Debat-Ponsan (Édouard, Bernard Debat dit Ponsan), peintre français, né à Toulouse (Haute-Garonne) le 25 avril 1847*, décédé à Paris le 29 janvier 1913.
Issu d’une famille d’organistes titulaires des orgues de la cathédrale de Toulouse depuis le XVIIIe siècle, Édouard Debat-Ponsan commença ses études à l’École des Beaux-Arts de Toulouse. À l’instar de nombreux artistes toulousains – les peintres Jean-Paul Laurens et Henri Martin ou le sculpteur Alexandre Falguière –, le jeune Debat-Ponsan s’installa à Paris, pour suivre dès 1867 les cours d’Alexandre Cabanel à l’École des Beaux-Arts. La guerre de 1870 interrompit ses études. Il s’engagea comme franc-tireur dans l’armée de Bourbaki, mais fut rapidement fait prisonnier. Ayant réussi à s’évader, il rejoignit les rangs de l’Armée de la Loire conduite par le général Chanzy.
Second Prix de Rome en 1873, il fut distingué l’année suivante par une médaille de deuxième classe au Salon et par le Prix Troyon de l’Institut. En 1877, il partit pour l’Italie où il séjourna grâce à une subvention de l’École des Beaux-Arts. Ce séjour permit à Debat-Ponsan de s’accomplir comme peintre d’histoire et de scènes de genre. Ses œuvres envoyées au Salon à la charnière des années 1870 et 1880 connurent un succès public et critique qui lui rapporta des commandes officielles – portraits de personnalités, décorations d’édifices… – et une nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur.
Édouard Debat-Ponsan exposa à l’Exposition universelle de 1889 un Portrait du général Boulanger peint en 1887. Acceptée par le jury, l’effigie fut peu après décrochée des cimaises sur ordre des autorités craignant des mouvements d’opinions, alors que le flamboyant militaire avait été mis à la retraite, après l’échec de sa tentative de coup d’État et après la dissolution de la Ligue des patriotes. Considérant que le retrait de ce portrait brisait la cohérence de ses envois, Debat-Ponsan refusa la médaille de bronze que le jury lui attribua pour saluer son œuvre. Après avoir été décroché, ce portrait équestre du général Boulanger juché sur son pur-sang disparut – il n’en subsiste qu’une esquisse (collection particulière) qui fut exposée au musée des Beaux-Arts de Tours (cf. cat. expo. Édouard Debat-Ponsan, 1972) – et fut peut-être envoyé en Belgique où il aurait été exhibé dans des fêtes foraines après le spectaculaire suicide du général.
Avec ce Portrait du général Boulanger, Debat-Ponsan le peintre d’histoire féru de scènes anciennes, mythologiques et bibliques avait, pour la première fois, abandonné sa culture académique pour soudainement s’intéresser à l’actualité. C’est en effet à l’ombre de la crise boulangiste qu’Édouard Debat-Ponsan s’intéressa alors aux agitations de la société dans laquelle il vivait et aux éléments qui rompaient l’équilibre politique et social. C’est dans ce contexte que l’affaire Dreyfus suscita chez lui une œuvre.
En 1898, Édouard Debat-Ponsan consacra en effet un tableau à scandale à l’Affaire : Nec Mergitur ou La Vérité sortant du puits (Huile sur toile, H. 240 x L. 155 cm, musée d’Amboise, inv. RF 1973-46).
Cette monumentale allégorie (reproduite par Louis-Marie Lécharny, L’Art pompier, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998, p. 38) symbolise l’affaire Dreyfus sous les apparences d’une femme diaphane dressant son miroir et tentant de sortir d’un puits, tandis que deux satrapes – un spadassin et Don Basile incarnant respectivement l’Armée et l’Église – essaient de l’y replonger brutalement. Cette mise en scène n’était certainement pas sans illustrer l’avertissement lancé par Zola dans sa « Lettre à la France » : « […] la vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera. Malgré les mauvais vouloirs, chaque pas en avant sera fait, mathématiquement, à son heure. La vérité a en elle une puissance qui emporte tous les obstacles. Et, lorsqu’on lui barre le chemin, qu’on réussit à l’enfermer plus ou moins longtemps sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une violence telle d’explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. Essayez, cette fois, de la murer pendant quelques mois encore, sous des mensonges ou dans un huis-clos, et vous verrez bien si vous ne préparez pas, pour plus tard, le plus retentissant des désastres ».
D’une facture académique et moderne qui mêle des archaïsmes et des signes avant-coureurs de l’Art nouveau, La Vérité sortant du puits fut le manifeste artistique, philosophique et politique personnel d’Édouard Debat-Ponsan, quoique son tableau fut assez proche de la série homonyme de Jean-Léon Gérôme (1895-1898). Cet homme qui croyait aux vertus des sentiments nobles, à la vérité et à la valeur des héros, et qui pensait que l’art n’avait de valeur que s’il était mis au service de l’histoire et de la morale, déclarait ici publiquement son indignation contre l’hypocrisie dont était victime le capitaine Dreyfus. Enfin, par cette œuvre au message limpide, Debat-Ponsan se rangeait clairement dans le camp dreyfusard. L’œuvre fut en outre offerte en 1900 par souscription publique à Zola – elle sera vendue lors de la succession de l’écrivain, en mars 1903 (cf. Colette Becker et ali, Dictionnaire Zola, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993, p. 647, no 119. Voir aussi la lettre de Frantz Jourdain à Zola du 25 octobre 1900, BNF n.a.fr. 24520 (micro 3252), f. 513).
Pour l’ensemble de ces raisons, l’œuvre et son auteur créèrent le scandale lors du Salon des Artistes Français de 1898 (no 578) et encore à l’Exposition Universelle de 1900 (no 583). Le tableau connut d’ailleurs une importante fortune caricaturale. Nombre de dessinateurs dreyfusards ou antidreyfusards le pastichèrent, le citèrent et le détournèrent : ainsi, et entre autres exemples, le dreyfusard Pépin (in Le Grelot, 19 décembre 1897) montra ainsi Scheurer-Kestner et Zola tentant de tirer la femme au miroir du puits, pendant que Drumont et Rochefort cherchaient à l’étouffer et à dissimuler la scène.
De son côté, l’antidreyfusard Caran d’Ache détourna l’œuvre en représentant Zola les pieds plantés dans des tinettes, tenant une poupée à l’effigie de Dreyfus. L’image rappelait le titre de l’œuvre dans son sous-titre (« Coucou le voilà ! La Vérité sort de son puits », in Psst…!, 10 juin 1899). Dans nombre de caricatures, de jeux satiriques et de bibelots ludiques, le tableau de Debat-Ponsan fut rappelé en filigrane, devenant ainsi un vecteur de propagande d’un camp ou de l’autre.
Cette prise de position fracassante du peintre ne fut pas sans répercussions sur sa carrière. Il perdit une part importante de sa clientèle parisienne et provinciale ; au point qu’il se trouva dans l’obligation de se consacrer aux paysages, scènes rurales et scènes historiques destinés à une clientèle américaine et anglaise. Il se brouilla avec sa famille, quitta son Languedoc natal et s’installa à Nazelles, en Touraine, où il partagea son temps avec des séjours dans son atelier parisien de l’avenue Victor Hugo.
Son œuvre ultérieure portera toutefois les échos de l’affaire Dreyfus. Au Salon de 1899 (no 561), il exposa une grande machine biblique sous le titre Christ sur la montagne (Toulouse, musée des Beaux-Arts). Le tableau représentait le Christ descendant du Golgotha pour présider, devant les cadavres de la Saint-Barthélémy, à la réconciliation nationale entre les catholiques et les huguenots. Il est impossible de ne pas y voir une invitation à la réconciliation plus large des dreyfusards et de leurs adversaires.
Le catalogue de l’Exposition Universelle de 1900 (no 582) éclairait d’ailleurs le tableau par cette citation de la parole du Christ extraite de l’Évangile selon Saint-Jean : « Et moi, je vous ai dit de vous aimer les uns les autres, et de vous entr’aimer comme je vous ai aimés ». De ce point de vue, cette œuvre de Debat-Ponsan est aussi une allégorie de l’Affaire. Son envoi au Salon des Artistes Français de 1905 (no 532), sous le titre L’Humanité en deuil, n’était certainement pas sans faire encore référence à l’affaire Dreyfus.
Le tableau représentait sous un ciel enfumé par une canonnade une allégorie féminine serrant sur sa poitrine les cadavres de ses deux enfants. Deux vers accompagnaient l’œuvre dans la notice du catalogue : « Pour cette mère en pleurs, il n’est dans ses enfants, / Ni vainqueurs, ni vaincus, des Frères seulement… ». Peut-être faut-il y voir pour Debat-Ponsan une façon de clore l’affaire Dreyfus ?
Debat-Ponsan signa aussi la protestation en faveur de Picquart (8e liste) et souscrivit au monument Scheurer-Kestner (7e liste).
Sources et bibliographie : les références bibliographiques sur Édouard Debat-Ponsan et son œuvre sont rares et anciennes. On consultera le catalogue de l’exposition Édouard Debat-Ponsan (1847-1913) établi par Marie-Noëlle Pinot de Villechenon. Tours, musée des Beaux-Arts, 1972. La Vérité sortant du puits fut l’objet d’une notule dans La Revue du Louvre et des musées de France, no 5-6, 1976, p. 398..
Bertrand TIllier