Bazelin, Charles, Louis, publiciste français, né à Alais (Gard) le 8 mars 1854*, date de décès inconnue.
Conseiller municipal à la Charité-sur-Loire de 1881 à 1886, conseiller municipal de Nevers de 1886 à 1889, collaborateur au Sifflet, fondateur du Charitois puis publiciste au Patriote de la Nièvre qu’il quitta en 1888 pour ne pas suivre son directeur, le député Turigny, dans l’aventure boulangiste, il fonda La Tribune républicaine, trihebdomadaire « de la démocratie nivernaise », organe autorisé du parti radical et radical-socialiste, qui publiait des leaders (le plus souvent repris de la presse nationale) de grandes plumes.
Dès fin 1897 (il n’avait couvert l’affaire en 1894 que sous l’angle de la plus neutre des informations), Bazelin donna à son journal une orientation tout d’abord discrètement révisionniste en demandant, sans pour cela défendre l’idée de l’innocence du capitaine ou de la nécessité de la révision, que la lumière soit « faite d’une façon complète » (« Bulletin politique », 10 décembre, vue 569). Mais reproduisant régulièrement des articles de L’Aurore, dénonçant l’« Indigne comédie » du procès Esterhazy (« Bulletin politique », 12 janvier, vue 14), multipliant les mises en garde contre les « manœuvres des éternels ennemis de la liberté : le sabre et le goupillon » (« Bulletin politique », 19 janvier, vue 22), il fut l’objet de manifestations (des exemplaires du journal furent ainsi brûlés sur une des principales places de Nevers ; voir « Le dénouement du drame », 31 mai 1899, vue 255) et fut attaqué par le journal du candidat Thévenet, L’Écho du Morvan, comme faisant sans doute « partie du syndicat ? » (J. du Pont-Charreau, « une réponse à une question », L’Écho du Morvan, 9 avril 1898, vue 59). Une accusation à laquelle Bazelin répondit avec prudence :
Émile Zola a dit que la vérité était en marche. J’attends.
Jusque-là, je continuerai avec tous les honnêtes gens, avec tous les hommes de cœur et de raison, à respecter les opinions de chacun sur cette malheureuse affaire, dont une bande de politiciens aux abois, faisant chorus avec les agents du pape et des jésuites, a essayé de se servir pour jeter le trouble dans le pays […].
Si je ne crois pas à l’innocence de Dreyfus, vous ne m’empêcherez point, je suppose, de douter du patriotisme des cléricaux dont la véritable patrie est Rome, et dont les intérêts sont diamétralement opposés à ceux de la démocratie française » (« À M. Thévenet », 15 avril 1898, vue 174).
Une réponse qui se voulait toujours prudente (malgré la citation de Zola) mais qui lui vaudra de nouvelles attaques (Un patriote, « Dreyfus & ses amis, L’Écho du Morvan, 7 mai, vue 75).
Si, par la suite, il publia (le 10, vue 321), sans commentaire, le discours de Cavaignac du 7 juillet, il s’engagea tout à fait, libéré, après la mort d’Henry. Le 2 septembre, il écrivait ainsi :
Pourquoi n’avoir pas dès le début reconnu la vérité ? […]
Et pourtant, quand des hommes de haute valeur morale et intellectuelle, quand des patriotes éclairés, des républicains comme Scheurer-Kestner, comme Ranc, comme Clemenceau, comme Lacroix, comme Jaurès, qui sont l’honneur de notre parti, quand tant d’autres, comme Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur ; comme Grimaux, comme Anatole France et Gaston Paris de l’Académie française ; comme Bréal, comme Réville du Collège de France, quand Zola enfin criaient de leur voix forte et courageuse : Casse-cou ! pourquoi ne les avoir pas écouté, pourquoi ? » (« La Vérité ! toute la vérité ! », vue 406).
Et logiquement, il signa ensuite la protestation en faveur de Picquart (10e liste) dont il organisa la signature dans les bureaux de son journal (« La Protestation contre la violation du droit », 30 novembre, vue 555). Le 1er janvier 1899, Bazelin racheta l’imprimerie qui imprimait son journal et annonça des changements. Sur l’Affaire, son point de vue ne changea en rien. Après avoir attaqué les membres de la Ligue de la patrie française, « imbéciles » et « fantoches » (« Bulletin politique », 6 janvier, vue 10), le « patriotard » Quesnay de Beaurepaire (11 janvier, vue 18 ; 5 février, vue 62), soutenu l’Appel à l’union (25 janvier, vue 42), il s’en prit avec véhémence au projet de loi de dessaisissement de la Chambre criminelle :
Depuis que M. Dupuy a eu la… naïveté, l’audace de déposer le projet de loi qui lui a été dicté par les bandits de l’antisémitisme, par les énergumènes du nationalisme, et par l’ex magistrat Q. de Beaurepaire qui est l’homme le plus flétri et le plus flétrissable de France, depuis le dépôt de ce projet à la fois réactionnaire et révolutionnaire, le gouvernement dont M. Dupuy est le chef n’est plus, ne saurait plus être, comme le prétend encore le Petit Parisien « un gouvernement républicain » (8 février, vue 66. Voir aussi les n° des 10 – vue 70 – et 15 février – vue 78).
Par la suite, impressionné par la publication de l’enquête de la Cour de cassation, il demanda que soit rétablie la justice par le châtiment des coupables
Pourquoi le général Mercier n’est-il pas en prison, alors que le colonel Picquart, un innocent et un héros, y est depuis six mois ?
Combien y a-t-il de sortes de justice en France ?
Il doit n’y avoir qu’une justice.
Espérons que nous n’allons pas tarder à nous en apercevoir, et que la bande de gredins qui, avec Mercier, et après Mercier, ont machiné le crime de 1894, seront enfin châtiés comme ils le méritent. (23 avril, vue 195).
À la veille des débats de la Cour de cassation, il put se réjouir « de voir enfin couronnés de succès les efforts surhumains des Scheurer-Kestner, des Clemenceau, des Zola, des Grimaux, des Jaurès, des Pressensé, de tous ces vendus au syndicat que nous n’avons pas cessé d’admirer ». Et il rendait hommage à Dreyfus, à son « énergie extraordinaire », sa « volonté de fer », sa volonté de vivre, « espérant toujours en la justice de son pays » (« Le dénouement du drame », 31 mai, vue 255).
L’arrêt rendu, il appela une nouvelle fois de ses vœux « l’œuvre d’épuration » (« L’immanente justice », 4 juin, vue 263) et soutint avec ardeur le cabinet de défense républicaine. Pendant le procès de Rennes, et après l’attentat auquel avait réchappé Labori, il décida de consacrer toute sa une à la question, appelant les républicains à avoir confiance en un gouvernement qui ne laissera jamais tomber le pays « entre les mains des assassins et des jésuites » (« Un mot aux républicains », 14 août, vue 390).
La seconde condamnation de Dreyfus fut pour lui l’occasion de noter « la douloureuse psychologie de ce jugement qui, prononcé au nom du peuple Français, condamne un innocent pour sauver de “grands coupables” » : « Ce crime, car c’est un crime, et le plus grand de tous les crimes, aura, espérons-le, pour résultat l’abolition de la justice militaire » (« Vive la Justice ! Vive la République ! », 13 septembre, vue 436). Et s’il salua la grâce de Dreyfus, il ne voulut la considérer que comme « un acte d’humanité » et non comme « un acte de justice [qui] rest[ait] à accomplir » (« Bulletin politique », 22 septembre, vue 449).
Après avoir noté la fin de Cavaignac et – pour le moins prématurément – du nationalisme après la relance de l’Affaire par Jaurès et l’exécution à la Chambre de l’ancien ministre de la Guerre par Brisson (« La politique », 9 avril 1903, vue 171), il aura une autre occasion de se réjouir, en 1906, après l’arrêt de la Cour de cassation, « Triomphe de la Vérité ». Avec Pressensé, et malgré le « drôle d’apaisement » qu’avait été le vote de la loi d’amnistie (« La politique », 23 décembre 1900, vue 595), il appelait à aller jusqu’au bout : « Dès l’instant que le gouvernement reconnaît la nécessité de réparer le mal, il doit également être d’avis de frapper le plus sévèrement ceux qui l’ont causé » (« Le triomphe de la Vérité », 14 juillet, vue 337. Voir aussi « L’affaire Dreyfus », 7 juillet, vue 325).
Il continuera, jusque pendant la Grande guerre, à s’occuper de son journal, qui disparaîtra en 1918 et dans lequel il écrivait de moins en moins. On retrouve sa trace en 1920, candidat malheureux aux sénatoriales dans la Nièvre pour faire barrage à une alliance du candidat républicain avec les monarchistes et nous perdons ensuite toute trace de lui. Il semble qu’il mourra centenaire.
Sources et bibliographie : on pourra consulter son dossier de la Légion d’honneur sous la cote : 19800035/252/33559.
Note : le lien direct sur la page concernée de la collection numérisée de La Tribune républicaine et de celle de L’Écho du Morvan n’étant pas possible, nous ne donnons que le lien qu’à la première occurrence de chaque année en indiquant à chaque fois le numéro de la vue correspondant à la page.
Philippe Oriol