Adam, Juliette (née Lambert), femme de lettres française, née à Verberie (Oise) le 4 octobre 1836*, décédée à Paris le 23 août 1936.
Fille d’un médecin picard farouchement républicain, Juliette Lambert (Lamber est un nom de plume) reçut une instruction sans système mais approfondie. À quinze ans, elle épousa un avocat républicain, Lamessine, dont elle eut une fille, Alice, et qui l’emmena à Paris où son exceptionnelle beauté lui ouvrit rapidement les salons. Pour se consoler de son mariage peu réussi, Juliette Lambert se lança dans la littérature et, scandalisée par les idées de Proudhon sur la condition des femmes, se fit connaître en 1858 par un pamphlet féministe, Idées anti-proudhoniennes, qui la mit en relations avec George Sand et Marie d’Agoult ; c’est dans le salon de cette dernière qu’elle rencontra l’état-major républicain et l’élite intellectuelle du Second Empire. En 1858, séparée de son mari puis veuve, elle épousa Edmond Adam, ancien conseiller d’État de la Seconde République et futur sénateur de la Troisième. Le salon de Mme Adam, boulevard Poissonnière (qui a servi, dit-on, de modèle à Pailleron pour écrire Le Monde où l’on s’ennuie), devint à la fin de l’Empire un centre d’opposition républicaine, puis, au début de la République, le point de ralliement des gambettistes, même si, dans ses divers volumes de souvenirs, Juliette Adam s’est attribué sur l’esprit de Gambetta une influence qu’elle avait ardemment désirée sans jamais l’obtenir.
Après la défaite de 1871, l’égérie républicaine se fit la grande prêtresse de la Revanche sur l’Allemagne, qu’elle espéra d’abord d’une République gambettiste. Pour y contribuer, elle fonda, en 1879, La Nouvelle Revue, concurrente avouée de La Revue des Deux Mondes et organe officieux des revanchards, et où elle-même, sous le pseudonyme de « comte Paul Vasili », tint la chronique diplomatique pour préconiser sans relâche l’alliance russe. Elle participa également aux premiers pas de la Ligue des patriotes et prêta son salon à Paul Déroulède pour y lire à l’automne 1880 sa Moabite, tragédie hostile à Jules Ferry et retirée du Français. Le 15 janvier 1886, toutefois, elle démissionna de la Ligue et resta ensuite violemment opposée au boulangisme.
Transféré boulevard Malesherbes et plus tard à l’abbaye de Gif-sur-Yvette, le salon de Juliette Adam changea peu à peu d’esprit et, à l’image de la maîtresse de maison, devint plus conservateur et moins favorable à l’anticléricalisme officiel, ce qui amoindrit sensiblement son influence. Pendant l’affaire Dreyfus, qui consomma sa rupture avec le régime, il devint, après celui de Mme de Loynes, le point de ralliement des antidreyfusards, ce qui permit à Juliette Adam de jouer un rôle, d’ailleurs modeste et surtout moral, dans les coulisses de l’antidreyfusisme, en dépit de ses bonnes relations personnelles avec Galliffet. Elle ne souscrivit pas au monument Henry mais adhéra à la Ligue de la patrie française (1ère liste) et participa à l’Hommage à Mercier (1ère liste) ; sa manifestation la plus remarquée fut l’article paru dans La Nouvelle Revue du 1er décembre 1897, par lequel elle accusait Scheurer-Kestner de menées germanophiles en Alsace.
Après l’Affaire – et après avoir participé à la souscription ouverte pour « offrir à Paul Déroulède un objet d’art lui rappelant la Patrie absente » (7e liste) –, Juliette Adam ne fit plus beaucoup parler d’elle. De plus en plus amère et déçue par la République, elle régla ses comptes avec ses anciens compagnons de lutte dans ses divers volumes de souvenirs : Mes premières armes littéraires et politiques (1904), Mes angoisses et nos luttes, 1871-1873 (1907), Nos amitiés politiques avant l’abandon de la Revanche (1908) et Après l’abandon de la Revanche (1910). Ce dernier titre, qui accusait âprement Gambetta d’avoir sacrifié l’Alsace-Lorraine, fut d’ailleurs l’occasion d’une violente polémique avec son ami Déroulède resté fidèle au culte du tribun. Elle évolua par la suite vers l’Action française et, malgré les pages élogieuses de Léon Daudet, malgré les honneurs officiels (son nom fut donné, de son vivant, à une rue du xviie arrondissement), sombra dans l’oubli : même Manon Cormier, dans la très médiocre hagiographie qu’elle consacra en 1934 à la presque centenaire « abbesse de Gif », dut en convenir.
La séduisante égérie républicaine était aussi une femme autoritaire et imbue d’elle-même, dont l’œuvre littéraire, malgré son abondance, n’a pas survécu. Juliette Adam a certainement joué un rôle dans les débuts de la iiie République, grâce notamment à sa Nouvelle Revue et à son salon, mais son influence réelle n’avait rien à voir avec celle qu’elle s’est plus tard attribuée et ses souvenirs, quelque peu mégalomanes, constituent une véritable entreprise de désinformation. Du 16 mai à l’Action française, son parcours politique fut néanmoins exemplaire d’une certaine frange de pères fondateurs du régime, comme de Mahy ou de Marcère, dont le conservatisme culturel et social, de plus en plus marqué dans les années 1890, refusa l’évolution de la République et pour qui l’affaire Dreyfus fut à la fois l’occasion de rompre et l’aboutissement logique d’un processus déjà ancien.
Sources et bibliographie : L’ouvrage de référence sur Juliette Adam est la remarquable thèse de Saad Morcos, Juliette Adam, Le Caire, 1961. Celui, plus récent, de B. Adde, F. Beautier et P. Cayla, « Et c’est moi, Juliette ! », Madame Adam, 1836-1936, Gif-sur-Yvette, 1988, apporte peu de nouveau.
Bertrand Joly