Paul Adam

Adam, Paul, Auguste, Marie, homme de lettres français, né à Paris le 7 décembre 1862*, décédé à Paris le 1er janvier 1920*.

Après des études à l’institution Massin, au lycée Henri IV et au collège de Saint-Quentin, Paul Adam, qui renonça, sur les conseils de son père, à devenir officier, rencontra le jeune Robert Caze qui lui fit rencontrer ses amis écrivains et peintres. En 1885, Adam débuta en littérature avec un roman naturaliste, Chair molle, préfacé par Paul Alexis, qui lui valut d’être condamné, pour outrage aux bonnes mœurs, à mille francs d’amende et à une peine de quinze jours de prison dont il put se faire dispenser. En quelques jours, Adam était devenu célèbre. Après une publication à La Revue indépendante, la fondation, avec Ajalbert, d’une petite revue, Le Carcan, et un second roman, goncourtissime, Soi, publié l’année suivante (1886), Adam passa au décadentisme, en vogue à ce moment. Il créa, avec Moréas, Le Symboliste, participa à la fondation de La Vogue, et donna deux romans excessivement symbolistes, en collaboration avec Moréas, Le Thé chez Miranda et Les Demoiselles Goubert. En 1886, il participa, avec Fénéon, Méténier et Moréas au Petit Bottin des Lettres et des Arts et, en 1888, publia, sous le pseudonyme de Jacques Plowert, un Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes.
En 1889, lié à Barrès, il participa à l’aventure boulangiste en prenant la direction du Courrier de l’Est et en se présentant dans la deuxième circonscription de Nancy où il fut battu. Il revint alors à la littérature, en publiant beaucoup et un peu partout, et donnant, régulièrement, à partir de ce moment, entre un et cinq volumes par an. Anarchisant, il commença à collaborer à quelques feuilles révolutionnaires et participa à la création des Entretiens politiques et littéraires qui avaient pris rapidement, sous l’influence de Bernard Lazare, une nette ligne anarchiste. En 1892, comme certains de ses confrères, il canonisa Ravachol (« Éloge de Ravachol »), et, en 1894, vint témoigner au procès de Jean Grave et défendit les compagnons dans Le Journal où il tenait une chronique hebdomadaire (il collabora aussi au Figaro, au Gil Blas, à L’Éclair, etc. et à de très nombreuses revues : La Revue Blanche, Vendémiaire, L’Action, La Renaissance latine, La Grande revue, etc.). Après une nouvelle tentative malheureuse à la députation, éloigné de l’anarchisme dont il avait une conception aristocratique et individualiste proche de l’arisme, il ne s’occupa alors plus guère que de littérature, continuant à publier à un rythme effréné.
Pourtant, à la fin de 1897, après la publication du second article de Zola, Adam écrivit à celui qu’il avait initialement suivi et à l’égard duquel, ensuite, il avait été d’une grande dureté (voir les articles des Entretiens et sa réponse à Huret et son complément publiés dans L’Enquête sur l’évolution littéraire), une lettre d’admiration qui était un ralliement :

Jeudi
Mon cher maître,
Je ne résiste point au désir de vous jeter mon cri d’admiration pour l’article humain et magnifique d’hier, au Figaro !
Ah ! ne pourra-t-on pas quelquefois créer la « ligue des intellectuels » contre la Populace, journalistes et parlementaires, sectaires aussi !
Comme nous marcherons volontiers derrière vous à la conquête de la liberté mentale ! 

Par la suite, il participa au numéro spécial d’hommage à Zola de L’Essor, affirmant qu’il partageait « absolument la manière de voir d’Émile Zola dont il admir[ait] l’extraordinaire courage civique » (no 7, 6 février 1898), signa la deuxième protestation de janvier 1898 (6e liste ; sa signature avait été perdue puis retrouvée – voir Les Droits de l’Homme, 21 janvier 1898 et Ajalbert, Sous le sabre, p. 29, n. 1) et donna un long texte au Livre d’Hommage des Lettres françaises à Émile Zola (reprise d’un article du Libre, no 4, avril-mai 1998), exaltation de la puissance de l’Idée debout contre les « mains rouges » : bouchers, généraux, bourreaux.
Candidat aux législatives de 1898 à Paris, sous l’étiquette socialiste, il fut, dès sa déclaration, attaqué pour son engagement dreyfusard, « lourde faute qui lui coûtera cher » (Émile Lebert, « Nouvelles candidatures », L’Écho du Seizième, 31 mars 1898). Il se retira rapidement.
Son engagement, pour Zola et le droit de l’écrivain de se mêler à la vie de la Cité, ne prenait guère en compte le cas particulier du capitaine. En 1899, encore, répondant à Marcel L’Heureux, de La Liberté, pour son enquête sur les écrivains et l’Affaire, il réservait son opinion sur l’innocence ou la culpabilité de Dreyfus. Mais la révision ne lui en semblait pas moins nécessaire, dans la mesure où « un homme a été condamné sur faux témoignage et en violation de la loi ». Plus que l’existence de pièces transmises à l’insu de l’accusé et de sa défense en 1894, plus que les faux s’accumulant, le huis-clos seul, selon lui, devait suffire à permettre de discuter la validité du jugement qui avait envoyé Dreyfus à l’île du Diable : « Pour moi, un homme condamné à huis-clos est innocent jusqu’à preuve du contraire » (La Liberté, 15 mai 1899). Et, dans cette même interview, retrouvant des accents des années 1892-1894, il se réjouissait de « cette besogne admirable que font pour [l’Anarchiste] les dirigeants des deux élites. Les uns sapent le principe de l’Autorité militaire ; les autres, celui de la Justice. Les bourgeois travaillent à tour de bras pour la Révolution sociale. Quand l’esprit de Ravachol s’exprime dans un guéridon, il vante M. Quesnay de Beaurepaire ».
Collaborateur régulier à ce moment du Journal, il ne donnera pas d’articles sur l’Affaire à l’exception d’un « Fléau » dont nous ne connaissons que le manuscrit et qui, sauf erreur de notre part, ne semble pas avoir paru malgré les marques de composition qu’il porte. Fut-il arrêté au marbre à ce moment (fin août-début septembre 1899) où Le Journal avait pris une position plus antidreyfusarde que jamais et où Maurice Barrès donnait le la avec sa série qui sera reprise dans Cinq semaines à Rennes et dans Scènes et doctrines du nationalisme ? Nous ne le savons pas mais il y fustigeait la presse qui « Au bénéfice de la vente, […] flaire l’opinion du nombre. Elle la traduit dans le langage le plus violent. Fiers de voir confirmer par l’écrit ce qu’ils inclinent à penser, les gens achètent la feuille menteuse, y puisent de l’indignation. Toutes les rancœurs dont souffre chacun, pauvreté, faiblesse, humiliation, se nouent et prennent corps dans la haine publique. […] De jour en jour, les verseurs de haine amplifient mieux des calomnies imbéciles, des outrages, des inventions saugrenues ». Et à la suite, constatant que « parce que les violences antisémites menacent la liberté de pensée et l’altruisme international, les anarchistes arborent le drapeau rouge, le sang coule », il s’y interrogeait : « de ce grain agité, quelque chose germera-t-il d’énergique et de fort ? Ce sont les derniers soubresauts, espérons-le, de la haine en agonie » (catalogue en ligne de la librairie Signatures).
On n’a guère d’autre trace de l’engagement d’Adam dans l’Affaire et il semble qu’il ne s’en occupera plus. On peut noter, toutefois, qu’il rendra encore hommage en 1902, à Zola (« grand citoyen qui sacrifia ses intérêts et sa gloire au culte de la justice. […] Ce nom est digne de notre dévotion », La Plume, 15 octobre 1902, p. 1220) et qu’il fit partie du Comité d’initiative du monument Lazare, en 1905, et qu’auparavant, en avril 1900, il avait rendu visite, sans pouvoir le voir, au capitaine qui se reposait alors à Villemarie (lettre du 19 avril 1900 de Dreyfus à Adam, Librairie Les Autographes, 85, février 1999, no 93). En 1908, rééditant ses Lettres de Malaisie sous le titre La Cité prochaine, il évoquera l’Affaire, donnant ses « vérités cachées » dans la préface qu’il y ajoutait :

Quand surgit l’affaire Dreyfus, notre libéralisme ne toléra point une condamnation à huis-clos sans preuves matérielles suffisantes. Que l’accusé fût coupable ou non ; cela n’importait point. L’essentiel était que six militaires ne pussent, enfermés dans une chambre avec un septième, le déshonorer et l’envoyer au bagne, sans contrôle. Il ne pouvait y avoir d’hésitation pour les disciples de l’Encyclopédie. La cause de la justice plus précieuse que la patrie, et la cause de la patrie plus précieuse que la justice suscitèrent un magnifique débat, honneur de ce pays. Zola, Jules Lemaitre composèrent des pages impérissables et nobles semblablement. Car les deux thèses valaient d’être défendues par les grands talents et par les meilleurs esprits. Elles le furent aussi malheureusement par des énergumènes, des imbéciles et des aigrefins. Au bout de l’aventure il y eut la déchéance des Syveton et des Vadécard. Entre tous ces faux en écritures publiques, ces témoignages douteux, ces calomnies littéraires, ces fiches, ces espionnages, ces dénonciations, ces déguisements saugrenus, ces expertises bizarres, nous démêlâmes peu à peu qu’un officier arrogant et bavard, à la manière de tous les sémites favorisés par le sort, avait un soir de bon dîner, trop franchement expliqué à certains convives mal connus, la mobilisation française ; que parmi ces convives l’ami d’un espion se trouvait ; que le propos fut transmis jusqu’aux ministères étrangers ; que l’observateur entretenu par nous, secrètement et à grands frais, dans l’un de ces ministères avertit nos officiers de la communication imputée au capitaine Dreyfus ; que l’état-major du boulevard Saint-Germain, ainsi convaincu, tendit des pièges au militaire oublieux de sa prolixité, qu’Esterhazy chargé de découvrir une preuve écrite la fabriqua pour toucher quelque argent, et que les généraux osèrent tout afin de perdre celui qu’ils considéraient, de bonne foi, comme un traître, et cela sans pouvoir même dire le nom de l’observateur secret nécessaire à la défense nationale » (Paris, Bibliothèque des Auteurs modernes, 1908, p. IV-V).

Mais sa thèse, tout à fait fumeuse, ne le fit pas revenir sur l’engagement qui avait été le sien. En 1914, il se félicitera ainsi « d’avoir, en 1898, agi parmi les socialistes apôtres de la Justice Intangible, avec Émile Zola » (préface à Francis Laur, L’Époque boulangiste, reprise in Camille Mauclair, Paul Adam, p. 284).
Par la suite, Adam s’éloignera de ses amours communistes-anarchistes. Écrivain en place, décoré et, à la fin de sa vie, il présidera la Ligue latine et continuera à défendre ses projets aristes de Centurie, qu’il avait exposés, pendant l’Affaire, dans ses Lettres de Malaisie et son Triomphe des Médiocres (1898),

[…] assemblée de cent personnes choisies parmi celles qui prouvèrent, au moyen d’une œuvre, d’un acte, l’évidence de leur mérite social. Constituée au premier jour par le suffrage de tous les bacheliers, des artistes, des professeurs et des écrivains, ou par décret, la Centurie remplacerait le conseil des ministres actuels, et nommerait ceux-ci parmi ses membres. Elle désignerait le Président de la République et les ambassadeurs auprès des grandes puissances, personnalités qui devraient appartenir toujours à l’Institut de France. […] Enfin le Sénat élu par tous les bacheliers de France comprendrait cent magistrats, cent officiers d’État-major, et cent docteurs. L’Institut, le Sénat et la Centurie formeraient donc un corps gouvernemental capable de réglementer les impudences et les trafics dus aux représentants des rustres.
On conçoit facilement une Centurie composée de la façon suivante, par exemple.
Vingtaine politique : MM. Drumont, Rochefort, Clemenceau, Waldeck-Rousseau », etc.

Il était bien loin, on le voit, de ses amours de jeunesse. Mais malgré ce « virage à droite », Adam, qui avait épousé en 1897 Marthe Sarah Meyer, sut, à la différence de quelques-uns de ses amis qui opérèrent le même virage, se garder de sombrer dans l’antisémitisme. S’il avait certes pu, dans son projet de Centurie, citer Drumont parmi les « Meilleurs » – Drumont dont il s’était fait l’allié dans quelques articles ou, en 1890, dans son roman L’Essence du Soleil, en traçant la regrettable caricature d’Elcias, le « juif fanatique » –, Adam, après, l’Affaire fut le plus souvent très net. À l’exception de la triste petite phrase sur les sémites de sa préface de La Cité prochaine, plus haut citée, il se tint plutôt tranquille. De même, s’étant fait, par exemple, en 1914, attribuer par Gil Blas la paternité d’une anonyme autant que déplorable diatribe antisémite, il répondit nettement : « Disciple de Spinoza, admirateur de Bergson, comment serais-je antisémite ? / […] Que les gens soient juifs, chrétiens ou mahométans peu m’importe. Je loue leur génie et je hais leur injustice en toute indépendance » (lettre à Pierre Mortier, La Correspondance de Paul Adam, pp. 121-122).
Comme beaucoup de figures de la Jeune littérature, l’engagement d’Adam fut celui d’un dreyfusard qui s’engagea plus sur la question de la liberté de l’écrivain de se « mêler de ce qui ne le regarde pas » et sur celle du combat contre le militarisme, que sur la question de la défense de l’innocent injustement condamné.

Sources et bibliographie : la lettre, citée, à Zola est conservée à la BNF sous la cote n.a.fr. 24510, f. 10-11. Son texte du Livre d’Hommage des Lettres françaises à Émile Zola se trouve aux pages 37-40 de la première partie du volume ; celui de L’Essor a été repris dans Les Cahiers Naturalistes, no 72, 1998, p. 178. Son interview à Marcel L’Heureux sur l’Affaire a été publiée dans La Liberté du 15 mai 1899. Sur Adam, on pourra lire la biographie que lui a consacrée son ami Camille Mauclair (Paul Adam. 1862-1920, Paris, Flammarion, 1921) et le choix de lettres publiée par J. Ann Duncan, La Correspondance de Paul Adam. 1884-1920, Paris, Nizet, 1982. On pourra aussi consulter ses papiers, conservés à la Bibliothèque municipale d’Arras. Son dossier de la Légion d’honneur se consulte sous la cote : LH/7/21.

Philippe Oriol

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