Arnould, Henri, ingénieur et publiciste français, né à Bussang (Vosges) à une date que nous ignorons. Date de décès également inconnue.
Ancien élève de l’école centrale, ingénieur des arts et manufactures, employé à la compagnie parisienne du gaz puis, en 1896 répétiteur auxiliaire à l’école centrale, Arnould, à partir de juillet 1899 – nous n’avons guère de trace avant cette date –, devint rédacteur en chef du Républicain des Vosges. Son premier grand article fut consacré à l’Affaire, occasion de revenir sur ce qu’en fut l’histoire :
[…] on a fait le huis clos ; il faut maintenant plus de mystère encore, le secret absolu : ces preuves qui vont le condamner, il ne faut pas que l’accusé les connaisse ; la défense ne les entendra pas ; les juges seuls en seront instruits ; ainsi ce n’est pas un accusé qu’on juge, c’est déjà un coupable, et un coupable, ô épouvante ! qui n’a pas le droit de savoir de quel forfait il a à répondre. D’ailleurs un crime héréditaire déjà pèse sur lui : ce misérable est juif !… Judas, pauvre, trahit son maître pour trente deniers ; celui-ci est riche : il risque, en trahissant, sa fortune, son honneur, celui de toute sa famille ; mais qu’importe ! il a pu trahir, puisqu’il est juif ! Le voilà donc condamné d’une seule voix par ses pairs, et tandis qu’on lui brise avec rage son épée au mépris de ses protestations d’innocence, la France entière lui crache à la face sa haine et son dégoût ; on voudrait lui arracher la vie dans des supplices raffinés ; les poings se tendent furieusement, les ongles se crispent, les dents s’aiguisent pour mordre. Enfin on mure sur lui la pierre d’un tombeau, on l’ensevelit vivant : « Tu pourras maintenant crier à ton aise ton innocence ; du moins on ne t’entendra plus. »
Puis après avoir rappelé la découverte de Picquart, les faux accumulés de l’État-major, la mobilisation du « syndicat des consciences » au rang duquel il se rangeait :
Pour nous, depuis longtemps nous avons appelé de tous nos vœux l’aurore qui luit enfin aujourd’hui : nous avons entendu les cris de l’innocent ; nous avons écouté au fond de nous-mêmes la voix, non de la pitié, mais de notre conscience : au milieu des forcenés qui ont rêvé d’enfoncer le dernier clou dans les membres de ce malheureux, que l’erreur et le crime ont attaché à l’infâme gibet, nous voulons, nous, l’aider à en descendre en criant de toutes nos forces à’ceux qui peuvent nous entendre et qui sont de bonne foi : « Non, cet homme n’a pas mérité d’être supplicié et déshonoré ! les juifs ont crucifié jadis le Christ innocent ; les disciples du Christ veulent aujourd’hui se venger sur le juif innocent. Œuvre criminelle aujourd’hui comme elle l’a été jadis ; l’œuvre de vengeance à laquelle nous ne prêterons pas les mains. Mais surtout nous ne voulons pas nous associer sous le prétexte d’un patriotisme étriqué, fanfaron, exclusif, dont certains aujourd’hui veulent s’arroger le monopole. Nous estimons que la patrie ne peut être grande, si d’abord elle n’est pas juste ; c’est là sa foi, sa raison d’être, son idéal ; c’est ainsi que nous l’aimons et que nous prétendons la servir. Ce que nous voulons, c est la justice égale pour tous, c’est la force au service du droit. On pourra toujours regretter les violences nécessaires qu’une pareille affaire a suscitées ; nous déclarons du moins que nous désavouons les compagnes odieuses menées par une presse fanatique contre la vérité et la légalité sous prétexte de sauver l’honneur de l’armée. L’armée n’est pas en cause. Le corps entier ne peut être déshonoré par la faute de quelques-uns de ses membres. Mais tout s’enfante dans la douleur ; les idées comme les hommes ; et si nous plaignons le mal fait surtout par ceux qui se sont opposés à l’œuvre de réparations, nous sommes heureux de saluer dans la douloureuse affaire qui touche à son dénouement le réveil de la conscience nationale, l’affirmation de l’idée de justice qui vient de gravir un échelon de plus vers son idéal. Oui ; ce besoin de justice, instinctif et spontané chez la masse devient de plus en plus clairvoyant et exigeant à mesure que par la marche des idées et la victoire de l’esprit sur l’animalité, il prend davantage son point d’appui sur la raison purement humaine. Cette justice plane plus haut que tous les intérêts matériels ; elle doit peser dans son équitable balance le bien et le mal, indifférente aux questions de races et de religions, de castes héréditaires et d’antagonismes individuels. La justice plus que jamais nous tient au cœur. Avec nos mœurs démocratiques, nous sentons que la justice est la suprême garantie de chacun de nous : elle est la condition première de notre bonheur, et le moindre froisse ment qu’elle éprouve nous pénètre jusqu’aux moelles. Nous la voulons plus grande encore, plus large, penchée de plus en plus vers tous ceux qui souffrent injustement. Elle est le principal élément de ce faisceau d’idées qui composent ce que nous appelons d’un mot vague : la civilisation. Et c’est notre pays, c’est la France, soldat du droit qui par ces idées, rayonne sur le monde entier et fait monter à sa suite toutes les nations vers une vie meilleure où l’Humanité trouvera plus de bonheur par plus de justice. Il s’agit de savoir si nous voulons conserver ce rôle, où si nous devons nous résigner à voir l’idée de justice proscrite de l’Idéal républicain qui éclaire aujourd’hui notre patrie dans sa marche vers le mieux. (« Après le Dénouement », 16 juillet 1899).
Une position qui, on s’en doute, lui valut de nombreuses attaques dont celles de La Croix de la Lorraine qui considérait le Républicain des Vosges comme un « journal juif ». Il leur répondit :
Pour ce qui est de notre juiverie, nous tenons à dire à La Croix combien nous sommes heureux de nous trouver d’accord avec elle. Nous sommes juifs, en effet, comme nous étions catholiques et catholiques très militants, alors que le Sultan rouge massacrait les Arméniens et les faisait flamber par milliers jusque dans leurs églises. En ce temps-là, les amis de La Croix se taisaient, et Sa Sainteté Léon XIII n’avait rien à dire. Nous sommes juifs, comme nous serions demain protestants ou musulmans, s’il y avait, au nom de la justice et la liberté, des protestants ou des musulmans à défendre. Nous ne voulons connaître ni les haines de races, ni les haines de religions. Nous ne vouions voir autour de nous que des hommes qui ont les mêmes droits. Je crois qu’on vit jadis, dans les plaines de Judée, une espèce de vagabond, doucement têtu, qui s’en allait prêchant la fraternité universelle. On l’a tué, et les rédacteurs de La Croix l’adorent. Nous avons, nous, la bizarrerie de faire ce qu’il disait. Nous sommes juifs comme le juif Jésus. (« Le “Républicain” journal juif », 30 juillet).
Par la suite, il montra les inconséquences nationalistes. L’objectif de la Ligue de la patrie française, expliquait-il ironique à travers l’exemple de Syveton passant devant le conseil académique appelé à statuer sur son cas , était « excellent » : « il démolit […] pour reconstruire… LE PASSÉ » (« Syveton et la Ligue de la patrie française », 3 août). Après Rennes et la nouvelle condamnation de l’innocent, il enregistra le verdict avec calme mais pour bien préciser qu’il ne modifiait en rien sa conviction :
Depuis deux ans, nous avons suivi attentivement tous les faits, étudié tous les documents publiés relatifs à l’affaire Dreyfus ; pendant des nuits d’insomnie, nous avons été hanté par la crainte de savoir qu’un innocent expiait au bagne le crime d’un autre. Et combien d’autres avec nous ont été invinciblement, troublés par ce cauchemar !
Mais le devoir d’un citoyen libre est de dire ce qu’il pense et nous n’avons pas hésité, alors que notre intérêt nous commandait de nous taire ; à proclamer notre conviction « l’innocence de Dreyfus ». Depuis la divulgation des dépositions faites devant la Cour de cassation, tout homme qui sait lire, a entre les mains les pièces du procès ; ces dépositions, jointes à celles qui ont été faites devant les juges de Rennes, lui permettent de se faire en toute connaissance de cause une opinion formelle sur le fond de l’affaire ; et dès lors le procès s’instruit devant deux tribunaux, l’un celui des juges du Conseil de guerre, l’autre la propre conscience de chacun. Les officiers du Conseil de guerre ont jugé suivant leur esprit de devoir militaire, de discipline ; ils ont condamné pour qu’une victime unique et innocente expiât les fautes de plusieurs de ses chefs ; soit ! […] Nous restons donc, avec beaucoup d’autres, convaincu de l’innocence de Dreyfus, les débats, le verdict du Conseil de guerre de Rennes n’ont fait que fortifier notre conviction. En effet notre patriotisme, – et nous croyons avoir le droit d’en parler malgré les monopoles à l’ordre du jour – se refuse énergiquement à ad mettre les circonstances atténuantes en matière de trahison ; pour le condamné d’aujourd’hui surtout, contre lequel on n’a eu à relever aucune suggestion passionnelle, le crime restait entier : il n’était pas moins coupable en 1899 qu’en 1894 et il fallait le renvoyer à l’île du Diable. Les deux officiers qui ont osé affirmer à la face du monde le manque de preuves sur la culpabilité de l’accusé, sont seuls logiques avec eux-mêmes, à moins qu’on ne soutienne que le Syndicat a acheté, par une manœuvre plus audacieuse que toutes les précédentes, ces dreyfusards de la dernière minute, et dans ce cas j’espère bien que l’on saura un jour le prix de leur trahison. Quant aux cinq autres, en condamnant à nouveau le juif et en mitigeant leur verdict par des circonstances atténuantes, encore une fois, ils ont obéi à un sentiment bien différent de celui qui doit seul animer la conscience du juge, le sentiment de la Justice. Ils ont conclu avec eux-mêmes une transaction, un compromis inexplicable par lequel ils croyaient à fois satisfaire les partis hostiles, tranquilIiser l’opinion et sauver leurs chefs hiérarchiques. Une fois de plus l’esprit de corps et de discipline a fait taire la voix de la conscience. Telle est notre pensée, toute notre pensée sur l’affaire, nous l’exprimons avec tristesse, mais sans violence et sans acrimonie. Toutefois il est bien évident qu’une pareille sentence n’est pas le dernier mot d’un procès qui intéresse toute l’humanité pensante, et qu’elle ouvre plus que jamais le champ aux polémiques inévitables. (« À nos lecteurs », 14 septembre 1899).
Arnould signa ensuite signa l’Adresse à Dreyfus (24 septembre 1899) puis – après une petite polémique avec un nouveau venu, Raoul de Juglart, directeur de La Volonté nationale, journal de Remiremont (« Au nouveau journal » et « Appel aux césariens » 24 et septembre) –, la protestation contre l’amnistie (L’Aurore, 29 janvier 1900), amnistie qu’il combattit dans son journal (voir « Contre l’amnistie », 14 janvier 1900 et suivants). En 1902, après avoir opéré à la fusion de son journal avec L’Est démocratique, nouvelle formule qui cessa de paraître en février 1901, après avoir collaboré au Petit Troyen et à La Calotte (1900), Arnoud,l fondateur de la correspondance politique La Défense républicaine, adressée hebdomadairement à tous les journaux républicains, directeur du Catéchisme républicain ou philosophie populaire scientifique illustrée, souscrivit au monument Zola, « pour le souvenir d’un grand citoyen » (7e liste de L’Aurore). Nous perdons par la suite à peu près sa trace si ce n’est que nous le retrouvons fréquemment à l’occasion de conférences de vulgarisation scientifique qu’il donnait un peu partout et que nous savons qu’il vivait encore en 1926, responsable pour le syndicat des instituteurs des questions liées au cinéma comme outil pédagogique et directeur de L’Écran scolaire.
Philippe Oriol