réticences, la responsabilité de leurs actes.
À ce titre, l’acquittement de Grégori nous doit être la cause de réflexions très consolantes. (« La politique », 14-15 septembre 1908).
Sources et bibliographie : on consultera aussi sa fiche de carrière au CAC sous la cote : 20030033/21 ; son dossier de magistrat au CARAN sous la cote : BB/6(II)/25.
Philippe Oriol