Fernand Bernheim

Bernheim (Bernheim-Dennery à partir du 4 mars 1911), Fernand, Lucien, militaire français, né à Rouen (Seine-Inférieure) le 5 juillet 1868*, assassiné par la milice le 24 juillet 1944.

Polytechnicien (1888), le lieutenant Bernheim, ainsi qu’il le racontera lors de l’instruction Pellieux et à Rennes, avait connu Esterhazy à la mi-août 1894. Esterhazy lui avait demandé de lui fournir quelques documents sur le tir. Bernheim lui avait alors promis la deuxième partie du règlement sur le service des bouches à feu de siège et de place et une réglette de tir. Il n’avait pu en revanche lui fournir le manuel d’artillerie qu’Esterhazy aurait souhaité posséder dans la mesure où il « [s]’en considérait comme personnellement responsable ». Il lui envoya les documents et ne parvint jamais, malgré ses demandes et ses démarches, à les récupérer (Rennes III, p. 141-142). Bernheim apparut dans l’Affaire en 1897 quand il fut appelé à témoigner lors de l’enquête Pellieux ouverte à propos d’Esterhazy après la dénonciation de Mathieu Dreyfus. Il avait été mis en cause avant même la reprise de l’Affaire, au moment où les hommes de l’État-major organisaient la défense d’Esterhazy, dans la lettre que ce dernier avait écrit à Billot le 25 octobre 1897. Esterhazy y avait expliqué qu’il n’avait eu connaissance, sans en être « sûr », d’un seul des documents mentionnés au bordereau, le « projet de manuel de tir ou d’un manuel définitif » qui lui avait été adressé « par un officier israélite et à une époque bien postérieure aux seules manœuvres pour lesquelles j’ai été désigné en 1894 (manœuvres de cadres) » (citée dans Oriol, p. 390). Affirmant cela, qui était un de ses habituels mensonges, Esterhazy se protégeait. Non seulement il vidait en prolepse toute discussion à venir sur le fait, comme l’avait découvert Picquart, qu’il avait bien participé en mai 1894 aux manœuvres de cadres – comment aurait-il pu être l’auteur du bordereau puisque celui-là disait devoir bientôt participer aux manœuvres et posséder déjà le manuel en question ? – mais encore se construisait une preuve d’honnêteté en mentionnant « l’officier israélite ». Si Bernheim était appelé à témoigner, il ne pourrait en effet qu’affirmer, puisque telle était la vérité, qu’il ne lui avait jamais prêté le manuel en question. Quelle honnêteté que celle de cet homme qui, trompé par ses souvenirs, n’hésitait pas à reconnaître par erreur des faits qui auraient pu constituer une charge contre lui… À la demande d’Esterhazy (audition du 25 novembre, AN BB19 123, f. 2. Repris dans Cassation I. II, tome 2, p. 99), Bernheim fut donc entendu par Pellieux le 26 novembre et tout se déroula comme il avait été prévu. Bernheim ne put en effet que dire que s’il avait bien prêté des documents à Esterhazy, documents sans le moindre caractère de confidentialité, il ne lui avait jamais fourni le manuel de tir. Bernheim fut ensuite appelé à déposer à Rennes, une déposition à venir qu’Esterhazy commenta en ces termes :

Au nombre des nouveaux témoins cités à Rennes, je vois sans grande surprise le nom du canonnier juif BERNHEIM. Il a un furieux toupet et s’il y avait, en France, l’ombre d’une justice, il devrait être arrêté en pleine audience comme faux témoin. […] Le lieutt Bernheim fut interrogé et sous la foi du serment, comme témoin, il déclara qu’il ne m’avait jamais remis qu’un règlement qu’il désigna et jamais le manuel de tir de l’artillerie de campagne. […] Après le Conseil de guerre, après le procès ZOLA, après mon arrestation, après tous ces événements, le lieutenant Bernheim ne donne pas signe de vie, ce n’est qu’il y a peu de temps qu’il s’est senti touché par la grâce d’Israël. […]. Bernheim a donc fait un faux témoignage ou il va en faire un. Dans tous les pays du monde, la France excepté, il serait arrêté et condamné séance tenante. ([août 1899], collection particulière).

Il redira à Rennes la même chose que ce qu’il avait dit à Pellieux. Contacté par Hartmann, qui avait fait courir le bruit que c’était lui qui avait prêté à Esterhazy le manuel, il demanda à le rencontrer et, à un rendez-vous où était aussi présent Naville, expliqua ce qui n’avait pas été bien compris (Cassation II. II, tome 3, p. 361-362). Par la suite, dreyfusard, il sera un des participants du dîner des Trois Marches (Stock, p. 137), sera promu au grade de capitaine en 1901, de chef d’escadron en 1914, de lieutenant-colonel en 1917, de colonel en 1918 après une conduite héroïque au front et prendra sa retraite en 1930. Retiré à Saint-Amand-Monrond, Bernheim, dans sa soixante-douzième année, il sera arrêté avec sa famille par la milice dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944 en représailles à l’exécution de Philippe Henriot. Il ne sera semble-t-il pas transporté à la prison Bordiot de Bourges comme le dit une des sources mais jeté avec d’autres dans la fosse d’un champ de tir de la Wehrmacht au lieu-dit Guerry.

Sources et bibliographie : sa déposition lors de l’instruction Pellieux se trouve dans : AN BB19 123 (consultable : ici)  ; celle à Rennes dans : Rennes III, p. 141-143 et 521-524 ; celle lors de la seconde révision dans : Cassation II. II, tome 3, p. 358-363. Les informations concernant son arrestation sont issues des sites : memorial-genweb.org et ajpn.org. On consultera son dossier militaire au SHD sous la cote GR 6 YE 22770. On trouvera, à la BNF, ses lettres à Reinach, lettres d’un intérêt relatif (BNF n.a.fr. 13571, ff. 87-123).

Philippe Oriol

Musée de Bretagne

 

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